Ma Solange comment t'écrire mon désastre Axel Roux

(1994-1998)

de Noëlle Renaude (1949-

Entretien avec Frédéric Maragnani
réalisé par Jean-Yves Coquelin *, le 16.01.2001, à Artigues-près-Bordeaux.

Jean-Yves Coquelin : Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux, [...] a été écrit par Noëlle Renaude au fur et à mesure qu’elle travaillait à la création de ce texte avec l’acteur Christophe Brault. Ces trois volumes représentent l’équivalent en texte de quinze heures de spectacle. L’intégralité de ces quinze heures de théâtre a-t-elle déjà vu le jour ?

Frédéric Maragnani : Non. Noëlle Renaude et Christophe Brault ont, je crois, créé une partie du texte, soit huit heures de spectacle, ce qui est déjà virtuose pour un seul acteur, mais la mise en scène de l’intégralité du texte n’a jamais existée. Mon projet, l’essence du désir artistique, est donc de créer ce texte-fleuve de bout en bout. Au fur et à mesure de l’avancée du travail, on s’est aperçu que le calcul de Noëlle Renaude - 3 minutes par page - correspondait au temps nécessaire pour un seul corps parlant, or, j’ai voulu que quatre corps disent le texte. Il y a friction, arrêt, redémarrage, cela prend donc plus de temps. Sous cette forme, nous devrions aboutir à près de dix-huit heures de représentation.

J.-Y. C. : Dès le début du travail, tu as décidé de couper le texte en tranches de deux heures, pourquoi ?

F. M. : C’est une décision totalement arbitraire. Il fallait trouver une méthode, une procédure. La procédure qu’avait trouvée Noëlle, c’était d’offrir plusieurs livraisons successives de trois-quarts d’heure. Notre procédure adopte des épisodes de deux heures. Nous avons donc pris un réveil et nous nous sommes arrêtés au bout de deux heures, même au milieu d’une phrase.

J.-Y. C. : Vous vous êtes ainsi réapproprié le fil du texte en le découpant.

F. M. : Oui, c’est une façon de recréer une dramaturgie.

J.-Y. C. : La création du premier épisode s’est déroulée aux Chantiers de Blaye 2000 après une résidence au Molière Scène d’Aquitaine. Vous avez donc commencé par le début du texte…

F. M. : Oui, et puis, à la suite, création du second à Artigues-près-Bordeaux, du troisième en Dordogne à Saint-Germain-des-Prés et du quatrième à Saint-Benoît de la Réunion.

J.-Y. C. : Et vous vous apprêtez à créer le cinquième épisode au Glob Théâtre.

F. M. : Oui, ce qui est aussi pour nous l’occasion d’un premier récapitulatif avant intégrale et avant même d’avoir bouclé la création de l’ensemble du texte. Une étape importante pour nous, pour avoir une première vue sur ce que nous avons créé.

J.-Y. C. : Chaque épisode que vous allez présenter au Glob a trouvé un titre en rapport avec le lieu dans lequel vous l’avez créé.

F. M. : Oui, le premier, c’est Jardin du Musée à Blaye, le deuxième, Château Feydeau à Artigues, le troisième Salle des fêtes à Saint-Germain-des-Prés, le quatrième Saint-Benoît à La Réunion et Rue Joséphine pour le cinquième au Glob Théâtre. J’aime bien l’idée des noms et des prénoms. Les épisodes existent comme une personne humaine que l’on peut appeler.
Cette semaine au Glob Théâtre va nous permettre de nous plonger dans nos bagages, dans le bagage de « notre Solange », nos dix premières heures de spectacle. Evidemment, ce qui a déjà été créé sera recréé. Il s’agit toujours de recréation, on n’est pas du tout dans l’idée habituelle d’une tournée, avec un spectacle qui s’exporte.
Par exemple, le premier épisode a été créé à Blaye en extérieur, l’été, et nous allons le réinventer pour l’intérieur, l’hiver. Sans doute qu’il n’y aura plus de potager comme il y en avait un à Blaye, ça n’est plus possible et de toute façon ça n’aurait plus grand sens. Ce dont on a envie, c’est plutôt de travailler sur le souvenir de Blaye, sur le souvenir de la création, sur son évocation grâce à des photos.
En fait, au niveau scénique, nous faisons ce que Noëlle Renaude a engagé dans l’écriture : nous provoquons une introspection à l’intérieur de la forme artistique. Pour nous, c’est un travail permanent de mise en scène, une sorte de mise en abîme de nos gestes successifs. Comme plusieurs couches qui viendraient se superposer, converser…

