Gabriel Randon

dit Jehan Rictus

(1867-1934)

 

Boulogne-sur-mer, le 3 septembre 1867

Décédé à Paris, le 6 novembre 1933

Une nourrice le déclare à l'état-civil. Seule sa mère est mentionnée : Adine Randon. (En réalité Domitille-Camille-Gabrielle-Adine Randon de Saint-Amand. Ce « de Saint-Amand » facultatif ne renvoit à aucune famille noble, ce que le poète sut assez vite.) Adine était fille de Joseph Randon, militaire en retraite mort deux ans après sa naissance, et d'une britannique Rosavinia-Fetillia Collington.
Le père non mentionné s'appelait Mandé Delplanque. Il semble que ce fut un professeur de gymnastique ayant ses activités en Angleterre. (Notons que la mère n'avait pas reconnu Gabriel non plus. C'est en tous cas ce qui était admis à la mort de celui-ci.) Après un séjour en France, enfance en Grande-Bretagne. Début de scolarité en anglais.
Fréquentes scènes de ménage entre les deux parents.Vers 1876 : Gabriel a 9 ans. Sa mère et lui reviennent définitivement en France.
Ils s'installent à Paris. Adine Randon y est, un temps, figurante au Théâtre des Variétés et à l'Opéra. Plus tard, sous le nom de Gabrielle Randon, elle publiera à compte d'auteur des livres, notamment de poèmes. D'évidence elle est folle, hystérique. Elle a pris son enfant en grippe, le maltraite. Le roman Fil-de-Fer mettra en scène ce couple infernal mère-fils : l'auteur n'eut nul besoin de caricaturer. Quant au père, très vite il disparaît sans laisser de trace.

1881 : Sa mère le retire de l'école (après le certificat d'études) et le met à faire de petits métiers.
Vers 1885 : Vers l'âge de 18 ans, il se sépare définitivement de sa mère. Commence une existence de misère. Il exerce d'autres petits métiers, généralement manuels, en change fréquemment. Il s'est passionné pour la poésie et fréquente les autres poètes de la bohème montmartroise. Il compose des poèmes de forme tout à fait classique.
1886 : Commence une période noire : s'étant retrouvé sans logement, il ne peut compter que sur l'hébergement d'amis, se retrouvant sinon à la rue.
1887 : Premières parutions de poèmes dans Le Mirliton (revue d'Aristide Bruant). Puis dans d'autres revues.
1889  : Février : Ramassé à demi-mort, il est hospitalisé à Lariboisière.
À sa sortie, appuyé par José-Maria de Heredia, il trouve une place à la Préfecture de la Seine. Il occupera ainsi divers postes d'employé... mais avec une telle mauvaise volonté qu'il est toujours rapidement congédié.
1891 : Il se passionne pour l'Anarchisme (comme beaucoup de bohèmes de son époque) s'enflammant notamment pour sa variante violente (compose une Élégie de la dynamite).
Il participe au « magnificisme », mouvement littéraire que Saint-Pol Roux tente d'organiser. Il travaille à un poème ambitieux, La Dame de Proue, dont ne seront publiés que des extraits.
1892 : Il travaille à L'Imposteur, un roman de propagande anarchiste racontant le retour du Christ dans la France de l'époque. Le roman ne sera jamais achevé, mais on en retrouvera l'idée dans le poème le plus connu de l'auteur : Le Revenant. Il fait du journalisme. Première apparution du pseudonyme « J. Rictus ».

1893 : Décembre : Il organise un essai de lecture publique de poésie, aux concerts d'Harcourt (fiasco).
1895 : Pour se sortir de la misère (sans la haute prétention artistique et sociale qu'il affirmera plus tard), il se résoud à composer des « soliloques » faisant parler un miséreux en octosyllabes et en langue populaire, et de les réciter lui-même dans des cabarets. Naissent ainsi L'Hiver puis Impressions de promenade.
Le 12 novembre, il fait ses débuts aux Quat'z-arts, Boulevard de Clichy. Il a pris pour cela le pseudonyme de Jehan Rictus (bien plus tard, il insistera pour qu'on l'écrive “Jehan-Rictus” avec un tiret).
1897 : Première édition des Soliloques du Pauvre. Le poète devenu chansonnier se produit au Chat Noir jusqu'en 1901.
1898 : 21 septembre : Jehan-Rictus commence à tenir son Journal Quotidien : ce journal intime comportera plus de 30 000 pages à la mort de l'auteur. À cette époque, commence la plus durable de ses liaisons amoureuses : Cécile Dard, fille-mère, modiste, par ailleurs plus ou moins entretenue par un vieillard. Cela durera jusqu'en 1908.

