Coco

pièce inachevée

(1989)

de Bernard-Marie Koltès (1948-1989)

03/03 > 07/03/2009 - THÉÂTRE DE LA JONQUIÈRE

Huis-clos mettant aux prises Coco Chanel et sa domestique Consuelo, la pièce créée il y a quelques semaines dans une mise en scène de Chloé Bernadoux, exaltant toute la puissance tragi-comique, la dimension à la fois cruelle et onirique de ce texte fragmentaire.

A sa mort en avril 1989, quelques mois après avoir mis le point final à son Roberto Zucco, l’écrivain Bernard-Marie Koltès laissait derrière lui plusieurs projets de théâtre à l’état fragmentaire. Parmi eux, Coco – pièce mettant aux prises Coco Chanel (à laquelle le manuscrit est dédié) et sa domestique Consuelo, durant les derniers jours de la plus iconique des figures de la mode. Seules trois scènes nous en sont parvenues, qui laissent entrevoir quel nouveau chef-d’œuvre théâtral l’écrivain s’apprêtait à en tirer : entre la maîtresse, prise d’une peur panique en sentant peu à peu ses forces l’abandonner, et sa domestique, tour à tour rudoyée ou révoltée, humble ou triomphante, se noue un jeu sado-masochiste dont la langue brillante de Koltès tisse la trame – au fil duquel on oscille en permanence entre le rire et les larmes, la pitié et la cruauté, la comédie et la tragédie. Un jeu qui est aussi une ultime partie de cache-cache, ou d’échecs, avec la mort, sous les yeux de laquelle les deux protagonistes se débattent et se déchirent avec une énergie qui est peut-être celle du désespoir.

Si Chloé Bernadoux a choisi de porter, pour la première fois, ce texte inachevé à la scène, c’est parce qu’elle voit dans l’apparente pauvreté de ce matériau textuel un atout – la matière même de la pièce : « Le texte de Coco n’a pu être achevé par son auteur. Au lieu d’être une contrainte, cette particularité fait sens et nourrit le propos de la pièce. Car on n’achève pas Madame Coco. La question centrale de la mort reste suspendue dans le néant. » Car c’est bien cette question affolante qui parcourt la pièce comme un frisson délétère : « Que ferons-nous lorsque le jour viendra ? Quand nous entendrons les dernières secondes de notre vie s’écouler comme des heures ? » – une question qui, bien évidemment, fait écho à la destinée tragique de Koltès.

La manière dont la metteur en scène, qui interprète également le rôle-titre, a étiré ces trois scènes ne rend que plus forte cette sensation de temps arrêté, et presque palpable cet écoulement tragique des instants ultimes d’une vie. Sur la scène, tout est arrêté : une pluie de robes fixée au plafond semble figurer une armée de fantômes, à la fois implacable et fragile, tandis que le sol est jonché de verres qui tour à tour scintillent ou menacent, dans lesquels s’entassent les mégots de cigarettes ; dans un coin, un phonographe tourne en silence sur lui-même. Au milieu de ce cabinet de curiosité à la fois dérisoire et onirique, Coco Chanel soliloque, avalée par un vaste fauteuil en rotin. Sa pâleur cadavérique, son abattement fébrile contrastent avec la vie qui par saccades surgit de Consuelo. Raide comme un mannequin de cire, vêtue d’une robe rouge vif et perchée sur des talons démesurés qui entravent ses déplacement, la comédienne Leslie Auguste insuffle une complexité saisissante à ce personnage quasi muet. Pavant de leur présence cette pièce tout en béances, les deux actrices semblent deux marionnettes se débattant dans quelque crépuscule qui préluderait à un « voyage au bout de la nuit » – « In the cold, cold night », pour paraphraser la chanson des White Stripes dont la mélodie conclut la pièce sur un ultime point de suspension.

David SANSON

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