J.-Y. C. : Tu fais allusion là au fait que le texte de Noëlle Renaude n’est absolument pas monolithique. On peut avoir l’impression, en le regardant de loin comme ça, que c’est une oeuvre fleuve qui s’écoule régulièrement du début jusqu’à la fin en convoquant de loin en loin plusieurs centaines de personnes qui émergent ou s’évanouissent au gré du courant, or pas du tout : Ma Solange est composé autour de plein de petites formes qui sont comme des études, ou je ne sais pas, des…

F. M. : Oui, c’est ça : des études musicales et picturales. A l’intérieur de cette masse, il y a toute une série de petites cohérences dramaturgiques qu’il faut pouvoir décrypter. Je peux dire aujourd’hui, après l’avoir constaté sur les quatre premiers épisodes, que les spectateurs décryptent très vite l’ordonnancement général, les signes de la construction. C’est même étonnant de voir à quel point des choses sur lesquelles nous avons pu nous poser très longtemps des questions, apparaissent comme aussi évidentes immédiatement pour les spectateurs. C’est aussi sûrement parce que nous amenons à la scène cette évidence, mais quand même, ça m’étonne vraiment.

J.-Y. C. : Autant le texte de Noëlle Renaude explore des styles d’écriture, autant ta mise en scène cherche à éprouver les différentes façons d’exposer la présence du texte. Dans le premier épisode, chacun des acteurs avait en main un exemplaire édité du premier volume et lisait ; dans le deuxième épisode, un livre était posé sur un pupitre qui circulait d’un corps à l’autre… Avez-vous exploré d’autres déclinaisons de l’existence du texte sur la scène ?

F. M. : Oui, depuis le troisième épisode, nous avons travaillé sur la rétro-projection du texte, de telle sorte que les acteurs lisent à haute voix le texte projeté en même temps que les spectateurs le lisent pour eux-mêmes. Les spectateurs, saisissent ainsi immédiatement le rapport entre l’écrit et l’oral. Et c’est absolument passionnant. C’est un véritable concept de théâtre que nous avons travaillé avec la scénographe, Isabelle Fourcade. Les gens se passionnent pour le passage de l’écrit à l’oral : ils peuvent lire avant que ce ne soit dit ou ils peuvent entendre avant que ce ne soit lu. Je ne pensais pas que ça pouvait autant intéresser. Dans tous les lieux, on nous annonce souvent le désastre de la lecture, de l’écrit, « les gens ne lisent pas… ça ne marchera pas… etc… » mais en fait, ça marche ! Nous essayons ainsi de réinventer, au gré des épisodes, les concepts de scénographie, d’espace, de lumière. Peu de choses peuvent faire sens. Une façon de regarder le texte, un port de tête, une disposition de chaises dans l’espace…

J.-Y. C. : Ce que tu soulèves du plaisir des spectateurs, c’est bien le signe que ce qui attire, c’est parfois de pouvoir entrer dans le jeu de la mise en scène, de donner du théâtre à jouer plutôt que du théâtre tout préparé de l’autre côté de la rampe.

F. M. : J’ai vraiment l’impression qu’il y a quelque chose à chercher dans cette direction-là. Il faut affirmer que la lecture d’un texte de théâtre contemporain n’est pas rébarbative…Pour chaque représentation, ça c’est toujours passé de la même manière : il y a toujours un premier quart d’heure de flottement et puis, à partir du moment où une voix récurrente apparaît pour la deuxième fois, à partir du moment où une figure repérable revient dans le texte, alors les spectateurs comprennent que c’est construit, que ce n’est pas n’importe quoi. Ils se disent : « On nous parle, on nous raconte une histoire, mais d’une certaine manière ». Et c’est vrai que les histoires qui sont racontées sont à recomposer.

J.-Y. C. : C’est pour ça que, pour le premier récapitulatif au Glob, vous avez choisi de présenter les épisodes à rebours. Parce que, en fait, ce n’est pas gênant de commencer par le milieu pour revenir au début.

