Lars Norèn

(1944-

 

Suède

Pur : entretiens France Info, 2009

 

 

2007 : Anna Politkovskaia in memoriam

 

2007 : Détails

 

Entretien, 2007

« Le public et les acteurs doivent respirer ensemble, écouter ensemble.
Dire les choses en même temps. Je préfère un théâtre où le public se penche
en avant pour écouter à celui qui se penche en arrière parce que c’est trop fort »

Septembre 2002

Comme beaucoup d’écrivains scandinaves, Lars Norén a commencé par écrire des poèmes. Son premier recueil (1963) Lilas, neige. Le deuxième, Résidus verbaux d’une splendeur passagère est écrit l’année suivante, composé de poèmes éclatés, presque convulsivement maintenus ensemble à tel point que l’on a de la peine à les distinguer les uns des autres. Les images les plus inattendues s’affrontent, reviennent et se confondent dans le dégoût et le désespoir, mais sont aussi présentes la révolte et une farouche volonté de vivre.

A vingt ans (1964), c’est l’hôpital psychiatrique, diagnostic : schizophrénie, traitement : hibernation et chocs électriques. Il ne cesse pas pour autant d’écrire.

Après Salomé, les sphinxes (1968), composé de réflexions, de poèmes et de textes en prose où se retrouvent certains accents de ses premiers recueils, vient Revolver (1969) où surgissent les thèmes politiques. Dans Poèmes solitaires (1972), il s’agit de la vie quotidienne, solitaire et paradoxalement commune, absurde, détestable et merveilleuse. La forme se fait plus simple, plus fermement organisée, la parole est aussi plus abondante mais en même temps plus laconique, les images plus brèves acquièrent une nouvelle autorité. Les recueils de poèmes de Norén se suivent pratiquement tous les ans, le tout aboutissant à un émouvant poème d’amour, Le cœur dans le cœur (1980).

En 1970, un roman : Les Apiculteurs. C’est l’image fiévreuse, amère et allègre, d’une jeunesse qui vit de petits vols, de filles, de drogue et de surveillance policière et sociale. Ce devait être le premier volet d’une trilogie. Le deuxième Au ciel souterrain (1972) n’en est pas la suite mais un autre versant : au centre du livre, la relation homosexuelle entre deux garçons dont le plus dominateur vit également avec une fille qui se prostitue pour lui. Si l’écriture reste alerte et réaliste, comme dans le premier roman, la vision est obsessionnelle.
Le troisième volet de la trilogie n’a jamais vu le jour.

En 1973, Lars Norén débuta comme auteur dramatique, avec Le lécheur de souverain, commande du théâtre Dramaten de Stockholm. Ce fut un échec, certainement douloureux pour l’auteur déjà très apprécié par toute une génération qui se retrouvait en lui. Peut-être avait-il tort de situer l’action au XVe-XVIe siècle, dans une Europe mi-italienne, mi-allemande et d’essayer d’en endosser les oripeaux. Peut-être ses visions et ses provocations, souvent assez crues, n’arrivaient-elles pas à passer la rampe. Pourtant lors de sa reprise à la fin des années 80, elle devint un succès à scandale.
Quoiqu’il en fût, Lars Norén revint quelques années plus tard au théâtre avec des pièces contemporaines, ancrées dans son autobiographie et soumises à l’éclairage particulier qu’il pouvait y apporter.


La première pièce de cette veine, La force de tuer, est signée en 1978 ainsi que Acte sans pitié. Elles furent publiées en 1980 avec une troisième pièce Oreste, jusqu’à présent son dernier retour à un monde mythique et historique.

Délaissant, du moins en apparence, poésies et romans, Lars Norén n’écrit plus que pour le théâtre, la radio ou la télévision, et sa production est abondante.
Les pièces se suivent, procédant par légers décalages et présentant souvent, en apparence, des
conflits identiques sous des éclairages un peu différents. Tout est à la fois indispensable et inéluctable et l’on atteint une sorte de « temps réel » mais d’un niveau supérieur, d’une intensité jamais relâchée, où chaque mot compte, apportant sa nuance et sa blessure. Ou alors, on pourrait dire que pour Lars Norén le temps n’existe pas.

