Septembre.doc

(2005)

de Elena Grémina (1956- & Mikail Ougarov

Version spectacle - non publiée
traduction Tania Moguilevskaia, Gilles Morel

Extrait du texte

PREMIER BLOC - LE PARFUM DE MUSC

N°1 MOUSLIN KHASSOUEV
Salam al’ikoum Frères et Soeurs musulmans, je voudrais vous raconter l’histoire de mon frère. Il s’appelle Raslif Muslin. Cette histoire raconte comment il est devenu Chahid et comment moi je ne le suis pas devenu. On était à l’Académie d’Agriculture à Sernovos. On discutait toujours beaucoup ensemble. Et on mangeait aussi des brochettes. Un jour, nous avons décidé de nous engager sur le voie du Jihad. Tout allait très bien entre nous, mais un jour Chaïtan nous a brouillé à cause d’une autre personne. D’abord j’ai pensé que je ne lui pardonnerai jamais. Malgré tout, le lendemain je suis allé chez lui pour qu’on redevienne amis. Mais il se trouvait qu’il était déjà parti. Pendant le passage des gorges de Pankis, sur la route de la Tchétchénie, il est devenu Chahid. Sa mère a été récupérer son corps chez les forces fédérales russes. Quand le colonnel kafir a appris qu’elle était la mère de ce tchéchène qui a donné son âme pour sa terre, il l’a saluée. Je suis sûr qu’il m’a pardonné. Moi, je lui ai pardonné.

N°2 MAIERBEK
Moi, je vais vous parler de mon cousin. Pendant le combat sur la Place Minutka. Après l’ordre de battre en retraite il a dit qu’il allait rester pour couvrir nos arrières. Il est resté dans une des maisons particulières. Il a tenu pendant deux heures. Après il s’est retrouvé coincé et à court de munition. Les russes ont encore attendu une heure avant d’entrer dans la maison. Mahmet était là pour les accueillir. Il était blessé, il avait un poignard dans la main. Avant d’être abattu, il en a tué trois. Tout cela, c’est un général russe qui l’a raconté, avec un drapeau blanc, il a porté le corps chez les moujaheds et il a dit : « Si vous avez un homme comme lui dans chaque détachement, vous allez gagner cette guerre ». Sa mère garde toujours chez elle le poignard couvert de sang séché.

N°3 KHAMSAT GELAIEV
Il y a eu un combat dans les montagnes du Daguestan. Khamsat Gelaiev a été attaqué par un hélicoptère militaire russe. Il a perdu un bras mais il a continué à combattre jusqu’à ce qu’il meurt d’hémorragie. Les occupants russes ont tiré pendant des heures sur le cadavre du commandant. Ensuite, ils se sont approchés et ils ont vu que dans sa main valide, il tenait une grenade à moitié dégoupillée. Après sa mort, les médias russes se sont délectés de l’histoire de ce commandant tchétchène mort à quattre pattes. Ces imbéciles ignorent qu’en faisant cela, ils ont témoigné devant le monde musulman que le commandant tchétchène est mort dans la posture du suchud, la position dans laquelle le fidèle prosterné se trouve au plus près de son créateur. C’est ainsi qu’Allah fait parvenir ses messages aux Fidèles et ces messages restent cachés pour les Infidèles.

N°4 ABDHUL
Abdhul était mon voisin. C’était un sacré rigolo. Quand il est devenu Chahid, on était en plein combat. Nous cédions une pierre après l’autre, nous n’étions que vingt-cinq et les Russes beaucoup plus. Cela faisait trois jours que je ne l’avais pas vu bien alors que trentre mètres nous séparaient. Je décide de l’appeler par la radio. Je lui dis « Ecoute Abdhul, tu me manques et tes blagues me manquent ». Il me dit : « Attends une seconde ». Et voilà que je le vois surgir à une fenêtre et vider son chargeur en direction des Russes. C’était sa nouvelle blague. Une demie-heure plus tard, j’ai appris par la radio qu’Abdulha était Chahid. Vous ne pouvez pas imaginer ce que j’ai ressenti. C’était mon ami et j’étais habitué à lui depuis l’enfance. Maintenant, il n’existe plus. Avant qu’Allah ne récupère son corps au ciel, il a fait exploser une voiture blindée russe et il est devenu Chahid.

N°5 ALKHAZOUR
Quand les Forces Spéciales sont venu arrêter Ahkasour, il avait dix-neuf ans, il était chez lui, dans l’appartement avec sa mère. Les soldats ont commencé par essayer de lui passer les menottes. Il leur dit : « Ne faites pas ça devant ma mère ». Sa mère a crié : « Ahkasour, ne fais pas cela. Je sais ce que tu as en tête. Ne le fais pas. Tu es mon fils unique ». Et là, il a dégoupillé une grenade et c’est à ce moment-là que son âme s’est envolée au ciel. Et cette âme a emporté avec elle trois âmes russes, mais dans la direction complètement opposée.

