Didier-Georges Gabily

(1955-1996)

26 août à Saumur

20 août

Scarron, 1983

 

 

 

Le Jeu de la commune, 1986

 

 

 

Evénements, 1988

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le secret du groupe : l'atelier. Nom masc., sorte de chantier ouvert de jour comme de nuit. Le secret de l'atelier : la langue, nom fém., sorte d'humus commun que chacun s'approprie. L'école comme annexe, additif et récréation. A l'atelier, à la maison, à l'école (celle de Rennes). Gabily défriche, laboure, creuse. Un vocabulaire de bûcheron,de pionnier,de constructeur et d'archéologue. Il cherche la langue terreuse sous le commerce bétonné des mots. Langue d'avant, langue du dedans, langued'aujourd'hui comme étrangère : rythmes, respirations. Gabily écrit avec sa voix. Pour être entendu. tout, ici, s'adresse.
Jean-Pierre Thibaudat

Enfance et adolescence à Tours. Il abandonne ses études secondaires en 1971.
En 1974, il rencontre André Cellier, directeur du centredramatique, qui lui confie une partie du travail avec les acteurs.
1978, à Paris, mise en scène de Tambours dans la nuit de Brecht, au Dix-Huit Théâtre. Sa pièce, L'Emploi du temps, est mise en scène par le Théâtre de l'Est lyonnais ; il ressort déçu de la représentation.
En 1982, au Mans, il rencontre le Théâtre du Radeau et François Tanguy. Il constitue le groupe T'chan'G à partir des rencontres avec les acteurs sur des périodes de quatre ou cinq mois.
En 1986, il monte L'Echange de Claudel, dans le garage du centre dramatique du Maine prêté par André Cellier. Reprise à l'Agora d'Evry. C'est le premier travail dont il est fier, avec des acteurs qu'il aime.
En 1987, publication de son premier roman, Physiologie d'un accouplement.
1989 : le Groupe T'chan'G est créé. Gabily dirige toujours l'atelier de formation pendant que le premier groupe d'acteurs s'engage avec lui dans des travaux au long cours, traversant les mythes : L'Orestie, en 1989, puis les Phèdre(s) et Hippolyte(s), en 1990 et 1991. Dans le même temps, il termine l'écriture d'Ossia, variations à la mémoire d'Ossip et Nadejda Mandelstam, pour André Cellier et Hélène Roussel, qu'il met en scène en 1990 au Théâtre de poche Montparnasse, et l'année suivante au Théâtre national de Strasbourg.
Parution du récit Couvre-feux, en 1990.
1991 : Gabily termine l'écriture de Violences pour les acteurs du groupe. La pièce est créée au Théâtre de la Cité internationale à Paris, avec une première subvention de l'Etat, le soutien de Bernard Dort et de plusieurs théâtres (Jean-Paul Wenzel aux Fédérés, Fabien Jannelle à la Ferme du Buisson).
En 1992, édition de L'Au-Delà, son deuxième roman. Ecriture de Chimère pour Anne Torrès, une pièce sur le mythe de Don Juan.
1992-1993 : le Groupe T'chan'G dans son entier (une trentaine d'acteurs) est accueilli au Théâtre de la Bastille et au Festival d'Avignon pour deux créations : Les Cercueils de zinc, d'après le recueil de témoignages sur la guerre d'Afghanistan de Svetlana Alexievitch, et Enfonçures, oratorio-matériau sur la guerre du Golfe.
1993-1995 : le Théâtre national de Bretagne lui propose de faire travailler les élèves de l'école. L'occasion pour lui de poursuivre l'atelier : "Qu'est-ce qu'une écriture ? Comment se fabriquer un texte ? Qu'est-ce que la poétique ?" sont pour lui desquestions essentielles. Il s'agit de "tenter de faire accéder les acteurs à la poétique du texte avant même de les faire accéder au sens". Ils travaillent sur l'alexandrin, la langue de Garnier, de
Müller, d'Eschyle... Un des deux ateliers sera présenté à Saint-Brieuc : Les Juifves, de Garnier.

