Hamlet

(1600)

de William Shakespeare (1564-1616)

mise en scène Krzysztof Warlikowski, 1997 & 1999

cliquer pour agrandir

Hamlet au Teatr Rozmaitosci, en 1999 :
Dans ce spectacle on commençait par jouer au théâtre, pur que les spectateurs soient conscients que tout est un jeu et que les rôles ne déterminent ni les personnages scéniques. Les gardes d’Elseneur se jetaient de la neige, ils ressemblaient plus à des clowns qu’à des soldats. Ils étaient avant tout des acteurs. Le spectre du vieil Hamlet n’était pas là, bien qu’on discutât avec lui normalement. Lorsque Hamlet devait rencontrer l’ombre de son père assassiné, il bavardait avec un des acteurs qui, à ce moment, posait la question du spectre. Dans la scène de la cour, lors du mariage et du couronnement de Claudius, Gertrude se révélait beaucoup plus vieille que son jeune amant. Corpulente, elle débordait de sa robe. Dans cette scène, elle découvrit tous ses aspects : tantôt elle était une marchande vulgaire, tantôt elle se souciait de son fils pour, quelques minutes après, se moquer de sa faiblesse, ne dédaignant pas les allusions grossières aux penchants homosexuels de ce dernier. Dans ce jeu, chaque rôle révélait ses potentialités. Tout se déroulait en pleine lumière. Le célèbre « être ou ne pas être » était dit par Hamlet-acteur, assis sur une chaise au milieu de l’espace de jeu entouré d’autres personnages. La première partie du spectacle expérimentait diverses conceptions des personnages, diverses possibilités érotiques, s’amusant avec le texte offert par Shakespeare. Elle se terminait avec la présentation du meurtre de Gonzague. Les acteurs ambulants envahissaient tout Elseneur. Hamlet n’était pas obligé de leur donner des indications. Car ce sont le théâtre et les acteurs qui ont le plus de choses à dire ici. Hamlet n’était pas obligé de leur donner des indications. Car ce sont le théâtre et les acteurs qui ont le plus de choses à dire ici. Hamlet commençait à dire son texte avec un acteur en serrant son visage contre le sien, puis il criait ce texte comme un acteur, comme s’il tentait d’amener le théâtre à agir à travers la peau, à briser ce jeu permanent, ce jeu de rôles. Dans la seconde partie, Hamlet déclamait au début son monologue-prophétie : « Ainsi se réalise la magie noire de la nuit… » La magie noire de la nuit s’emparait des personnages et des événements. Hamlet devenait un drame de la passion, du mépris et de la haine, une pièce presque sur un état de transe, un discours sur le mal dont les origines n’ont pas été révélées. Nous ne savons pas si le mal est issu de la folie de Hamlet (simulée ou réelle ?) ou des tendances meurtrières de Claudius qui progressivement prenait les traits d’un aliéné psychopathe. Le mal devenait métaphysique. La scène se déroulait dans le crépuscule à la limite du visible. Le spectacle acquérait ainsi de l’intensité et de l’intimité, il cessait d’être un jeu de cour. Warlikowski a renoncé au dénouement symbolique comme s’il voulait que le théâtre pénètre les sens des spectateurs à travers leur peau. Le thème politique, qui pour beaucoup de metteur en scène est l’axe de composition du spectacle, a été radicalement rejeté. Dans l’histoire privée d’Hamlet, il n’y avait pas de place pour un conflit de pouvoir. Le mal qui a dominé le monde n’a pas de base rationnelle, rien n’est issu des enjeux politiques.

Piotr Gruszczynski, « Introduction » in Krzysztof Warlikowski, Théâtre écorché, Arles, Ed. Actes Sud-La Monnaie De Munt, série "Le Temps du théâtre", dirigée par G. Banu et C. David, 2007, p.14-15-16.

Piotr Gruszczynski – Un thème immémorial : la sexualité de Hamlet…
K. W. – Il résulte du fait qu’Hamlet est fondamentalement un antihéros. Pourquoi est-il le plus grand des héros ? Parce qu’il est un antihéros. Et dans cette contradiction d’Hamlet, il y a aussi de la place pour la contradiction sexuelle.
P. .G. – Les textes comportent-ils quelques indices sur l’homosexualité de Hamlet ?
K. W. – Eh bien… Il y a Horace, leurs relations, les mots qu’il dit à Horace en présence d’Ophélie, ce qu’il fait avec Ophélie sous les yeux d’Horace. La domination complète de la mère. C’est une mère victorieuse, ce n’est pas une mère veuve, mais une mère qui est reine. C’est tout simplement une reine qui monte sur le trône pour la seconde fois, avec un second mari plus habile car plus jeune. C’est elle qui domine ici. Cela peut conduire au rejet du fils. Le second mariage d’une mère est toujours perçu par le fils comme dirigé contre lui. Je pense que Gertrude est consciente de tout cela. Comme cette femme doit terriblement s’embrouiller, se fatiguer avec ce secret, avec ce mensonge, comme elle doit lutter avec rage dans cette situation qui lui file de plus en plus entre les doigts ! C’est intéressant de savoir jusqu’à quel point elle sent qu’elle trahit son fils. Comme elle a besoin de la jalousie de sonfils pour être revalorisée ! C’est un champ de problèmes très compliqués, nous avons une situation de laboratoire que nous devons dénouer et un certain nombre de petits cubes qui décident de la disposition des cubes suivants.
Lorsque nous avons monté Hamlet nous avons tenté de vérifier comment nous pouvions éviter les personnages logiques que le grand théâtre construisait jusqu’à présent. Il se servait de grands gestes, de grandes émotions pour que, du début jusqu’à la fin, nous suivions la logique des personnages, la logique du monde construit par le metteur en scène. Dans ce type de théâtre, il n’y avait aucune figures politiques que nous n’avions jamais le droit de voir en chaussons, il y avait une distance, c’étaient des monstres. (1)

K. W. – On peut interpréter cette scène avec un esprit différent, de milliers de façons et cela fonctionnerait parfaitement dans chacune de ces variantes. Mais elle est née spontanément, peut-être de la tension entre les acteurs. C’est une scène très difficile. Nous avons le ton pleurnichard de la reine qui ne veut rien dire et qui s’enfonce dans des plaintes de petite-bourgeoise. La nudité de Hamlet ouvre toute la scène, oblige à réagir car c’est une situation impossible. Comme chez Visconti dans Le Crépuscule des dieux, lorsque la mère finit par accepter de reconnaître qu’elle est amoureuse de son fils. Là, le viol se termine par une scène dans laquelle elle le caresse. Dans chacun d’entre nous, il y a quelque chose que nous n’acceptons pas et lorsque, tout à coup, nous nous trouvons de l’autre côté cela nous apparaît comme une nécessité. (2)

Krzysztof Warlikowski, Théâtre écorché, Arles, Ed. Actes Sud-La Monnaie De Munt, série "Le Temps du théâtre", dirigée par G. Banu et C. David, 2007, (1) p.71-72, (2) p.73.

dans

 

 
Retour page précédente