Loth et son Dieu

(2007-2008)

de Howard Barker (1946-

mise en scène Agathe Alexis, 2008/09

Mandaté par un Dieu vindicatif, l’Ange Drogheda vient sommer Loth et sa femme Sverdlosk de quitter Sodome. Il choisit comme lieu de rendez-vous un café sordide qui est à l’image du mépris qu’il ressent pour les habitants de cette ville.
Fasciné par la femme de Loth, l’Ange s’attarde. Il est outré de la complicité du couple, de la complaisance et du voyeurisme de Loth envers les tentatives de séduction de Sverdlosk. Ne pouvant agir physiquement sur le couple, Drogheda se venge sur le serveur, figure symbolique de Sodome. Il le rend aveugle, sourd et muet.
Le serveur mutilé suscite la pitié de Loth, tandis que la passion grandit entre Drogheda et Sverdlosk. Enflammé par la femme de Loth, l’Ange la rejoint dans la bibliothèque où l’acte de chair s’accomplit.
Resté seul avec le serveur, Loth décrit en détail la scène amoureuse dans un mélange d’extase et de douleur. Dieu alors s’incarne dans le serveur et pour attiser la jalousie de Loth, il lui révèle les mensonges et les trahisons de sa femme. Mais Loth refuse le terme de trahison et magnifie les mensonges de Sverdlosk, qu’il aime au-delà de tout. Dieu vaincu se retire.
La bibliothèque brûle et Sverdlosk réapparaît avec une valise. Elle est suivie par Drogheda.
L’Ange ressent à présent "les sévices de l’Amour, comme le tribut d’un nouveau servage". Sverdlosk retourne vers Loth. Celui-ci rêve à une autre possibilité de vie, peut-être sans bibliothèque, sans femme, et avec la mort pour dernier poème….
Après avoir dérobé une chaussure à Sverdlosk, l’ange décline son message et part. Loth et sa femme s’en vont, abandonnant le serveur mutilé.

Notes pour une mise en scène

Dramaturge, poète, théoricien du théâtre, peintre, Howard Barker fascine et fait peur.
Après avoir voulu monter Uncle Vanya, dont j’ai passé commande de traduction à Sarah Hirschmuller en 2006, je dois me rendre à l’évidence : malgré un intérêt manifeste du Festival d’Automne en Normandie – B. Faivre d’Arcier, une oeuvre aussi lourde par sa distribution (quatorze acteurs) est pour moi impossible pour l’instant. Puis je prends connaissance de Loth et son Dieu (2007-2008), une pièce plus épurée, plus concise, témoignant de nouvelles orientations dramaturgiques de l’auteur, et que je lis comme un hommage à l’Amour, aussi étrange que cela paraisse, car rien n’est au premier degré chez H. Barker.
La passion douloureuse et extatique de Loth pour sa femme, la haine désorientée et fascinée de l’ange destructeur pour la femme de Loth, la nécessité irrépréhensible de cette "perte de soi sublime qu’est l’amour" qui fait l’attrait de cette femme mûre, tout cela me bouleverse. Je crains de mal comprendre, et prends rendez-vous avec H. Barker pour voir une mise en scène de sa pièce, I saw myself, à la "Wrestling School", et me faire confirmer si mon intuition est juste. Il s’agit bien d’un texte sur l’amour fou !
L’Atalante a souvent été un lieu de création pour des textes à découvrir, des textes limite, parfois. La "Wrestling School" ("L’Ecole de la lutte"), lieu des créations audacieuses de H. Barker aussi !
Nous envisageons avec Christian Boulicaut, mon scénographe, un espace longiligne en modifiant le volume traditionnel de l’Atalante. Un café panoramique où spectateurs et acteurs se font radicalement face. Il faut rendre compte du conflit entre le mouvement et le langage, valoriser toute la modernité de Howard Barker, la polyphonie des voix et les divers enjeux de l’oeuvre. En contrepoint des conflits qui opposent l’Ange, Sverdlosk et Loth, cet espace longiligne devra permettre de créer, pour le personnage du serveur mutilé, la chorégraphie de sa servitude physique et de sa douleur.
Parfois, un rire jaillit, qui n’a rien à voir avec le soulagement, plutôt l’incrédulité devant l’inhumaine souffrance – mystère de la divinité dont Drogheda est l’agent. Par cette succession d’atteinte faite à la volonté humaine, Loth et son Dieu rappelle le mystère de Tête d’or, et il me serait bien difficile de dire aujourd’hui lequel des deux poètes dans son oeuvre, croyait au ciel ou n’y croyait pas.
Dans un contexte indéfinissable - on peut dire contemporain - Loth, Drogheda, Sverdlosk et le serveur mutilé sont dans la continuité des thèmes chers à Barker, en ceci que la catastrophe est également révélation et naissance. La mise en oeuvre des situations paradoxales et le caractère magnifié de la poétique utilisée par les personnages bouleversent la notion de clarté pour une aventure rare d’un théâtre où "la tragédie serait le dernier secret d’un monde qui rit".

Agathe Alexis

Avec : Agathe Alexis, Jaime Flor,
Grégory Fernandes, François Frapier, Michel Ouimet

Christian Boulicaut (Scénographe),
Stéphane Deschamps (Lumières),
Grégory Fernandes
(Assistant à la mise en scène),
Jakob (Création son),
Dominique Louis (Costumes),
Claire Richard (Chorégraphie),
Emmanuel Laskar
(Compagnonnage artistique)

 
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