Macbeth

(1603 - 1607)

de William Shakespeare (1564-1616)

mise en scène Krzysztof Warlikowski, 2004

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P. G. – Macbeth revient de la guerre ; c'est un moment où il devrait oublier la guerre, or c'est là que commencent les crimes.
K. W. – Cela devrait être ainsi. Les gens ont fini la guerre, les soldats retournent à la maison, la paix règne enfin, l'homme trouve l'apaisement. Mais c'est le vide qui est le plus fort, celui que la guerre a laissé, la décadence, l'absence de foi. Je me demande quel genre d'homme est celui qui veut encore tuer après la guerre ? Peut-être est-ce quelqu'un qui veut se prouver quelque chose à lui-même ?
C'est la fin de la guerre. Et surgit la question : Quoi ensuite ? Qui dois-je être maintenant ? Il y a de l'énergie, un surplus d'énergie guerrière, on pourrait en tirer profit pour la vie ou pour autre chose. Vient la dépression et la décadence. Dans cette situation, il est très facile de pousser le monde du mauvais côté, du côté de l'inertie ou de l'autodestruction. Plus Macbeth est artiste, sensible, plus il est passionné, plus il y a d'invraisemblances sur son chemin et plus, chez lui, le pressentiment de son destin, les déterminismes seront puissants, déjà même durant la guerre. C'est pourquoi l'homme a besoin d'un certain temps pour se laver de la guerre. Se dresser à nouveau face à la vie qui, d'ailleurs, n'est pas un choix totalement libre. La motivation de Macbeth est donc lié à sa sensibilité, que l'on voit, par exemple, dans la seconde partie. la première est plutôt celle de l'action. Nous ne savons pas quel prix il a payé pour son intransigeance, pour avoir été le plus courageux, le meilleur soldat, celui qui a tué le plus d'ennemi, qui était le plus grand désespéré. Dès le début, Macbeth est un outsider, et sa mort n'est pas celle d'Eichman. C'est quelqu'un d'autre.
Quand j'ai monté Macbeth, j'ai pensé à Ceaucescu, à la façon dont on s'est comporté envers lui : tuer le vieux parce qu'on ne sait pas ce que lui et sa femme complotent. C'était un homme dont nous avions peur même quand on le tuait. L'humanité a toujours été impuissante dvant les monstres, l'aspect irrationnl prédomine. Surgit alors une sorte de démonisme qui décide de la situation. C'est la même chose avec Macbeth. (1)

K. W. – A la fin de mon spectacle, Lady Macbeth est une vieille femme desséchée. Les meurtres devaient durer des années. Macbeth devait avoir le temps d'apprendre à être roi, à jouer son rôle. (2)

P. G. – Qu’y a-t-il dans la longue vie de Macbeth en dehors des nombreux meurtres et de l’élimination des témoins ? Y a-t-il encore autre chose ?
K. W. – L’accroissement de la solitude. Un isolement de plus en plus grand avec Lady Macbeth. Remarque qu’ils perdent même le contact entre eux. Aussi une solitude de plus en plus forte et une vie entre le cauchemar de ce que l’on a fait et le néant dans lequel on sombre. Il ne faut pas oublier que les meurtres de Macbeth sont dès le début accompagnés d’une réflexion, d’une prémonition que c’est le début de la fin. J’ai utilisé dans le spectacle beaucoup de films, Les Nibelungen de Frits Lang, Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, car j’avais l’impression qu’on ne pouvait supporter ce qui se passait qu’en étant saturé d’art. Que la mort de Macbeth, son suicide, était un acte de création. Dès le début on ne sait pas dans quelle mesure la prédiction n’est qu’une projection personnelle, c’est pourquoi la mort de Macbeth reste dans cette sphère de création. A partir d’un certain moment, il est devenu dépendant de la prédiction, quelqu’un devait tout lui dire, tout nommer, il ne voulait pas rester en suspens. Chaque prédiction successive lui donnait une sensation de sécurité, une garantie pour quelques années. (3)

P. G. – Lady Macbeth n’a pas été à la guerre, elle n’a pas été dans l’armée et elle est mauvaise ; elle est la négation emblématique de l’image de la femme faisant régner la paix.
K. W. – Oui. Mais si un homme dit à la femme qui l’aime : « Ecoute, j’ai une grande chance d’obtenir quelque chose, tu dois m’aider. » Elle peut d’abord refuser mais ensuite elle réfléchira et choisira d’être loyale envers son mari et ne lui retirera pas ses espoirs. C’est une curieuse dépendance. Cette femme doit agir avec beaucoup de prudence, tendes vers quelque chose en ayant la conviction que si elle ne l’accepte pas, cela signifierait la fin de leur couple. De plus, une pensée trahie devant une autre personne a la force d’une pensée exprimée devant le monde entier. Si nous avons goûté une fois à cette sincérité et n’y avons pas rencontré d’opposition, alors cette idée devient ordinaire, elle perd son caractère démoniaque.
Pour moi, Macbeth, c’est l’histoire d’une guerre de dix ans dont le héros revient comme Ulysse : l’épouse est déjà trop vieille pour avoir des enfants (ou peut-être a-t-elle eu des enfants et les a-t-elle perdus ?) et elle cherche tout à coup à relever le niveau d’adrénaline dans ce mariage. Macbeth a été élevé par la guerre, il a gagné sa guerre pour lui, indépendamment du meurtre qu’il commet ensuite.
P. G. – Et elle ?
K. W. – Elle pense peut-être : je suis stérile, je ne lui ai pas donné d’enfants, je serai donc sa compagne, je serai donc son amie. […]
[…] Elle le fait par amour, pour sauver son couple, pour garder ce type près d’elle et pour le contenter au moins sur ce point, puisqu’elle n’est pas capable de le faire dans ce qui est le plus important pour l’homme. Car Macbeth souhaitait ardemment un enfant. D’où, dès le début, la présence de Banco et de son fils dans les prophéties, quelque chose qui avait son origine dans l’inconscient de Macbeth. (4)

K. W. – Pour moi les sorcières sont un travail interne à Macbeth.
P. G. – Dans sa tête ?
K. W. – Dans sa tête et, en partie, dans la réalité et également dans l’état d’esprit qu’il a atteint durant la guerre. Comme dans les meilleurs films sur la guerre, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, par exemple, où les gens parviennent à l’enfer même, à la quintessence de la peur, à l’envoûtement avec des idoles, des offrandes, un comportement très primitif, tribal, accompagné de rituels. (On le trouve aussi dans Sa Majesté des mouches de Golding.) C’est la scène de Brando avec le veau dans Apocalypse Now. On est très proche des sorcières, des apparitions, des dieux qui prédisent l’avenir. D’autant plus que cela libère de la responsabilité et transfère la faute sur la prédiction. (5)

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Le Songe d’une nuit d’été Hamlet Shakespeare

Krzysztof Warlikowski, Théâtre écorché, Arles, Ed. Actes Sud-La Monnaie De Munt, série "Le Temps du théâtre", dirigée par G. Banu et C. David, 2007, (1) p.131-132, (2) p.133, (3) p.134, (4) p.137-138, (5) p.140, (6) p.122.

 
 
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