Qu'est-ce que le théâtre ?
Un lieu, une activité et un processus.
Un corps où l'espace crée l'action.
Un temps où l'acteur donne un corps à l’espace
Et ce corps reçoit le regard du public.
Taïk de Nushaba T.
L'art dramatique consiste pour l'acteur/actrice à présenter et raconter une histoire au spectateur, à l'aide de sa voix, de son visage et de son corps. Mais cet art n'est pas une simple accumulation de techniques, l'acteur/actrice fait appel à tout son être, à toute sa sensibilité et à toute son intelligence.
Le mot théâtre recouvre aussi la notion de « matière
transmise », il s'agit là de la pièce et de la façon
dont elle est traitée. On parle de théâtre classique, moderne,
de la commedia, du théâtre de boulevard, du théâtre
d'avant-garde et contemporain. On considère alors des oeuvres littéraires,
des textes, des répertoires, un patrimoine culturel. Chaque époque
a son théâtre, ses textes et la manière de les mettre en
vie. Au fil des siècles, les techniques théâtrales, le jeu
de l'acteur et la mise en scène ont évolué.
Au service de la religion ou de la politique, le théâtre a éduqué
et diverti; au service de l'esthétique et de l'art, il a cultivé,
enrichi et encore diverti.
Le théâtre est un art populaire humain, né de la faculté
d'imiter, d'utiliser le symbole, de s'exprimer, de créer, de communiquer,
de se divertir et d'apprendre.
Le jeu dramatique est un moyen parmi d'autres de mieux se connaître soi-même,
et de connaître l'autre ( adulte & enfant ), de voir apparaître
d'autres aspects de la personnalité d'autrui.
Qui n'a pas rêvé de s'entendre proposer d'« aller au théâtre
ce soir » ou de « faire du théâtre »
?
Si la réception d'un spectacle par des enfants constitue un point de
départ stimulant, les activités d'exploration sont un élément
indispensable pour une véritable appropriation personnelle.
Le fait d'incarner un ou plusieurs personnages demeure le travail de l'acteur. Se métamorphoser en un autre que soi-même, et lui transmettre ses états émotionnels, ses sentiments, ses actions : tout cela participe du Paradoxe du comédien, de Diderot.
Le cours, l'atelier de théâtre : un événement pas ordinaire
La séance de « théâtre » ne doit pas être
banalisée. Chaque séance doit demeurer un moment de fête,
de plaisir, hors des habitudes, c'est une activité que l'on va vivre,
sans souci de l'évaluation. C'est une activité qui permet de s'investir
sans risques, tout en recherchant le meilleur de soi-même.
L'aspect extraordinaire de l'instant oblige à tendre vers l'essentiel.
Mais pour oser il faut avoir le droit à l'erreur, la possibilité
de recommencer. Le théâtre nécessite du temps !
Le côté magique du jeu dramatique est que rien n'est indélébile, rien n'est « pour de vrai ». Paradoxalement, c'est peut-être pour cela que l'on peut réellement être authentique.
« Je me souviens d'une de mes élèves ( adulte ) qui me demandait comment jouer telle ou telle chose : inquiète de la justesse de son interprétation. Je lui répondis alors qu'elle n'avait qu'à jouer faux ! La surprise provoquée par cette réponse déconcertante, la relaxa et lui permit d'être plus attentive à son instinct et à son intuition. » (Michaël Therrat.)
La séance de « théâtre » est régie par des règles très strictes mais c'est pourtant le moment où l'on peut transgresser des principes de la vie quotidienne : on peut y crier, faire des grimaces, se traîner, marcher à quatre pattes... L'activité dramatique est un espace-temps que l'on s'offre où tout est possible : on peut devenir "fort", "gentil", " courageux" sur simple demande; les mondes les plus extraordinaires sont accessibles, et tout cela avec la complicité de l'adulte.
