Krzysztof Warlikowski (1962- Né en Pologne |
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Krzysztof Warlikowski, dont le théâtre est issu de l'époque houleuse des changements de 1989, s'est intéressé avant tout à l'aspect existentiel des oeuvres de Shakespeare. Il a rejeté en même temps les exposés politiques et philosophico-historiques de ces textes. Il a cessé de les traiter comme des drames du pouvoir et les a lus comme des tragédies familiales. Il a cessé d'y rechercher des allusions à la situation politique contemporaine et a commencé à chercher des analogies au niveau de l'identité sexuelle, des relations familiales, de l'engrenage dans les mécanismes de la guerre et du meurtre. Les textes de Shakespeare se sont révélés des drames familiaux et cette interprétation leur a donné de l'intensité. Il est intéressant ici de rappeler à quoi ressemblait Hamlet mis en scène au Teatr Rozmaitosi, dont la première a eu lieu en 1999. (1) En montant les œuvres de Shakespeare considérées jusqu’alors comme des comédies, Warlikowski a appliqué un autre principe : le rejet de toute possibilité d’un happy end. C’était déjà visible dans La Mégère apprivoisée, présentée en 1997. Le monologue final de Catherine – qui est lu habituellement comme la soumission, pleine de repentir, au rôle d’une humble et bonne épouse – était montré comme la révolte d’une femme avilie, humiliée et dont l’humiliation et l’écrasement étaient d’ailleurs le but de Petruchio. Warlikowski ne croit pas aux mariages, points culminants des situations dramatiques, il ne croit pas qu’ils puissent régler quoi que ce soit. Au contraire, il les traite comme le début d’une catastrophe qu’on ne montre plus aux spectateurs. (2) Parfois Warlikowski va aussi loin que possible dans ces opérations de désillusion en réduisant la théâtralité de ses spectacles. [p.33] Piotr Gruszczynski, « Introduction » in Krzysztof Warlikowski, Théâtre écorché, Arles, Ed. Actes Sud-La Monnaie De Munt, série "Le Temps du théâtre", dirigée par G. Banu et C. David, 2007, (1) p.14, (2) p.16, (3 ) p.34. Krzysztof Warlikowski - Peut-être tout simplement la pièce de Shakespeare devient une pièce parlant de nous, à partir du moment où nous entrons dans son matériau. En fait, tout est lié à la chimie qui se produit au moment du contact avec le texte et qui nous entraîne tous : les acteurs et moi-même. Il en émerge un récit sur les gens d’aujourd’hui. Il n’est pas nécessaire d’actualiser les textes de Shakespeare. Ils sont toujours actuels, il suffit de les lire profondément. (4) Krzysztof Warlikowski - […] La plupart du temps nous nous servons de Shakespeare comme d’un instrument. Paradoxalement, nous tentons d’apprivoiser et d’adapter pour tout public, un homme aussi intransigeant, aussi iconoclaste, aussi révolté contre l’ordre réel et irréel. Nous essayons d’en faire un produit culturel. Un écrivain dangereux fonctionne ainsi dans la conscience collective comme quelqu’un de sûr ! (7) K. W. – […] Hanna Krall parle des quatre piliers de mon théâtre : l’Antiquité, la Bible, l’Holocauste et Shakespeare. (8) K. W. – […] Dans un lieu comme la Pologne, tu peux très facilement te retrouver dans une minorité persécutée. D’autant plus que tu sais que cette société aurait dû tirer les conséquences de ce qui s’est passé et ne l’a pas fait. C’est une grande leçon d’histoire que l’on n’a pas exploitée. Elle pourrait l’être aujourd’hui par ma génération, qui est libre de tout poids, qui pourrait se confronter avec le passé mais qui n’y parviendra sans doute pas. Ce tabou malheureusement est très fort dans la société et il divise tout le monde, indépendamment des classes sociales. Ce n’est pas seulement le problème des gens simples, il y a des exemples partout, à l’église, à l’école, au gouvernement. De la même manière, dans le cas de l’homophobie, tu te demandes s’il faut fuir d’ici ou lutter pour modifier le point de vue de cette nation. Car dans peu de temps on pourra dire que tous les gens instruits sont, dans ce pays, une minorité qu’il faut exterminer. (9) Krzysztof Warlikowski – Kantor montrait la spiritualité polonaise, notre problème interne, notre tare ou notre particularité. Moi, je voudrais que ce que je fais ne soit pas une tare polonaise mais notre participation à une spiritualité commune, à la pensée d’une nouvelle génération d’Allemands, de Français et de Polonais. Krzysztof Warlikowski – […] Je préfère la proximité, l’intimité, je ne voudrais servir aucun mécanisme, ni rien prouver. On peut développer les thèmes des Chroniques [Webster] en deux, cinq ou dix heures aussi bien qu’en cinq minutes. Ça peut donner des résultats curieux mais ma pensée et mon imagination n’y adhèrent pas. (11) Krzysztof Warlikowski – Shakespeare était homosexuel tout comme Koltès. Cela ne signifie pas que leur écriture soit homosexuelle et qu’on vive dans un ghetto. Mais le problème de l’auteur ressort dans son écriture, c’est l’aspect le plus important de son monde et c’est ainsi qu’il suffirait de le voir. D’un autre côté, Marlowe était homosexuel et c’était bien accepté. Il montait des pièces qui