Sacre du printemps

(1913)

 

de Stravinski (1882-1971)

Je pensais déjà à L’Oiseau de feu, à l’automne 1909, alors que je quittai Oustiloug pour Saint Pétersbourg, bien que je ne fusse pas certain d’en recevoir commande (ce qui ne vint, en fait, qu’en décembre, plus d’un mois après que j’eus commencé à composer ; je me rappelle du jour où Diaghilev me téléphona pour me dire que je pouvais commencer la composition, je lui répondis que j’étais déjà à l’œuvre). Début novembre, je quittai Saint Pétersbourg pour m’installer dans une dacha, propriété de la famille Rimsky-Korsakow, située à 70 milles au sud de la ville. Je m’y rendais pour des vacances, afin de me reposer au milieu des forêts de bouleaux, et à l’air enneigé et frais, mais au lieu de me détendre je commençai à travailler à L’Oiseau de feu. Andrei Korsakow (le fils du compositeut), s’y trouvait avec moi, comme ce fut souvent le cas les mois qui suivirent, ainsi L’Oiseau de feu lui fut dédié. L’introduction, jusqu’à la sixième mesure pour basson et clarinette, fut composée à la campagne, ainsi que les notations des parties suivantes. Je revins à Saint Pétersbourg en décembre et y restai jusqu’en mars, date à laquelle j’avais achevé la composition. La partie orchestrale fut prête un mois plus tard, et j’envoyai le tout à Paris par courrier à la mi-avril (la musique est datée du 18 mai, mais à cette date je ne faisais que retoucher quelques détails.)

Fokine passe pour être le librettiste de L’Oiseau de feu, mais je me rappelle que nous avons tous participé à l’élaboration du scénario, et particulièrement Bakst, qui était le principal conseiller de Diaghilew, y contribua pour beaucoup. J’ajouterais également que Bakst était au même titre que Golovine, responsable des costumes. Ma « collaboration personnelle avec Fokine se limita à l’étude que nous fîmes ensemble du libretto, épisode par épisode jusqu’à ce que je susse exactement quelles mesures étaient requises. En dépit des homélies fastidieuses de Fokine lors de chaque séance de travail sur le rôle de la musique comme accompagnement de la danse, il m’apprit beaucoup de choses, et depuis j’ai toujours travaillé avec les chorégraphes de la même façon.

J’appréciai fort, évidemment, que ma musique fut jouée à Paris, et arrivant fin mai dans cette ville, en provenance d’Oustiloug, je pouvais à peine contenir mon enthousiasme. Cette excitation fut cependant quelque peu modérée lors de la première représentation, car la musique et le jeu scénique semblait porter le cachet : « Pour exportation de Russie ». Cela était particulièrement vrai pour les scènes de mime, mais il m’était impossible d’objecter quoi que ce fût, car Fokine les aimait plus que tout. J’étais aussi dépité de découvrir que mes remarques sur la musique n’avaient pas valeur d’oracle, et le chef d’orchestre, Pierné, m’exprima devant tout l’orchestre son désaccord : j’avais écrit « non crescendo », annotation assez fréquente dans la musique des cinquantes dernières années, mais Pierné me lança : « Jeune homme, si vous ne voulez pas un crescendo, renoncez à composer ».

La première fut extrêmement brillante, le fait que le public était fort parfumé en est resté le souvenir le plus vivant de ma mémoire. L’élégance terne du public londonnien, comme je le découvris ultérieurement, ma parut par comparaison presque inodore. J’assistai à la représentation dans la loge de Diaghilew, où, pendant les entr’actes, artistes, « intellectuels » amateurs de ballet paraissaient tour à tour. J’y rencontrais pour la première fois Proust, Giraudoux, Paul Morand, Alexis Saint léger, Claudel (avec lequel je collaborerai presque, plus tard, à un arrangement musical du Livre de Tobit, bien que je ne me souvienne plus si je rencontrais toutes ces personnes lors de la première ou au cours des représentations suivantes. Ce fut lors d’une des dernières représentations que je rencontrais Sarah Bernhardt. Son visage était masqué par un voile fort épais, et, assise dans sa loge privée dans un fauteuil roulant, elle paraissait terriblement craindre d’être reconnue. Au bout d’un mois de ces mondanités, je fus heureux de partir me reposer dans un village endormi de Bretagne.


Pina Bausch (1975)
 

Angelin Preljocaj (2001)


Heddy Maalem

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