Objectif
- L'autonomie de l'individu : c'est-à-dire la compétence de se
donner ses propres limites, d'acquérir ses propres limites, d'accepter
des limites libres, non-imposées. [ Réflexion et action ]
- S'auto-normer soi-même, développer le champs d'investigation
de son libre-arbitre afin d'atteindre une harmonie entre le respect de soi et
celui des autres. [ Expression ]
Moyen
- Prise de conscience de soi : de la confiance en soi par la connaissance de soi.
Voici 4 étapes indicatrices d’un cheminement pour atteindre l'objectif d'autonomisation :
Découverte
L'exploration visera dans un premier temps à faire découvrir aux participants leurs propres moyens d'expression, à prendre conscience de leur potentiel et de leurs limites.
Acceptation
La mise en application de ce potentiel se fera à partir de jeux et
d'exercices, ainsi que par le biais de matériau-support ( objets, images,
musiques, fragment de texte, de journal, un conte etc... ) qui induira une
réponse par la mise en jeu.
C'est l'étape où d'autres éléments techniques
seront introduits afin de « nourrir » les participants.
Réalisation
Fort de cette expérience préalable, cette troisième
étape conduit à une maîtrise progressive du langage théâtral.
C'est le moment de la préparation d'un projet en commun - du spectacle
attendu - des choix et des décisions par rapport à ce que l'on
veut dire, des moyens qu'on a pour le dire. Pendant cette période de
responsabilisation, les participants apprennent à gérer leur(s)
peur(s) et à préciser leur(s) désir(s) et leur engagement.
La confrontation avec les contraintes techniques et les rapports avec les
autres participants remettent aussi, parfois, en jeu la spontanéité
de l'idée de la création du départ.
Constatation
La représentation n'est pas un aboutissement mais une étape vers la découverte de soi et des autres; c'est l'instant critique, l'épreuve du feu, la confrontation publique. La représentation ne peut être que modeste, fruit d'essais successifs, de recherches, de comparaisons, elle permettra d'améliorer, de perfectionner et de continuer la prise de conscience de soi et des autres.
Participer à un spectacle, c'est accepter de se remettre en cause et admettre la possibilité d'échouer tout en faisant le maximum pour réussir. C'est essayer de se dépasser, d'aller au-delà de ses appréhensions et de sa timidité. C'est maîtriser ses émotions et ses faiblesses. C'est être plus exigeant et plus critique avec soi-même.
Participer à un spectacle exige de s'offrir à l'autre ( le public ), permettant en retour d'être reconnu par lui. C'est vivre avec d'autres un événement extraordinaire, partager un moment de fête, de plaisir, un moment exaltant, de « folie » et d'euphorie. C'est défendre ensemble une réalisation et accepter d'en partager la responsabilité.
Les enfants
Des techniques de relaxation ( respiration abdominale ), d'expression ( corporelle et orale ), de communication ( relation avec les autres ) et de concentration, si elles sont maîtrisées au-delà de l'activité, peuvent leur permettre de se mieux connaître et d'être plus à l'aise dans leur relation avec les autres et avec leur environnement.
A l'intérieur des jeux dramatiques ou en parallèle, des éléments
du langage théâtral sont découverts et travaillés
en prenant en compte le regard extérieur d'un spectateur réel
ou « imaginaire ».
L'activité dramatique consiste à placer des personnages dans une
situation fictive et à les faire réagir. Espaces, personnages,
situations, invention d'une fiction sont les éléments fondamentaux
d'une initiation adaptée aux enfants. Les enfants en groupe seront conduits
à proposer une réponse jouée dramatiquement à partir
de consignes et d'un matériau qui sert de point de départ.
Cette mise en situation a pour fonction de développer des capacités
d'invention, d'imagination, de coopération, d'organisation concertée,
d'écoute et de solidarité avec les autres.
Dans le cadre d'ateliers pour enfants, « réaliser ensemble » prend une dimension particulière puisqu'il s'agit, pour des enfants et des adultes, de vivre une relation égalitaire par rapport à un projet; l'implication dans le spectacle théâtral est la même : l'enfant et l'adulte s'engagent dans une action commune face à un troisième partenaire.