F. M. : Oui, c’est ça, c’est comme un compte à rebours : 5, 4, 3, 2, 1, partez… pour continuer à avancer vers les autres épisodes. L’été prochain, nous allons être en résidence pour créer les huit dernières heures de telle sorte que nous puissions présenter l’intégralité de Ma Solange au premier trimestre 2001. Cette intégrale sera programmée sur un week-end pour permettre à un maximum de gens d’y assister, du samedi 15 h au dimanche midi sans interruption si ce n’est quelques pauses entre les épisodes.

J.-Y. C. : Mais ces huit dernières heures seront créées sous forme de modules de deux heures ?

F. M. : Non, il y aura un épisode de six heures et un dernier épisode de deux heures. L’épisode de six heures sera donné entre 3 h et 9 h du matin. Il s’appellera La Grande traversée. Ce sera la dernière ligne droite avant Final.

J.-Y. C. : On peut imaginer ensuite d’autres intégrales qui prendront d’autres formes : un épisode par soir, un épisode par semaine… Tout est possible une fois que vous aurez toutes les cartes en main.

F. M. : Ma Solange…, c’est un « mécano ». On peut en réinventer sans arrêt l’architecture. Le rebours au Glob Théâtre, « 5, 4, 3, 2, 1 », en est la preuve. Ça ne nous fait absolument pas peur de présenter ça comme ça parce qu’il n’y a pas de construction dramaturgique linéaire. Je peux certifier qu’il ne se passe pas plus de choses dans le troisième tome que dans le premier dans le sens de l’action que l’on comprend traditionnellement au théâtre. Mais la forme change : dans le troisième tome, c’est la tentation du roman qui apparaît fortement. Chaque épisode a sa propre cohérence artistique à partir du moment où il est joué de bout en bout. La chronologie de l’écriture ne doit pas forcément imposer la chronologie de la représentation.

J.-Y. C. : Au fond, le sens profond de ce projet, à de multiples niveaux, c’est de s’empêcher de faire les choses comme elles pourraient se faire si on se laissait porter par un système. L’idée majeure que tu déclines, c’est de s’obliger à inventer des processus qui vont à l’encontre d’une logique dominante : monter un texte qui peut paraître « monstrueux », segmenter arbitrairement, abandonner la linéarité, intégrer la lecture et la présence du texte écrit, dépasser le format de la représentation et surtout peut-être, faire évoluer le projet en fonction des moyens de production dont vous disposez au fur et à mesure.

F. M. : Oui, c’est le sens politique de cette aventure, qui est aussi d’ailleurs le sens politique de l’écriture de Noëlle Renaude. En travaillant sur les formes, elle propose un autre regard sur ce que c’est qu’écrire aujourd’hui. Nous, notre travail, c’est de réussir à convoquer l’argent public pour produire une aventure de théâtre inédite qui échappe aux règles habituelles de production et de diffusion.

J.-Y. C. : Avec la préoccupation permanente d’être en rapport avec le public. Ce n’est pas simplement un cadre expérimental complètement détaché de l’espace social.

F. M. : Cela n’existe pas. L’art est dans le politique, dans le social. Il n’y a pas de théâtre « populaire » et de théâtre « élitiste », c’est un leurre. Je suis certain qu’il y a un théâtre de qualité, ambitieux, qui s’adresse à tous. Pendant tout notre travail depuis plus d’un an, dans tous les départements que l’on a traversés, on a toujours lié le culturel, le socio-culturel et l’artistique, tout simplement parce que c’était évident pour nous.
En partant strictement d’un projet artistique, comme c’est notre cas, on peut aller sans danger vers le culturel, ce que nous avons fait. Nous avons animé une grande quantité d’ateliers, nous avons participé à beaucoup d’actions de sensibilisation, mais ceux ci ont toujours été intégrés dans notre projet artistique, et du coup, on ne s’est jamais senti perdus, noyés, dans le trop de réalité.
A chaque fois nous avons travaillé sur l’ensemble des textes de Noëlle Renaude pour permettre à chacun de se repérer dans cette écriture, dans le jeu de cette écriture. On a vu des choses magnifiques au cours de ces ateliers, des choses dont nous reparlons pendant la création. Parce que Ma Solange… se prête à tous les essais, à l’invention, à l’appropriation, à condition de se donner des règles. Je crois que Ma Solange… est un texte populaire. Il y a toujours quelque chose qui accroche. J’ai l’impression que Noëlle Renaude a pensé à tout. Il y a chez elle cette volonté, complètement utopique, d’englober le monde.