N°6 LES OISEAUX VERTS
Quand nos Frères meurent, Allah dépose leurs âmes dans les entrailles des oiseaux verts qui s’abreuvent dans les ruisseaux du Paradis et se reposent sous des lampions dorés à l’ombre des terrasses. Allah leur pose la question : « Que voulez-vous, mes esclaves ? ». « Nous voudrions que nos âmes réintègrent nos corps pour poursuivre le combat et avoir l’occasion de mourir encore une fois. »

N°7 OUAZIK
Un des frères Ali est devenu Chahid. C’était au tout début de cette guerre, pendant le mois du Ramadan. Un jour j’arrive à la base et je vois mes Frères rassemblés autour d’une voiture. Ali, c’était quelqu’un de rigolo et c’était un homme bon. Et là, il était couché, allongé sur le plancher de la voiture. Nous, on était autour. Trois minutes plus tard, on a commencé à sentir un parfum de musc. Ce souvenir me donne toujours des frissons. J’étais là et j’avais peur que... Je pensais que j’étais le seul à sentit cette odeur. Mais j’étais sûr que c’était Ali qui la répandait. C’était le mois du Ramadan, lui, il était sur la voie du Jihad. Avec nous, il y avait un gars qui venait de Moscou, il avait abandonné ces études supérieures et acheté un équipement militaire avec son propre argent. C’est lui qui le premier a dit : « Allah achbach, mes Frères, sentez-vous le parfum que répand le corps d’Ali ? » Tout le monde sentait mais personne n’osait le dire, comme moi. Pendant trois ou quatre jours, la voiture a continué de sentir le musc. Même les Etrangers venaient sentir.

N°8 LE PARFUM DE MUSC
Un commandant qui avait un himan très fort a été projeté contre un mur pendant le combat. Il est mort en pointant le doigt vers le ciel, symbole du dieu seul et unique. Deux gars de notre détachement l’ont enterré. A leur retour, tous les deux sentaient très fort le musc parce qu’ils avaient enterré un Chahid.

Un autre Chahid a perdu les yeux à cause d’éclats d’obus. A l’instant de sa mort, il a dit : « Ce que je vois est beau ! »

Souvent les proches des morts mettaient des mois à récupérer les corps auprès des Russes. Et après les avoir récupérés, ils s’apercevaient que ces corps ne portaient aucune trace trace de décomposition. Ils avaient l’air de dormir. Les corps qui ne sont pas atteints par la putréfaction, le parfum de musc, le visage souriant, voilà les signes qui permettent de reconnaître un Chahid.

N°9 FIRDOUZ
Vous vous souvenez du portail rouillé de notre quartier général ? On pouvait lire « Firdouz, une des meilleures portes pour le Paradis ». Et juste à côté, il y avait un autre écriteau : « Interdit aux Etrangers »

N°10 L’ENVIE BLANCHE
Subhanalah... J’envie ces Frères, Allah achbach, ils ont eu de la chance. Allah achbach, je n’ai pas les mots pour l’exprimer. Moi aussi j’ai connu quelques Frères dont Sahpran. Je l’aimais et je l’aime toujours. Il s’est fait tuer pendant la tentative d’assassinat contre Bassaïev. Ils se sont trompés de voiture. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai pleuré. Ce n’était pas de l’hystérie. Je pleurais parce que je l’enviais. Je les envie tous, Allah achbach, ils ont eu de la chance.

N°11 CHAFRAN
Ainsi nos Frères quittent ce monde. Ils deviennent des oiseaux verts au Paradis. Leurs blessures brillent et ils répandent un parfum de musc. De cette odeur, la terre tchéchène toute entière s’est imprégnée au cours des dix dernières années.

N°12 LA LISTE DES CHAHIDS
Voici la liste des Chahids d’un arrondissement en Tchéchénie (Suit la liste de vingt-quatre noms de marthyrs - percussion)


DEUXIEME BLOC - LE PREMIER SEPTEMBRE

N°13 AU TELEPHONE

LES HOMMES
Allo... Allo !... Tu dors ou quoi ? T’as entendu la dernière nouvelle ? Les putes tchéchènes se sont emparées d’une école.

Putain... Il fallait les buter dès le début au lieu de laisser traîner. Quelle saloperie. Enculés de primates.

LES FEMMES
On commence à avoir peur tout le temps à Moscou. D’abord les avions, ensuite l’attentat dans le métro. On se sent impuissant.

Tu sais ce que je pense... Heureusement que cela ne se passe pas chez nous.

Je suis bien d’accord.

LES HOMMES
Allo... Allo... Allo!... Allo!

Allo !... Tu veux que je te raconte une histoire drôle ?

Vas-y !

C’est un mec qui entre dans un magasin. Il demande à la vendeuse : « Qu’est-ce qu’on pourrait bien offrir à un enfant mort ? ... « Un petit chien mort ! »