Au printemps 1918, Brecht écrivait à un ami : « Je voudrais écrire une pièce sur François Villon, qui fut au quinzième siècle assassin, brigand, chansonnier et poète. » La remarque peut être considérée comme le début d’un intense dialogue avec la vie non seulement de Villon, mais aussi de Rimbaud et de Verlaine. Avec en perspective sa propre existence.
Baal est sans doute le texte le plus personnel de Brecht. Un texte de jeunesse que l’on passe sa vie à remanier, sans jamais en être totalement satisfait. Il n’existe pas moins de cinq versions pour Baal.
De quoi ça parle ? On pourrait dire, en un mot : de l’appétit. Appétit du monde, qui ne s’exprime pas tant par l’histoire racontée que par la puissance verbale et par la présence du corps humain et du paysage. Les deux grands (f)acteurs de la pièce sont le sexe et le paysage : les « corps blancs » et le « ciel violet ». Cet appétit du monde fait penser à la quête faustienne, mais détournée, renversée : l’aspiration n’est plus métaphysique, mais physique. Et elle ne débouche pas sur la création mais sur la décomposition. Le poète Baal consomme le monde. Ses poèmes vivent de la destruction de la bien-aimée et de l’ami. En ce sens, il est bien « le méchant Baal », « l’associal ».
Certes, on peut y voir un portrait de Brecht lui-même. Mais ne serait-ce pas aussi le prototype d’une forme d’existence au vingtième siècle ?
Résumé
1. Réception en l’honneur de Baal, "poète lyrique", dans les salons de Mech, riche négociant, et d’Emilie, son épouse. Les convives témoignent à Baal leur admiration. Mech se dit prêt à éditer ses poèmes. Mais Baal, indifférent, réclame à boire, et des chemises blanches, et de la musique, tout en regardant Emilie. La soirée s’achève dans le scandale et la confusion.
2. Baal et le jeune Jean regardent le ciel étoilé. Jean raconte à Baal un rêve concernant Jeanne, son amie de cœur. Propos de Baal sur l’amour charnel, qui fascinent Jean.
3. Chez Louise (une taverne). Baal confie aux charretiers qu’il est devenu l’amant d’Emilie, mais qu’elle l’ennuie déjà. Jean lui présente Jeanne. Dès son arrivée, Emilie doit essuyer les avanies de Baal, qui boit et chante tout en l’humiliant. Son ami, le musicien Ekart, l’appelle à le rejoindre sur la grand-route, mais s’en va seul : Baal lui a résisté, il n’est pas encore temps. Emilie est contrainte par son amant à embrasser un client de la taverne. Jeanne est troublée.
4. Mansarde de Baal. Jeanne et lui viennent de faire l’amour. Elle voudrait des mots tendres, il lui répond avec rudesse : qu’elle aille donc retrouver Jean. Egarée, Jeanne s’enfuit.
5. Baal reçoit deux sœurs dans son lit et apprend incidemment que Jeanne s’est jetée à l’eau. Une arrivée inopinée surprend le trio. Baal reste seul.
6. Baal a ramené chez lui une autre jeune femme, Sophie Barger. Il croise Jean et le jette dehors. - Un certain temps s’écoule (peut-être trois semaines). Sophie et Baal sont amants. Pour lui, elle a tout quitté. Passage d’Ekart.
7. Au cabaret. Baal veut boire avant son numéro. Il chante une chanson de plus en plus osée. Tumulte. Passage d’Ekart.
8. Parmi les bûcherons. Veillée funèbre de l’un des leurs, Teddy. Un bûcheron propose de boire le schnaps du mort à sa santé. Baal trouve l’idée immorale, et pour cause : il a déjà lui-même tout bu.
9. Sophie et Ekart courent après Baal. Ekart ne comprend pas qu’il puisse traiter sa compagne aussi mal alors qu’elle est enceinte. Ekart a-t-il été l’amant de Sophie ? Baal ne veut pas le savoir. Sophie supplie Baal de ne pas l’abandonner, mais Baal la repousse avec cynisme. Pourtant elle ne peut dire qu’elle ne l’aime pas, et Ekart ne peut pas le frapper.
10. Buvette de l’hôpital. Baal et Ekart boivent parmi les malades et les mendiants. Gougou récite sa romance du néant. Baal boit, récite des fragments de poèmes, se dispute avec Ekart.
12. Retour dans la taverne de Louise. Jean boit, parle du cadavre de Jeanne qu’on n’a jamais retrouvé. Baal chante la Liste des Souhaits d’Orge. Voyant qu’Ekart est assis avec une serveuse sur les genoux, il se jette sur lui et le tue.
13. Parmi des inconnus qui se moquent de lui, lui crachent au visage et finissent par le laisser seul, Baal agonise.
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