1900 : Parution de Doléances (Nouveaux Soliloques) contenant "Crève-Cœur", "Complainte des petits déménagements parisiens", "Le Piège"... Ce volume eut peu de succès.
1902 : Parution des Cantilènes du Malheur (mince plaquette : essentiellement La Jasante de la Vieille).
1903 : Édition définitive des Soliloques du Pauvre, comportant 110 illustrations de Steinlen, véritable co-auteur de cette BD avant la lettre. Jehan-Rictus lui-même, en aristocrate déchu, prête sa silhouette au Pauvre. Il s'agit de préciser au lecteur que ce “Pauvre” n'est pas n'importe quel miséreux, mais bien “l'Artiste”, le poète lui-même. Par ailleurs en sont retirées les pièces de la première édition détonant avec ce personnage. Jehan Rictus est adopté comme “Poète des pauvres” malgré lui. Parution du pamphlet Un bluff littéraire, le cas Edmond Rostand.
Léon Bloy, qui fréquente abondamment Jehan-Rictus à cette époque et que celui-ci cherche à aider, fait son éloge dans "Le dernier poète catholique", une étude qui terminera le livre Les Dernières Colonnes de l'Église.
1904 : Paris qui chante publie une première version de la Charlotte. 14 août : Sa mère, en furie, lui rend visite à l'improviste... Une scène piteuse qui a lieu en présence de Léon Bloy.
1905 : Dimanche et lundi férié, ou le Numéro gagant (pièce en un acte) est jouée et imprimée.
1906 : Fil-de-Fer, roman autobiographique. Mars : Sa mère revient à la charge. Il lui versera une pension.
1907 : 15 mai : mort de sa mère. Rictus prend concience de l'état de folie dans laquelle elle avait succombé.
Auto-publications isolées de deux nouveaux poèmes : "La Frousse" et "Les Petites Baraques".
Pour le reste, et jusqu'en 1910, il traverse une période noire en terme d'inspiration : il bacle des écrits alimentaires dans des revues, travaille au "Bel Enfant" qui ne sera publié intégralement qu'après sa mort.
1910 : Il se remet à des poèmes d'inspiration populaire que lui publie la revue Comoedia : "La Grande Irma", "Idylle", "le poème-roman Pauvre Julien"...
1914 : .. le Cœur populaire, le deuxième grand recueil de poésie, réunit les principales pièces ne rentrant pas dans le cycle des Soliloques du Pauvre.
Une ex-maîtresse donne naissance à un enfant (une fille) dont il est sans doute le père. Pendant la guerre : Jehan-Rictus affiche des opinions très nationalistes. Dans le même temps sa poésie devient très populaire parmi les “poilus”. Après 1918 et jusqu'à la fin, il écrit difficilement (si ce n'est son journal et une abondante correspondance), ne publie plus rien d'important. Il subsiste néanmoins correctement, de ses droits d'auteurs, revenus de récitals, subsides d'amis...

1930 : Jeanne Landre, une amie de longue date, publie Les Soliloques du Pauvre de Jehan Rictus. C'est le premier ouvrage à lui être consacré. Elle n'y raconte que les débuts du poète, et brode beaucoup sur la réalité. C'est la source de nombre d'inexactitudes répétées depuis.

1933 : Le 22 mars, il participe à un gala de L'Action française : il ne fut jamais affilié à ce mouvement, contrairement à ce qui fut dit, ni à aucun autre, mais lisait avec grand intérêt son quotidien depuis les années d'après-guerre.
Le 12 juillet, il est décoré de la légion d'honneur. Dans la même promotion figure Max Jacob.
Le 6 novembre, il meurt. Aucun héritier connu : l'État hérite de ses manuscrits.

L'utopie réalisée de la Commune...

site biographique et textes

 

Le IIème Livre des masques (1898)
de Remy de Gourmont

Montmartre et ses chansons (1902)
par Léon de Bercy (1857-1915)

Extraits
Dernières colonnes de l’Église (1903)
de Léon Bloy

"Jehan Rictus est un de ces monstres de mélancolie et de pitié qui ne connaissent pas Dieu et qui crèvent de l’amour de Dieu. Voilà tout. L’espèce n’en est pas très rare. Peut-être y en a-t-il beaucoup, mais aucun n’est poète comme lui, eût-il mariné, à son instar, dans la plus atroce misère. Quand je dis l’amour de Dieu, il est entendu que je ne parle pas de l’amour d’un Dieu quelconque, Dieu identique des « bonnes gens » ou des maquereaux, mais de l’Amour de Jésus-Christ, tel que l’ont pratiqué les Saints, de l’amour qui fait que les hommes pleurent comme pleurent les petits enfants et qui agenouille dans la crotte les indomptés..." Léon Bloy, "Le dernier poète catholique" in Les Dernières Colonnes de l’Église (1903)

Léautaud (1933)
"[...] On a recommencé le rapprochement de Rictus avec Villon : la même veine, la même inspiration, le Villon de notre temps. C’est un monde de la bêtise. Quand on songe au lyrisme de Villon, à sa pureté, à la sorte d’aristocratie qui s’en dégage, à tout ce grand art de vocabulaire et de rythme, mettre Rictus à côté ? C’est de la littérature pour clochards, ce qu’a écrit Rictus, une littérature même assez répugnante. Je me rappelle, quand j’étais tout jeune homme, je l’ai entendu une fois dire ses affaires dans un cabaret, j’avais déjà cette opinion, j’ai toujours été porté à voir chez lui, à ce sujet, plus de truc que de sincérité. L’idée m’est venue ce matin d’en parler à Valette et de lui demander ce qu’il en pense. Tout à fait de mon avis. Exagération. Manque de mesure. Aucun rapport. Pas plus que Richepin, qu’il m’a rappelé qu’on a aussi comparé à Villon. Il est aussi tout à fait de mon avis sur ce merveilleux phénomène littéraire que représente Villon, cette durée de son oeuvre, qui semble écrite d’hier, dont tout est resté sensible pour nous après si longtemps, et qu’il y a là un sujet de réflexions littéraires inépuisables."
(Journal littéraire, 23 mars 1933)

 

Autres critiques

Spectacle Rictus
par le Théâtre de l'Hyménée

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