J.-Y. C. : Ce qu’il faut dire aussi peut-être c’est que, si l’idée d’intégrale paraît complètement déconnectée des réalités de la vie de chacun, rien n’empêche chaque spectateur de ne voir qu’un ou deux épisodes. Autant l’idée de devoir assister à dix-huit heures de spectacle paraît inconciliable avec le rythme de vie de la majorité de la population, autant il faut affirmer le fait que l’on puisse picorer dans cette intégrale sans perdre le sens global de l’œuvre.

F. M. : Bien sûr, en venant voir un épisode, on fait une entrée dans l’œuvre. Ce qui ne veut pas dire qu’on aura vu la totalité de l’œuvre, mais ce qui veut dire qu’on aura intégré le paysage, la géographie de l’œuvre.

J.-Y. C. : On aura saisi, dans un fragment, et parce que l’on sait qu’il n’est qu’un fragment, l’envergure du geste artistique.

F. M. : Le pari, c’est de créer l’envie de suivre tout le projet. On sent d’ailleurs ça chez les gens que l’on rencontre. Il y a un désir de théâtre qui naît : ils veulent connaître la résolution de l’aventure artistique. C’est en ça aussi que c’est un véritable projet artistique et culturel : il crée du désir et du plaisir à participer à une aventure artistique. C’est une réponse, ponctuelle, éphémère, à toutes les questions sur les rapports entre l’art et la société.

* J.-Y. Coquelin est Maître de Conférence à l’Université de Bordeaux III

Le projet Ma Solange comme principe démocratique (PROVISOIRE)
C’est de la vie d’une personne pendant près de trois ans dont on parle, de la fréquentation d’une œuvre littéraire pendant ces trois années, de la patiente constitution et de la perpétuelle reconstitution d’une équipe, des personnes que l’on voit souvent, que l’on fréquente un peu et qui font presque partie au bout du compte d’une nouvelle famille, d’une amitié et d’un compagnonnage avec une autre personne, l’auteur, qui a écrit le texte et en a fait un premier dessin scénique, d’un apprentissage continu, celui de la scène, des outils de la scène, c’est d’un constat dont on parle, celui d’une société culturelle au début du vingt-et-unième siècle, et c’est de politique dont on parle aussi, d’une recherche d’alliés (en trouver parfois), c’est d’un regard qui va et vient entre le travail d’artisan de scène et la réception de l’œuvre, les champs infinis de la réception de l’œuvre, ce sont des difficultés dont on parle, des difficultés matérielles, du manque d’argent et de moyens pour pouvoir continuer, pour pouvoir persister, de la fatigue et de l’épuisement des corps, c’est du dévoilement dont on parle, du désir de dévoilement, de dire, d’entreprendre de parler, de la prise de parole, de la volonté de faire œuvre, et simplement définir les contours d’un passage.

A propos de la scénographie

Au fur et à mesure de l’évolution du projet, j’ai ressenti la nécessité d’écrire, sous forme d’observations à posteriori, quelques notes sur le travail de la scénographie, et de ses répercussions dans la globalité du projet.
Souvent adressées au metteur en scène, elles m’ont permis de jalonner le travail en cours et d’apporter une résonance critique au cheminement du projet.

Notes #1 : Le jardin du musée. 18 juillet 2000

Il y a de l’oubli dans Ma Solange..., parce qu’on se souvient... de ce qu’on veut dans cette histoire.
La conception scénographique s’est déroulée en plusieurs phases, dans une construction où intervenait avant tout la sélection de données à la manière d’une vraie fausse mémoire à ré-inventer pour la faire exister.
Quel espace pour Ma Solange... ? Question fondamentale sous-tendue par deux priorités : le site de Blaye et le format de cette première création : deux heures. Deux heures dans la vie d’Alex Roux, deux heures de “bruits du monde”, quelques centaines de personnages, quatre acteurs. Il s’agissait ensuite de choisir l’endroit le plus apte potentiellement à recevoir ou contenir ces traces de mémoire.

Dans l’accumulation de ces lieux traversés, vécus ou simplement cités, je ne pouvais non plus me souvenir de tous.

