(A)polonia

(2010)

de Krzysztof Warlikowski (1962-

C’est un voyage au coeur des mystères les plus dérangeants de la condition humaine que nous propose Krzysztof Warlikowski en s’attachant à l’histoire meurtrière qui, du moins depuis que nous en avons des témoignages, voit s’affronter bourreaux et victimes, de la Grèce antique au drame nazi du XXe siècle. Il convoque des auteurs tragiques, essentiellement Euripide (Alceste) et Eschyle (L’Orestie), comme des écrivains contemporains, Hanna Krall (Apollonia), Jonathan Littell (Les Bienveillantes), J. M. Coetzee (Elisabeth Costello) et d’autres. Il nous engage sur le chemin d’une introspection collective, questionnant le plus ancien pour comprendre le plus récent. Sacrifices forcés (Iphigénie offerte aux dieux par Agamemnon, Apollonia dénoncée aux Allemands pour avoir caché des Juifs) ou sacrifices volontaires des victimes (Alceste sauvant ainsi Admète) se trouvent ici confrontés aux théories justificatrices des bourreaux dans un mouvement échappant au manichéisme. Pas de provocation dans cette interrogation qui expose aussi bien le désir de vengeance que la recherche du pardon, deux notions se perpétuant de génération en génération, détruisant ceux qui se retrouvent prisonniers d’un si obsédant passé. Krzysztof Warlikowski met au centre du plateau le combat permanent entre le bien et le mal, sans échappatoires possibles. Un théâtre où les voix des victimes et celles des bourreaux sont prises en charge, hors de tout sentimentalisme, par des acteurs dont on connaît l’intensité et la rigueur, accompagnés d’une musique jouée sur scène. Avec force et justesse, ils font parler les esprits du passé comme s’ils étaient vivants, comme s’ils étaient nos contemporains, rendant possible une réappropriation de notre histoire collective et de nos histoires individuelles. En ne craignant jamais de se mettre en danger, en renonçant aux catégorisations simplistes, en acceptant la part la plus sombre comme la part la plus lumineuse des comportements humains, le théâtre de Krzysztof Warlikowski nous oblige à faire face aux contradictions qui nous traversent. Avec l’exposition de destins particuliers, il touche une nouvelle fois à l’universel.

 
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