Paysages et portraits visionnaires dans les Salons de Diderot / Franziska SICK, université de Kassel
    Dans la mesure où Diderot se réfère dans les Salons, ne serait-ce que partiellement, à la philosophie platonicienne, il donne à voir avec les tableaux les idées qui les sous-tendent. Cette perception visionnaire est une des caractéristiques essentielles de ses critiques sur l’art. Elle se traduit dans un style évocateur qui rompt avec la tradition rhétorique de l’ekphrasis et les conventions analytiques de la description. Diderot substitue des visions aux descriptions des tableaux et blâme le portrait de Van Loo, qui le représente physiquement et non pas tel qu’il se définit lui-même, à savoir comme philosophe.

Iconicité et picturalité : effets et finalités de la peinture
/ Carole TALON-HUGON, université de Nice-Sophia Antipolis
L’histoire des images et celle de l’art pictural ne se recouvrent pas ; la première déborde la seconde et celle-ci s’est progressivement autonomisée de celle-là, le XVIIIème siècle marquant le début de cet affranchissement. Dans ses Salons néanmoins, Diderot entreprend de penser ensemble iconicité et picturalité, ce qui l’engage à la fois dans une pragmatique et dans une stylistique des œuvres. On s’interrogera ici sur les tensions qu’engendre cette double perspective, autrement dit sur la compatibilité des effets de l’image et des finalités de la peinture.

La gravure dans les Salons : un art « en creux » ? / Benoît TANE, université de Toulouse-Le Mirail
    D’une façon générale, le lecteur des Salons a l’impression que Diderot parle peu de la gravure, et peut-être même pas du tout. Pourtant, dans le Salon de 1765, il consacre un long développement à l’art de la gravure, au point que l’on parle parfois d’un « traité » sur la gravure inséré dans le texte.
    Or le Salon accueille de très grands graveurs, comme Cochin ou comme Wille. D’autre part la gravure connaît un développement sans précédent au XVIIIe siècle. La disproportion entre cet essor et le relatif silence de Diderot pose une question structurelle : quelle place donnait-on alors à la gravure dans l’art et quelle position adopta Diderot ? L’eau-forte, souvent retouchée au burin, était une gravure dite « en creux », parce que les traits creusés dans la planche par le graveur retenaient l’encre et s’imprimaient sur le papier. La gravure serait-elle un art « en creux » dans les Salons, évoquée indirectement à cause du caractère indirect de ses procédés ?
    Il s’agira donc de partir des rapports du Salon de 1765 et de l’Encyclopédie pour voir si un nouveau régime de discours sur la gravure, propre au Salon, se met en place. On tentera de montrer plus largement, en mettant ce discours en relation avec les mentions de la gravure dans les autres Salons de Diderot, qu’il tend à réduire la gravure au dessin. Le passage par la gravure pourrait ainsi éclairer un rapport à la peinture, conçue comme ce qui échappe à la gravure : c’est-à-dire à la reproductibilité et peut-être à la visibilité transparente à laquelle l’estampe serait condamnée.

La pluralité des regards dans la critique et l’écriture des Salons
/ Christina VOGEL, université de Zürich
    Nous nous proposons de montrer que les Salons de Diderot sont un univers dialogique où se rencontrent et s’opposent différents discours constitutifs du champ culturel contemporain. À l’intérieur de l’un des grands laboratoires de la critique d’art naissante au XVIIIe siècle, on assiste à l’émergence de l’esthétique diderotienne, définie par un regard, une rationalité et une pratique communicative particuliers. Notre objectif est de préciser la nature spécifique de cette saisie, capable de transformer un spectacle visuel en un objet textuel - un discours cohérent - signifiant de telle sorte qu’il éveille, de façon répétée, l’attention, le plaisir et le jugement proprement esthétiques. Nous réfléchirons à quelles conditions les expériences et les exigences diverses de Diderot peuvent être actualisées et partagées par ses interlocuteurs.

Diderot et quelques-unes de ses têtes curieuses / Anthony WALL, université de Calgary
    À relire la description et l’analyse que fait Diderot de La Flagellation de Saint André (Salon de 1761), on peut s’étonner de ce qu’il ait aussi clairement distingué, parmi tant d’autres détails possibles, la plupart en étant peut-être plus remarquables que celui-ci, le petit garçon curieux se trouvant en bas à gauche de l’espace peint. L’étonnement s’évanouit quelque peu lorsqu’on comprend que Diderot souligne assez souvent la présence de figures curieuses, que ce soient celles d’autres petits garçons (par exemple chez Fragonard, Corésus et Callirhoé, chez Jean-Jacques Lagrenée, Présentation au temple ou encore chez Jean-Baptiste Greuze, L’Accordée du village), de petits anges (François Boucher, Nativité) ou même de divers adultes (Michel-Honoré Bounieu, Le Jugement de Midas ; Nicolas-Bernard Lépicié, L’Intérieur d’une douane). La figure curieuse est souvent ce qui attire l’attention du Philosophe, ce qui lui fait regarder le tableau en question plus longuement que d’habitude, voire le réexaminer, parfois à plusieurs reprises. Cette figure se trouve responsable, au moins en partie, de quelques-uns des changements d’avis spectaculaires à propos de la valeur d’une œuvre particulière ou de ses qualités esthétiques. En passant par la théorie diderotienne encore trop inexploitée du portrait en peinture, la curiosité conduit à réfléchir sur la lecture, à la fois celle du texte écrit et celle de l’œuvre visuelle.

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