Cendres sur les mains

(2001)

 

de Laurent Gaudé (1972-

Une femme, laissée pour morte, se relève.
Ils la nourrissent, prennent soin d'elle.
Elle se joint à eux pour entretenir le bûcher.
Elle ne leur parle pas.
Sa présence bouleverse la vie des deux hommes.
Elle ne parle pas.
Son silence, comme une reproche.
Elle ne parle qu'aux morts.

L'histoire se déroule dans un pays dévasté par la guerre. D'hier ou d'aujourd'hui. D'ici ou de plus loin. Deux petits ouvriers de l'épuration ethnique accomplissent leur tâche avec application : faire disparaître les cadavres en les brûlant. Une femme, rescapée de la grande tuerie, se relève d'entre les morts. Les hommes la nourrissent, prennent soin d'elle. Elle les aide à entretenir le bûcher. Elle ne leur parle pas, ne s'adresse qu'aux morts. Peu à peu, une maladie recouvre la peau des fossoyeurs, rongée par la cendre.
Les voix se répondent sans se parler. Entre elles, les volutes de fumée du bûcher consumé forment bientôt un épais rideau. Insensiblement, la présence des morts envahit les vivants. D'une situation qui pourrait être actuelle, Laurent Gaudé nous donne à voir la part mythologique et nous ouvre doucement les portes du monde plus onirique "de ce qui sous-tend les destinées humaines".
Jean-Marc-Bourg

Dans un pays dévasté par la guerre, il importe peu qu'il soit localisé et que le conflit soit daté, deux hommes brûlent des corps. Un jour, une femme se relève parmi la dernière cargaison. Sans savoir d'où elle vient, comment elle a survécu, les deux fossoyeurs la nourrissent, tentent d'engager le dialogue avec elle sans jamais trop s'approcher d'elle. Cette femme dont on ne connaîtra pas le nom se met à travailler avec ces hommes. Elle n'échange jamais un mot avec eux. Elle ne parle qu'avec les morts. A eux seuls, elle adresse des mots tendres, prend soin de leur dépouille. Elle les prend en mémoire par le simple geste de leur fermer les yeux, geste d'une infinie douceur. Les deux fossoyeurs sont totalement dépassés par les circonstances. Ils sont même presque des victimes et vont jusqu'à faire grève pour que l'on entende en hauts lieux leurs plaintes sur leurs conditions de travail. Un jour, un camion livrera la chaux tant demandée. Ils décéderont les effets nocifs de la fumée et de la cendre du bûcher, blanchis, brûlés par la chaux. Le grotesque à l'état pur au milieu de l'horreur et la barbarie.

La pièce se déroule dans un lieu vague, sans repères temporels. Mais pourtant un univers chaotique, un no man’s land où seuls gisent des corps dépouillés, déchirés par la guerre. Ce terrain vague, comme tous les terrains vagues, est donc l'espace de l'entre-deux, entre ruine et projet, vie et mort. Le lieu de la brutalité la plus absolue, où si l'espoir surgit dans une conscience, c'est sous la forme d'un être qui va se sacrifier.
Ce terrain vague devient donc de manière tout à fait inattendue, lieu de mémoire et de pèlerinage. C'est finalement un lieu sacré. Un lieu sacré retranché du monde profane.
Ce lieu sacré est délimité par un cercle blanc recouvert de terre. Cercle de l'éternel recommencement, cercle du cycle de la vie et de la mort. Les deux fossoyeurs n'en sortiront jamais, la rescapée fera le lien entre cet espace et le reste du monde. Petit à petit, la terre sera recouverte de poudre blanche que la rescapée manipulera, comme si les cendres des morts venaient purifier ce monde malade.
Les deux monologues de la rescapée, qui encadrent la pièce, seront adressés au public au centre de cet espace, dans une lumière identique pour renforcer cette sensation d'éternel recommencement.
Finir. Recommencer. Noir.

Vincent Dussart, 2005

 
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