Monter un spectacle entraîne une valorisation à la fois personnelle et collective qui n'a rien à voir avec le cabotinage. Les ateliers de théâtre servent à encourager les enfants à oser se servir de leur corps et à parler fort plutôt que de parader et paraître ! Soyons sérieux pour de jouer !
Un spectacle se construit geste par geste, mot par mot, point par point, et le jour où on le réalise, il nous échappe, il ne nous appartient plus complètement, au contraire, nous lui appartenons, nous en faisons partie, nous n'en sommes qu'un humble rouage... mais indispensable !
Apprendre qu'un mot peut avoir plusieurs significations, qu'on peut lui faire
exprimer des idées contradictoires, qu'un événement peut
être compris et rapporté de façons différentes, c'est
aussi comprendre un peu mieux le monde dans lequel nous sommes plongés.
N'est-ce pas apprendre à l'enfant à défendre et à
préserver sa liberté de pensée et d'expression que de lui
faire découvrir que la vie peut être un vaste théâtre
où chacun joue un rôle dont il vaut mieux être conscient
?
S'exprimer par le théâtre. N. et B. Renoult, C. Vialaret. Armand Colin-Bourrelier, Paris, 1986.
Cette sensibilisation peut aussi leur apprendre à devenir des spectateurs éclairés et assidus.
L'adulte
L'adulte a pour rôle d'aider l'enfant à s'épanouir, à se construire en faisant émerger son potentiel en le respectant et à s'accepter. L'animateur a pour rôle de contrôler, de calmer, de relancer, de proposer, d'enrichir et de rassurer; il doit être un acteur au même titre que les enfants : il doit lui aussi agir. Il ne montre pas comment il faut faire, il cherche à induire leur comportement par ce qu'il faut faire; les enfants ne doivent pas imiter le jeu de l'adulte.
L'adulte doit accepter de descendre de son piédestal, de « faire le clown » devant les enfants, de risquer le ridicule. Il doit laisser les enfants le découvrir sous un autre jour, son image de marque tout comme son autorité n'en souffriront pas. Les enfants ne sont jamais déçus par un adulte qui s'engage, qui sait être authentique, qui partage avec eux les angoisses, les complexes, les risques, mais aussi les satisfactions, les joies, les découvertes.
Les apprentissages
A la question « Que faut-il pour apprendre à faire du théâtre ? », plusieurs réponses :
Dix propositions :
Le théâtre ne peut exister que s'il y a d'abord du silence, une écoute.
Il n'y a pas de bonne réponse absolue à donner. Le travail artistique idéal consiste à proposer une réponse qui n'a encore jamais été donnée.
Le travail artistique s'établit dans la proposition concrète et dans le risque. Non dans la reproduction d'un modèle. Comment permettre l'émergence d'une parole qui me surprenne ?
La dilatation des sens : s'écouter soi-même et écouter le monde.
La plupart de nos espaces intimes et publics sont pauvres et il faut situer le corps dans cet espace.
Deux règles : oser se montrer et accepter de ne plus être visible. Le groupe c'est la règle, ce n'est pas la fusion, c'est apprendre à se débrouiller ensemble.
Je ne suis plus moi mais un autre et pourtant je suis encore moi pour que l'autre puisse exister pleinement. Travailler des rôles différents, jouer sur le montré/caché, ce qui fait bouger.
Faire partie d'un ensemble exige une organisation scrupuleuse. Sans discipline forcenée.
Non pas inventer du faux, mais manipuler le vrai et le faux, les faire s'entrechoquer.
Accepter les émotions, l'intuition, le goût, l'esthétique, la compréhension. Non pas l'irritabilité.