jouissaient d’une grande popularité. Et, tout à coup, il a écrit une pièce sur Edouard II qui provoque de la gêne jusqu’à aujourd’hui. Le roi homosexuel dit : j’ai droit à cela, cela et cela. Même aujourd’hui nous savons que nous ne pouvons avoir droit à tout. L’homosexualité est sûrement un thème qui inquiétait la génération du théâtre élisabéthain. (Là aussi, c’est une génération !) Pas seulement l’homosexualité d’ailleurs, mais aussi ces histoires d’inceste comme dans La Duchesse d’Amalfi de John Webster. Toutes ces sexualités en marge et ces désirs contraires aux normes sociales devaient à l’époque être très vivaces pour que l’on écrive autant sur le sujet. Quant à Oscar Wilde, c’est très anglais cela, que le premier amuseur de ces dames de la société soit l’homosexuel que tout le monde connaît et accepte jusqu’à ce qu’il fasse un coming out et le proclame à la face des gens. (12) P. G. – A part le thème de l’homosexualité, de la culpabilité envers les juifs, quels sont les thèmes que tu tentes de déterrer ? K. W. – Puisque la vie n’est pas normale, alors le théâtre doit, pour le moins, ne pas être normal. Il est l’espace de liberté, de création, de communication abstraite. (14) K. W. – Au Théâtre, il faut rechercher ce qui est commun, ce qui touche tout le monde, aussi bien ceux qui se révoltent que ceux qui n’arrivent même pas à concevoir un révolte. (15) K. W. – Le théâtre parle en tant que femme et en tant qu'homme. le rôle qu'implique ce statut social entre immédiatement en dialogue avec le public, libère son activité et accroît son attention. Je m'interroge sur le théâtre grec et le théâtre élisabéthain. Le fait que les rôles de femmes sient tenus par des hommes était-il une attraction ? Cela devait-il accentuer l'effet d'étrangeté ? Cela ajoutait-il du sens ? la langue de la différenciation sexuelle est présente au théâtre dès ses origines, c'est une partie de la nature même du théâtre. L'homme qui jouait Médée et devait exprimer sa haine envers les hommes touchait à l'état dans lequel la forme aide le sens. [...] Le théâtre efface la différence des sexes imposée par la religion et, avant elle, par la biologie. (16) K. W. – L’art s’est toujours fondé sur la différence, l’irreproductibilité. Il n’y a que ceux qui ont appris à parler de leurs différences qui sont écoutés et nécessaires. Nous sommes hypocrites, c’est pourquoi il faut toujours parler des autres, des étrangers, des exclus. Ce sont les problèmes les plus importants du théâtre. C’est la nature profonde de l’art. P. G. – Il reste encore la vieillesse comme catégorie d’exclus. C’est un phénomène relativement récent. K. W. – Quand l’ambition est un moteur plus important que la douleur humaine qu’il te faut exprimer, alors tu commences à mentir. C’est la différence entre la forme et le sens. Le metteur en scène lutte pour le sens. Le metteur en scène lutte pour le sens, pour s’exprimer sur le monde, et non pour donner une image du monde. (19) K. W. – Devons-nous changer les gens même si nous devons utiliser pour cela des sortilèges ? Pouvons-nous rendre les gens meilleurs ? N’est-il pas préférable de leur permettre d’être comme ils sont et de renoncer aux sortilèges ? Quand nous avons vingt ans, nous sommes de grands révoltés et nous croyons que nous pouvons changer le monde. Je suis moi-même passé par ce stade. D’abord j’étais absorbé par le mal du monde, il y avait tant de choses à y faire ; le monde donnait l’espoir de vouloir s’améliorer lui-même, d’y être sensible. Après quelques années de révolte et de lutte, un autre mal t’atteint : le néant et la matérialité de la vie. Ton corps devient différent, fatigué, usé ; tes batteries sont épuisées et tu veux avoir d’autres relations avec le monde. Tu renonces à la révolte naïve, tu te retires sur une île, comme Marguerite Yourcenar qui s’est installée sur une île et a écrit sur l’empereur Hadrien, sur ses expéditions lointaines dans le pays de la pensée, de la fantaisie, de la logique, de l’harmonie. (20) Krzysztof Warlikowski, Théâtre écorché, Arles, Ed. Actes Sud-La Monnaie De Munt, série "Le Temps du théâtre", dirigée par G. Banu et C. David, 2007, (4) p.35, (5) p.39, (6) p.41, (7) p.46, (8) p.78, (9) p.79, (10) p.90, (11) p.101, (12) p.110-111, (13) p.112, (14) p.125, (15) p.126, (16) p.127, (17) p.129-130, (18) p.130, (19) p.139, (20) p.149. Krzysztof Warlikowski appartient à la première génération post-socialiste des metteurs en scène polonais. Après des études de philosophie et d’histoire, il s’installe à Cracovie où il devient l’assistant d’un des plus grands hommes de théâtre du pays, Krystian Lupa. [Piotr Gruszczynski : Lupa dit que, chez lui, l'acteur pèche lorsqu'il commence à minauder avec le public. Krzysztof Warlikowski, Théâtre écorché, Arles, Ed. Actes Sud-La Monnaie De Munt, série "Le Temps du théâtre", dirigée par G. Banu et C. David, 2007, p.56,] |
La Mégère apprivoisée, 1997 Hamlet, 1997 & 1999 La Nuit des rois, 1999 La Tempête, 2000, 2003 Le Songe d'une nuit d'été, 2003 Les Bacchantes, 2001 Le Dibbouk, 2003 Macbeth, 2004 Kroum, 2005 Angels in America, 2007 (A)pollonia, 2010 |