Pour mieux m’en souvenir, j’en ai fait la liste, celle des lieux justement, mais aussi celle des personnages, des choses ou objets, des climats et des couleurs, comme les éléments constitutifs de l’œuvre de Noëlle Renaude, les lignes structurantes de son écriture.
Ces listes ont ensuite donné lieu aux premiers dessins de l’espace de Ma Solange..., des cartes géographiques imaginaires, subjectives comme sait l’être la mémoire de chacun. Cependant, cette subjectivité du trait se voulait la plus exhaustive possible, comme l’est, semble-t-il, le projet de monter l’intégralité de l’œuvre.

La phase suivante a consisté à superposer, à établir la jonction entre cet espace fictif, imaginaire et abstrait, à celui que nous avions choisi, un coin de pré où trois arbres parlaient aux pâquerettes. On se positionnait dans une des limites de la citadelle, sur les traces d’un ancien jardin à la française, tournant le dos à la cité, aussi. Un espace réduit aux dimensions d’une “petite” scène, que clôturerait la présence des spectateurs.
Le pré deviendrait alors “l’endroit” de Ma Solange..., et dans un de ses fragments - cet angle notamment - auraient lieu les deux premières heures devant et parmi les spectateurs, jusqu’à eux physiquement.. Alors, pas de plateau, mais quelques lignes tendues vers d’autres comme une superposition de points de fuites avec des encrages au sol. Une superposition de plans aussi (au sens classique du vocabulaire théâtral) qui tenterait de ramener le réel vers le plateau, comme l’annexion de l’arrière plan à son insu : le terrain de camping, le chemin des promeneurs, le ventilateur du restaurant... . Le sol qui, dans sa continuité, recevrait le premier fragment de la représentation, où la délimitation du jeu serait le dernier rang des spectateurs. Ce sol où s’accumulent les instants de la vie d’Alex, ses souvenirs et quelques pieds de tomates.

Le sol de Blaye comme réceptacle de : la cabane du bord de l’eau, les écluses, la Meuze, des pépinières, sous le pont, Cambremer, Marseille, le terrain de foot, les immeubles, Saint-Priest, l’Afrique, l’Amérique, le Gabon, la Côte d’Ivoire, l’Algérie, Madagascar, le Japon, le Zimbabwe etc...
Une sorte d’arpentage de la mémoire où la mesure reste à définir - l‘échelle d’un temps arrêté et suspendu à la bouche des comédiens.
Et puis des lignes en pointillé, des lignes à suivre...

Notes #2 : Après Le Jardin du musée/ Avant Château Feydeau. 21 septembre 2000

...un projet fragmenté ou fragmentaire, qui trouve son sens dans la répétition de ses propres codes. qui parallèlement trouve aussi son espace dans la multitude de ceux qu’il propose et met en jeu. Un projet envisagé au niveau de la scénographie comme un parcours d’expériences sur l’espace scénique : sa définition et sa redéfinition, ses codes aussi, ceux qu’on choisit comme un vocabulaire de base, et qu’on décline selon le contexte. Il s’agit bien en effet d’un projet “contextualiste”, qui s’éprouve sur la durée.
...le temps est alors pris en compte à travers les différents paramètres proposés pour la création. c’est un temps de production long, un temps d’exécution quasi télévisuel, minuté très exactement, comme le format de référence de chaque représentation, un temps variable aussi climatiquement, celui du concret.
...et puis le temps d’ensemble, celui qui sous-tend le projet, dans la perspective de son intégralité un temps recomposé, “refragmenté”, celui de l’accumulation jusqu’à sa fin.
...puisque fin il y a, il reste encore à redéfinir une nouvelle chronologie, imposée par la durée, remise en cause par la structure même du texte, par le brouillage des codes aussi et pourtant réellement présente.
...et puis l’espace qui tend dans ce morcellement à unifier des composantes de deux heures, à leur donner un lieu d’existence, celui de l’ici et maintenant dans tous les cas. Un espace qui cherche sa fin aussi, ou plutôt l’expression de son sens dans la durée, dans ses cheminements, jusqu’au dernier mot sans doute, jusqu’au dernier souffle en tout cas comme un épuisement.

il s’agit aussi d’un projet sur l’épuisement. celui des repus ou des mourants.
...alors on revient, on réinvestit encore et l’espace et ses codes, qu’on en rejette ou qu’on les réinvente, on questionne encore les règles établies, enfin quelques unes en tout cas.

