La Peau de chagrin

(1831)

de Honoré de Balzac

mise en scène Dominique Pitoiset

 

Au Théâtre National de Toulouse, le 2 avril 2005

vers La Peau de chagrin

Mortel talisman

Au bord du suicide où l'ont conduit l'infortune et le dépit amoureux, Raphaël de Valentin attend, seul dans une grande pièce aux murs nus et sans issue, un improbable salut. Il viendra d'un étrange personnage, mi-démon mi-curé qui lui propose la dépouille d'un âne fabuleux. En fait il s'agit d'un talisman aux vertus miraculeuses mais funestes : à chaque souhait formulé et magiquement réalisé, le jeune homme verra sa durée de vie se rétrécir d'autant, jusqu'à y laisser sa propre peau. Désespéré, Raphaël de Valentin signe ce pacte faustien qui va l'entraîner à sa perte dans une fuite en avant très rimbaldienne. On reconnaîtra dans ce thème le célèbre et atypique roman d'Honoré de Balzac La Peau de chagrin que Dominique Pitoiset a choisi, 160 ans après sa parution, d'adapter pour le théâtre. Même s'il n'y a pas - il l'affirme - un seul mot qui ne soit pas de Balzac, le nouveau directeur du Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine n'a gardé du roman, de façon fragmentaire, que son fantastique kafkaïen et cette diabolique morale de la désillusion propre à Goethe. Prince noir de son univers de désenchantement, le jeune romantique Raphaël est assimilé à une sorte de James Dean mal dans son siècle, emporté par sa mortelle fureur de vivre. C'est d'amour qu'il mourra pour son dernier voeu, après avoir goûté successivement et sans bonheur à la dépravation, à la puissance et à la bonté désintéressée. Au bout de son potentiels de souhaits, la fin s'annonce, inéluctable. De savants docteurs impuissants se concerteront gravement au chevet de ce mourrant sans maladie. La mort n'a pas d'autre explication qure l'accomplissement du pacte maudit signé par tout être vivant dès sa naissance.

En forme de cérémonie grotesque ou funèbre, ballet de personnages livides transformables grâce à de saisissants masques en latex blanc, le spectacle cultive une esthétique glacée et mortifère à base de noir et de blanc. Elle joue sur les lumières et les ambiances musicales aux pulsastions "techno" qui rythme la vertigineuse descente aux enfers du malheureux Raphaël. Les sept comédiens, du fiévreux Laurent Rogero (le jeune homme maudit) au subtil Gilbert Tiberghien (son serviteur) se glissent, avec frénésie ou cynisme, dans la peau de ces morts-vivants, souvent impassibles. Un spectacle toujours a la limite de la rupture, que Dominique Pitoiset a voulu destabilisant, non par goût de la provocation, mais pour mettre à distance une oeuvre puissante et lui rendre son intemporalité. Deux siècles plus tard, l'homme, noyé dans une société où tout n'est que tentation, porte plus que jamais en lui cet impérieux désir de possession qui le conduit droit au tombeau.

Yves Marc, Bordeaux le 21 janvier 2005

vers biographie Dominique Pitoiset