Septembre 1994
DEUXIEME ACTE : UN LEVER DE RIDEAU
Voici donc que le rideau va se lever sur la deuxième promotion de l'école du Théâtre national de Bretagne. Une nouvelle direction, une nouvelle équipe pédagogique, de nouveaux élèves : un deuxième acte si l'on veut.
Et il me revient (ainsi qu'à ceux du Groupe T'chan'G qui m'accompagnent dans cette aventure) en quelque sort d'ouvrir, aussi de continuer à creuser ce qui fait partie du passé et du terreau de cette maison.

Ouvrir le rideau.
Ils sont là, derrière.

Ils ne seconnaissent pas, ou peu pour la plupart. Et il faut recommencer l'aventure comme si rien (ou presque) n'avait jamais eu lieu avant eux ; dans le savoir que si (presque) tout a déjà eu lieu avant eux il resteencore, grâce à eux, pour eux, pour qu'un groupe d'acteurs naisse, dans sa diversité de pensée, de corps et de parole, mais aussi dans une commune exigence.

L'exigence est le maître mot. Qui est de creuser et de labourer l'espace du plateau sans relâche dans l'amour des langues du théâtre et des histoires qu'il est encore le seul à pouvoir raconter aux hommes dans le concert assourdissnt (et si souvent lénigiant) du monde.

Ils sont là, derrière.

On va commencer par la genèse. Apprendre à les regarder, les écouter. Donner des pistes à explorer sans savoir le bout du chemin - ou même s'il mène quelque part. Baliser dessentiers d'abîme en leurs commencements. Ne rien tenir pour évident. Aller y voir, en soi, dans la chair de la parole etdans l'esprit qui préside au corps. Se pencher. Regarder au ciel du théâtre. Les jeunes et les vieux, les vieilles délaissées et les jeunes séduites. Les dieux, les maîtres et le peuple des outragés. S'emparer. Etre emparé. Un temps. Avant qu'au cours de cette année quelques longues aventures avecdes textes nécessaires et de nécessaires distributions ne voient le jour, laisser libre cours à l'essai partiel, partial. Juste commencer à gratter là où ça démange, l'envie d'aller.

Ce qui veut dire, pour ces trois premières semaines : pas de programme.

Ce qui veut dire : tout un programme.
Celui de l'atelier tel que nous le pratiquons. Juste pour soulever un coin du voile des mystères. Un début d'agissement. Pourfaire école de tout, en leur commencement.

1994 : Il écrit TDM 3.
1994-1995 : écriture de Gibiers du temps : "un texte générique sur ce que nous sommes, comment nous sommes dans le monde à travers le mythe de Phèdre".

Genevilliers, décembre 1995

UN PEU PLUS TARD...

"Ce sont eux. Ils sont là, encore, devant mes yeux. Ils s'avancent, immobiles.
Ils tiennent, s'avançant, l'immobilité et la fureur, et la beauté, la toute simple.
Ils tiennent. Ils hésitent. Il est bon d'hésiter. Ils ouvrent. aussi, ils ferment.
Il est bon de fermer quelquefois, souvent, de retenir, de n'oser pas.
Ils sont près de vingt. Ils tiennent. Ils sont ensemble, l'Ensemble rêvé, encore (évidemment) inaccompli. C'est heureux.
Ils sont ces acteurs en travail qu'il fallait aux Juifves de Garnier ;
pour contribuer à faire entendre Les Juifves de Garnier, il fallait ces acteurs qui acceptent d'être en travail ;
qui acceptent d'être au bord d'eux-mêmes et dans le plain-chant de la communauté des hommes, des femmes, des Juifves.
C'est un choeur, multiplié par chacun, unique, livré.
C'est une assemblée de fous-disant la folie de la langue Garnier, de la captivité de Babylone - aussi de toutes les autres, en ces temps d'aujourd'hui, ni plus ni moins bouleversés, peut-être encore plus barbares sous le fard.
Ils sont (surtout, avant tout) ceux qui justifient l'Ecole de n'être rien d'autre que l'endroit de l'expérimentation et de l'épreuve.
Il faut des acteurs pour cela. Donc des êtres humains. libres. Rigoureux. Disponibles. Hésitants..."


1995 : écriture de Contention, un baiser de rideau.