Notes #3 : Château Feydeau. 6 octobre 2000

Si ce n'est pas une faute d'instinct, je crois que cette configuration d'une part - mais aussi le lieu et les nouvelles orientations de la mise en scène d'autre part, induisent une nouvelle présence des acteurs.
Et là, encore une fois, je repense au temps, à ce temps de l'interruption, qui permet sans doute un nouveau relief et une distance aussi dans ce long processus de création.
Ce que j'ai essayé de comprendre après Blaye, dans ce temps là justement et particulièrement dans le rapport des acteurs à l'espace, c'est l'appropriation que les comédiens faisaient des espaces dits "résiduels" : de cette sorte d'espace qui ressemble à la "chute" qui reste après la coupe, ce qu'habituellement on ne garde pas, qu'on jette, en tout cas qu'on élimine du projet.

Ici c'est le noir qui les cerne, c'est ce noir créé autour de l'aire de jeu, comme si ici la chute justifiait le projet il me semble. Peut-être qu'alors on peut renommer les choses ou les citer autrement : comme par exemple effacer le bord du plateau pour laisser un “proscenium” à l'ombre et surtout impraticable, enlever le cadre de scène et le relimiter avec les lumières de la salle, ou encore équiper des perches à la verticale.
Enfin, c'est la position des comédiens qui me questionne essentiellement. Celle du personnage qui va au livre est sûrement plus immédiate, directement codée....

Surtout, éviter le piège du sens à outrance, de l'explication quand il n'en faut plus, parce que le texte se suffit à lui même dans sa prolixité d'images, de sens, de codes aussi.

Notes #4 : Salle des Fêtes Saint Germain-des-Prés. 30 octobre 2000

Si on regarde le temps des lieux, l’époque des lieux que contient ma solange...
Si on observe, après, celui des lieux réels traversés pendant l’élaboration des spectacles, l’écart est grand depuis un jardin à la française et celui d’une salle polyvalente notamment.
Il est juste aussi qu’un tel espace existe à un moment de la création.
Il faut reposer encore une fois les questions qu’induit chaque lieu.
I l faut se transporter dans une salle polyvalente pour faire du théâtre contemporain.
Il faut injecter l’ici et maintenant d’une salle polyvalente dans une salle polyvalente.
I l faut utiliser et jouer dans ce lieu.

S’il s’agit de banalité dans ma solange..., c’est peut-être dans cet espace quelle doit être la plus digne au sens de l’exceptionnelle mise en représentation de cette “banalité” justement dans la précision du recadrage, du réglage de l’intime aussi, le détail comme leitmotiv, l’incessante observation dans la troublante proximité du regard.
Et puis il s’agit de pathétique ici, il n’y a pas de brio dans l’environnement, ou sinon son souvenir écrit sur une banderole : ...comment t’écrire mon désastre, Alex Roux.

Je pense encore à la tristesse de certaines couleurs, dans leur vulgarité fanée, à la possibilité de néons verticaux, à souligner des éléments constitutifs de l’espace avec de la lumière.
Je me dis qu’il faudra aller chercher la parole au bord cette fois.

Notes #5 : Les Bambous. Île de la Réunion. 3 décembre 2000

L’enjeu de cette scénographie au moment de sa conception, était de réaliser un espace transportable, transposable et pour un contexte physiquement inconnu.
La structure à “monter” constitue un abris semi-transparent, perméable à la lumière mais pas aux moustiques. Il se compose de trois parties principales qui le structurent.
Cet espace est aussi composé de “micro-espaces”, comprenant des ouvertures. Les acteurs jouent dans et autour de lui, en investissant toute la surface du plateau.
NB : Ce projet n’a pu être réalisé “in situ” par manque de temps, il n’en reste pas moins une étape dans la création.