Les enjeux éducatifs : entre l'art et la communication
Michel Bernard analyse l'apport du théâtre par rapport au modèle jésuite : " Le théâtre scolaire a, comme on l'a souvent souligné, de nombreuses fonctions instrumentales, soit d'ordre mnémonique ( entraîner la mémoire ) ou psychomoteur ( contrôler le geste ), soit d'ordre moral ( illustration d'actes éthiques exemplaires ), soit d'ordre purement pédagogique ( comme divertissement compensatoire selon un rythme travail-loisir ), soit d'ordre apologétique ( pour les libertins ) et polémique ( contre les protestants ), soit enfin d'ordre sociopolitique ( célébrer la monarchie chrétienne, attirer les élites qui apprécient ce type de divertissement ). Il magnifie l’idéal éducatif dominant : maintenir chacun à son rang et dans sa condition. "
Critique des fondements de l'éducation. M.Bernard. Chéron, 1989.
La corporéité est tout entière réglée pour
les regards, pour les besoins d'une spectacularisation permanente. Cela crée
la fiction d'un corps libre qui adhère de lui-même aux valeurs
d'une culture qu'il contribue ainsi à renforcer.
L'écueil serait d'imposer une norme : par le théâtre tu
vas devenir ce que l'on veut que tu deviennes, on va te régler à
un certain type d'expression : c'est une sorte d'appauvrissement de l'expressivité.
Le danger est de faire que les jeunes corps et les jeunes voix se rangent sous
la bannière de l'image. " Neutraliser la force subversive et sauvage
du plaisir corporel juvénile en l'instituant en spectacle." L'art
théâtral devient alors un moyen de se faire voir et de se faire
entendre " raisonnablement ". Rassurant une esthétique policée,
purement ornementale, qui ne dérange rien ni personne mais irait au contraire
vers une forme de " bienséance expressive " de l'acteur mythique.
Ce n'est pas de l'art mais de la communication.
L'enfant. Le jeu. Le théâtre. Autour des pratiques dramatiques de l'école élémentaire. N°2. Acte Sud-Papiers, 1989.
Le théâtre, s'il n'entre pas dans un projet de création, ne deviendrait-il pas qu'un ensemble de techniques qui apprendraient à être plus sages, c'est-à-dire à obéir aux normes de la société moderne ?
L'art suppose un écart par rapport à ce qui existe déjà,
une nouveauté. Idéalement il s'agirait d'inventer des formes,
un sens qui ne préexisterait pas.
Il ne s'agirait donc pas de reproduire mais d'explorer, tenter, risquer. Mais
n'est-on pas contraint de passer par des académismes pour trouver des
formes nouvelles, car comment pourrait-on trouver de nouvelles formes si on
ne sait pas à quoi les opposer ?
Aristote dit que le théâtre est terreur et pitié, et un moment d'apathie. Penser le théâtre, c'est penser ces trois éléments. Mais la question qui se pose c'est de savoir si c'est le Silence qui produit l'Art ou l'Art qui produit le Silence.
S'il est vrai que bien souvent l'enfant ( et les adultes ) découvre le théâtre par l'intermédiaire de l'atelier, il ne doit pas croire que ce qu'il fait représente TOUT le théâtre. Il doit voir d'autres pièces, avec des comédiens professionnels.
Psychologie du développement
Tout ce que l'enfant est capable de faire aujourd'hui avec l'aide de l'autre, parent, pair, enseignant ( co-construction inter-psychologique ), il deviendra capable de le réaliser seul demain ( construction intra-psychologique ) ( d'après Vygotsky, psychologue soviétique. )
Au tumulte du « conflit oedipien » de l'enfant de 5-6 ans ( Freud ) - pendant lequel la toute-puissance de son désir se heurte aux interdits sociaux - l'activité théâtrale, formidable outil de socialisation parmi d'autres, permet une ouverture au monde environnant qui correspond à « la période de latence » et aux sublimations des enfants de 5 à 12 ans.
vers Prog. théorik | Vous pouvez également lire le deuxième projet pédagogique rédigé en 2007 en cliquant ici |
voir bibliographies
concernant la pédagogie : http://www.theatrales.uqam.ca/2f.html
concernant la psychologie : http://www.theatrales.uqam.ca/2h.html