Février 1996

DOM JUAN, CHIMERE,
UN VOYAGE ALENTOUR

Sans doute encore un peu tôt pour en parler. Comme ça. tout de suite. En général, je n'aime pas beaucoup parler du travail qui n'est pas commencé. Je veux dire, dans ma tête. Mais là, il faut bien. Il est dans l'usage de le faire, me dit-on. Il est aussi dans l'usage du Groupe T'chan'G de créer partout où c'est possible l'atelier du Groupe T'chan'G. C'est sûrement cela le plus important : dire que ce sera, pour un temps, avec ceux qui voudront bien l'atelier du Groupe T'chan'G. A Rennes. Dans et alentour de Dom Juan (de Molière). Dans et alentour de Chimère et autres bestioles (de Gabily). Surtout alentour. Il y a beaucoup de matière alentour ces deux textes - pour différents qu'ils soient ou semblent être. Matière à s'interroger et matière à jouer, un peu. (En quinze jours, on ne pourra faire [tenter] le maximum d'un peu.) Des Espagnols à Thomas Corneille, de Scarron à Bataille. Scènes de séductions et d'athéisme. Scènes du commerce du désir et scènes de rapports de classe. Rien que du vrai théâtre dans les replis de l'inavouable et du secret. rien de plus fort que le secret qui se claironne. Où est le secret, une fois que le secret a été claironné ? S'agit-il de ce secret qui a été claironné dont ça parle, ces rapports (de classe, de copulation) en scène, ces aveux, ces relations ? Qu'en est-il de la langue, des langues qui peuplent le plateau ? Et encore d'autres questions que nous tenterons de poser en acte. Voici les faits : comment les dire ?

Février 1996

C'EST SANS DOUTE VOULOIR DIRE QUE TOUJOURS LE DESIR DOMINE. Toujours. Rien de plus. Et que c'est toujours guerre à l'Autre. Toujours. rien de plus. L'une des pièces (Dom Juan) est, dit-on, "une comédie" ; l'autre (Chimère - qui utilise les mêmes personnages principaux, les ci-devant Dom juan et Sganarelle, ou des clowns assez semblables), "une féerie". Je n'y vois, à cette heure (mais n'est-il pas trop tôt ?) que du désordre. Un désordre profitable, n'en doutons pas. C'est ce que je percevais du désordre du monde (le nôtre) qui me fit écrire Chimère - cette pochade avec deux idiots devisant (philosophant ?) sur la réalité du désir et pour ne pas mourir - revisitant à la lampe torche et au crayon gras Dom Juan et ses suites sadiennes. Près de trois siècles plus tôt, un dénommé Molière, dans le désespoir de ne pouvoir monter le Tartuffe, tentait un dernier coup de gauchissement, une sorte de dérive moralisatrice et dell'arte à l'usage de ses principaux financiers (les nobles, la noblesse, le roi), revisitant, réinventant une pièce espagnole qui avait plu à tous, et qu'il nomma Dom Juan. On sait ce qu'il en advint : un mythe, après l'insuccès premier. Sans doute l'un des seules mythes européens qui ait travaillé (qui nous travaillent) autant que ceux que les Grecs s'inventèrent, s'édifièrent en leur temps. C'est que tout Dom Juan (la pièce, le personnage) est traversé par la haine du monde qui n'est pas Soi. Par tout ce qui revient au même. Chimère tenterait de dire que ça a beaucoup changé avec (ou malgré) tous les progrès faits dans l'art (la science ?) de la destruction du proche et du lointain ; le reste, l'Histoire, le reste, le rapport à l'autre, etc.
Rire, ici.
C'est une comédie.
Entre la terre qui s'ouvre pour engloutir le soi-disant pécheur dans Dom Juan et le repas anthropophage qui achève Chimère, ça a vraiment beaucoup changé, sûr. Dieu est définitivement mort (n'en doutons plus, quoi qu'ils veuillent nous faire accroire) et les hommes (membrés, de sexe masculin) ne savent plus se faire respecter - c'est ce qu'on voit dans Chimère : des femmes qui se vengent. Sauf en temps de guerre. Mais justement, c'est la guerre, et cruelle, et incertaine. Description des horreurs de. Où se joue Chimère. Une de nos modernes guerres avec tout le bataclan du progrès des armes à feu et à philosopher. Une autre vraie. Où des femmes, des séduites, se vengent de la négation d'être, se sachant l'Autre, absolu. C'est bien le moins. C'est avec ça qu'on va faire. avec ça qu'on fera, d'abord.

1996 : interruption des répétitions de Dom Juan & Chimère, par la mort de Gabily.

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