Notes #6 :Rue Joséphine. 22 janvier 2001

Palimpseste n.m. Parchemin manuscrit dont le texte primitif a été gratté et sur lequel un nouveau texte a été écrit.
Lat. palimpsestus, gr. palimpsêstos ; hapax, 1542 ; 1823.
C’est sur le principe du palimpseste que s’élabore la présentation des 5 premiers modules de Ma Solange... au Glob Théâtre, rue Joséphine, à Bordeaux.
L’espace des représentations englobe la totalité du lieu, “mis à nu” dans la mesure ou la structure constructive et constitutive du lieu est montrée et utilisée telle quelle.
Chaque représentation pose à chaque fois la question du rapport au lieu d’une part et celle du rapport acteur/spectateur d’autre part.
L’accumulation superposée des espaces dès le premier module devient l’enjeu spatial de l’ensemble des représentations.
Elle prend son sens à travers le jeu des acteurs qui, tels des arpenteurs de l’invisible, décodent progressivement la trace des espaces à venir. Ces espaces sont paradoxalement préexistants dans l’évolution du projet : en effet, il s’agit de représenter les modules à rebours comme la démonstration avouée du travail en cours d’élaboration.
La somme de ces différents espaces de jeu, les lieux de l’action, est donc présentée comme unifiée dans un seul espace, celui de la représentation, ici le Glob Théâtre.
Ainsi, à la structure fragmentaire du texte, réunie dans trois recueils, répond la fragmentation des différents espaces de jeux, créés indépendamment les uns des autres et regroupés à leur tour au sein d’un même lieu.

Notes #7 : Après Rue Joséphine. 9 mars 2001

Quelques réflexions spontanées à la lecture du "feuilleton d’une création” de Fred. En reprenant certains de ses mots en italique, j’ai essayé non pas d’élucider linéairement sa pensée, mais d’y superposer des points de vue personnels. Une façon pour moi de continuer le dialogue à posteriori sur notre travail respectif, de faire rebondir ses propres concepts ou intuitions.
...“fondus” de force ..... la force de l’énergie, celle de la recherche permanente de la justesse, de l’adaptation spatiale comme postulat de départ.
...Oui, il y avait quelque chose de l’ordre de la violence mais aussi l’apparition d’une espèce d’autonomie, d’une liberté nouvelle. Engendrée par les contraintes de départ, comme tu le précises, mais aussi par l’action du temps.
Le temps qui fait défaut, celui qui accélère l’invention, l’urgence brute qui nous force, de fait, à répondre.
...Expérience qui impose l’aveu de nos décisions, de nos paradoxes - quand il y en a - de notre savoir faire du théâtre quand il s’agit d’agir vite.
...L’autonomie qui réside dans une première globalité de ce travail ; ou la démonstration d’une probable cohérence, celle d’une seule création. De probable à probant, c’est l’espace unique, le Glob Théâtre, qui relie (relit ?) la dispersion apparente, celle du projet en cours.
...Comme la rencontre d’identités fortes et complexes, celle de chaque module, non plus juxtaposés mais interagissants. Tu parles du rassemblement des territoires, c’est exactement de ça qu’il s’agit, d’un nouvel équilibre spatial, qui tente la rencontre d’improbabilités peut-être.... Comme l’adéquation entre les traces extérieures d’un jardin à la française et la réalité d’une salle polyvalente des années 80 revisitée aujourd’hui, par exemple.
On y répond avec le texte dit, parlé, lu, appris, digéré ou à peine ingurgité. On y répond en posant de nouvelles questions aussi. Les prochaines notamment semblent vouloir mettre l’accent sur l’état de la politique culturelle de cette ville, ou tout au moins sur les lieux qu’elle concède à l’art vivant en 2001.
En tout cas, on ne pourra pas, me semble-t-il, faire l’économie de cette question. Où est la place de notre travail dans la ville et immédiatement après, pour qui ...

Forts de l’histoire, de ses expériences, des constats qu’on peut tenter de mettre à jour sur le théâtre populaire par exemple, on peut aussi comme quand on envisage de parler d’un texte contemporain, parler du public contemporain.
Celui pas forcément pour qui mais avec qui on travaille, à des niveaux différents, celui bien vivant qui assiste à un spectacle d’art vivant. Tâche artistiquement ambitieuse, socialement nécessaire ou indispensable - d’utilité publique ? - ou tout simplement intrinsèque à notre travail. Il s’agit effectivement de la connaissance qui induit la fréquentation de l’œuvre, le désir de découverte, le plaisir intellectuel et sensible à la fois. De jolis et nobles mots qui, pour exister, nécessitent aussi parfois cette tension difficilement supportable. Parce qu’il faut bien livrer à un moment ou un autre ce pour quoi on travaille, parce qu’il n’est pas innocent le plaisir qu’on prend à créer quelquefois.

Pour continuer à nous amuser, ne nous ennuyons pas.
Isabelle Fourcade

retour