Nouveau tournant dans l’œuvre de Norén (certains journalistes écrivirent même que ce fut un tournant pour le théâtre suédois) : Catégorie 3.1 (1997), épopée théâtrale traitant du côté sombre de notre société. Ce fut l’une des productions théâtrales les plus discutées dans la Suède des années 90, et fut également tournée pour la télévision suédoise. Norén sort des étroits cercles familiaux pour aller dans les rues de Stockholm où l’on trouve les plus démunis, ces voix qui ne sont jamais entendues dans la Suède moderne.
Le théâtre de Norén devient « sociologique » : est abordée la tragédie des sociétés contemporaines, des bas-fonds et de la grande misère des métropoles occidentales.
 Ce dialogue familier et agressif, tour à tour insinuant et brutal, ce dialogue de tous les jours, Norén en avait déjà capté dans ses romans, les tonalités « réalistes » - vocabulaire et rythme.
Ici dans ses pièces, les premiers pas psychologiques aboutissent rapidement à un état visionnaire. Par ses allusions, ses pièges et ses attaques soudaines, ce langage est fait pour se retrouver en nous, dans notre parler quotidien, exprimé ou subconscient, et nous impliquer dans ce monde envoûtant que nous ne connaissons que trop bien : l’enfer.

Depuis 1999, Lars Norén est directeur artistique du Riks Drama au Riksteatern (Le Riksteatern est le théâtre national itinérant suédois, il produit uniquement des spectacles en tournée . Il présente différents spectacles de théâtre (classique, moderne, pour enfants, pour un public de sourds et de muets etc), de danse, musicaux. Le Riks Drama est l’une des « troupes » du Riksteatern.)
Voici le texte d’ouverture de la saison 2003.
« Depuis ses débuts, le Riks Drama s’est appliqué à explorer les pièces cachées à l’intérieur et autour de l’homme. Les thèmes de nos premières années de Théâtre ont été crime et châtiment, bien et mal, santé et maladie. Les pièces de ces dernières années ont abordé le thème de la mort et son influence sur nous tous au milieu de la vie. Ce furent de tumultueuses et fantastiques années. Et maintenant nous poursuivons notre chemin.
Beaucoup de gens aujourd’hui, parlent d’un sentiment d’incertitude et de crainte. Ils reconnaissent et se sont habitués à ce voile sombre tombé sur toute chose dans la société. Mais tout le monde n’est pas exposé au danger / ne se sent pas menacé – quelques personnes exploitent le vide qui émerge dans le sillage de l’insécurité et l’utilisent comme forum pour la brutalité et les actes sans pitié. Elles expriment des idées de vengeance, condamnation, châtiment à vie, solutions radicales et antagonismes. Tout ceci mène à une commune impuissance.
Nous voulons tenter de combattre une telle attitude à travers nos productions et avec notre projet L’homme est bon. C’est un projet qui est apparu après le résultat de notre travail sur Rannsakningen, un besoin était alors évident : des gens de tout le pays voulaient continuer à travailler ensemble pour qu’eux et leurs proches puissent se sentir vivants et engagés, ceci à travers la culture et ses manifestations. Pour que les gens se rencontrent sans barrières – de générations, de classes ou de cultures -, pour qu’ils remplissent leur vide avec du sens et fassent qu’on se regarde soi-même ainsi que les autres. Il y a une gravité et un potentiel entre nous tous qui doit être utilisé. Ainsi nous pouvons aller plus loin, voir plus clair et comprendre plus profondément que si nous continuions notre chemin normal.
Ce que nous voulons faire n’existe pas encore. C’est quelque chose qui doit être créée. Nous avons mené à bien une étape et nous devons aller de l’avant, laissant derrière ce que nous avons précédemment accompli. Nous ne savons pas ce que le futur a à offrir, ni où nous allons et quels problèmes seront les plus importants. La seule chose que nous savons est que nous avons à oser explorer le monde hors théâtre et hors scènes théâtrales. Nous devons aller dans les prisons, dans les égouts, dans les endroits de réadaptation des victimes de tortures, dans les camps de réfugiés, dans les écoles et les maisons de retraite. Nous devons les adresser à ceux auxquels nous voulons parler directement – la seule chose ayant un sens est d’aller en face de notre camarade.
Le Riks Drama a pour vocation d’offrir la possibilité d’une démocratie plus profonde à travers la culture et les réseaux qu’il génère et nous nous efforçons de travailler comme un fer de lance à la fois artistique et culturellement politique
».

Lars Norèn, Lennart Hjulström et Ulrika Josephsson

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