Sławomir Mrożek (1930- |
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article sur l'auteur |
Sławomir Mrożek et ses œuvres sur l’émigration Sławomir Mrożek est né en 1930 près de Cracovie où il commence comme dessinateur satirique après une formation de journaliste. Au milieu des années 1950, il se met à écrire des nouvelles. Sa carrière littéraire débute réellement en 1958 avec le recueil L’Eléphant (Słoń). S. Mrożek est avant tout connu comme un dramaturge du théâtre de l’absurde qui décrit de manière engagée la réalité de son pays, la faisant ainsi connaître aux autres nations car sa renommée, depuis sa pièce de théâtre Tango (1965), est devenue internationale. Son œuvre se caractérise avant tout par une satire pointue et souvent humoristique de la société polonaise et du pouvoir politique pendant la période de la République populaire. S. Mrożek s’exile de Pologne en 1963 pour l’Italie puis la France en 1968 et enfin le Mexique en 1989. Ce n’est que dans ses derniers écrits (Journal d’un retour au pays et Balthazar) que S. Mrożek réutilise la distance des métaphores mais cette fois pour confier ses propres impressions et sentiments. S. Mrożek a traité pour la première du thème de l’émigration polonaise dans sa pièce de théâtre Les Emigrés (Emigranci) en un acte écrite en 1974. S. Mrożek aborde le sujet de l’émigration de manière encore plus personnelle dans son Journal d’un retour au pays et plus particulièrement dans la première partie intitulée "Mexique". Celle-ci est composée de dix-sept courts récits écrits entre le 13 avril et le 16 juillet 1996. Il recouvre donc une période très courte. Comme dans tout journal intime, l’auteur et le narrateur se confondent. Il n’y a donc que très peu de recul sur les événements racontés ou sur les réflexions menées. De nombreuses anecdotes de la vie de l’auteur-narrateur ponctuent cette œuvre donnant à ce Journal un ton très nostalgique. S. Mrożek revient sur sa jeunesse, son passé en Pologne et son goût pour l’aventure. Mais aussi au fil de l’œuvre le lecteur apprend les raisons de son départ, sa vie à Paris est évoquée rapidement pour plus insister sur son installation au Mexique et la vie qu’il y a mené. Comme des mémoires ou une autobiographie, ce Journal semble être écrit par un vieil homme qui regarde sa vie derrière lui et qui fait le point. On peut même aller jusqu’à croire qu’il ne revient en Pologne que pour mourir aux côtés de ses ancêtres, c’est du moins ce qu’il semble ressortir de son cinquième récit qui insiste sur sa fatigue, sur la vieillesse et sur la vie humaine en général : « Et c’est bien aussi, aller le plus loin possible, c’est le rêve de la jeunesse et le privilège de l’âge mûr. C’est déjà derrière moi. Mais la figure géométrique de la vieillesse, à ce qu’on voit, c’est la roue. On va, on va, et si on va assez longtemps, on arrive à son point de départ ». La difficulté du retour des émigrés Le thème du retour au pays dans les deux œuvres de S. Mrożek est abordé sous l’angle de la peur. Il est cependant difficile d’établir un réel parallèle entre les deux car la pièce Les Emigrés a été écrite dix ans après son départ, soit vingt ans avant son retour. Sa vision de la Pologne a pu évoluer d’autant plus que dans cette pièce il s’agit de la Pologne populaire, alors qu’en 1996, c’est dans une Pologne libérale que S. Mrożek s’apprête à rentrer. En revanche ce qui domine dans cette pièce de théâtre est là encore la peur de rentrer. XX est obsédé par son retour, mais comme le démontre AA à la fin de la pièce, sa peur est plus forte et il n’en aura probablement jamais le courage. En ce qui concerne AA, lui aussi semble vouloir rentrer, comme le montrent ses pleurs qui closent la pièce, mais il ne le peut pas. Sa peur de rentrer est plus matérielle : il a émigré après avoir été dénoncé, s’il rentre il risque de se faire arrêter et donc de perdre sa liberté, le mot d’ordre de toute sa vie puisque c’est le sujet du livre qu’il tente d’écrire. Dans son Journal, Mrożek admet qu’il n’est pas le premier Polonais à avoir émigré, il n’est donc pas le premier à rentrer. Il s’inscrit donc dans la lignée des grands écrivains polonais à avoir passé une grande partie de leur vie à l’étranger. Dans ce récit il estime que tous ceux qui ont décidé de rentrer ont appréhendé leur retour à leur manière, l’associant à leur époque, leur pays d’adoption et surtout à leur personnalité et à leur histoire personnelle. Pourtant l’auteur-narrateur ne peut s’empêcher de se trouver inférieur à ces émigrés : « Je ne peux ni par la détermination, ni par l’esprit d’aventure ou le goût du risque, me comparer à mes grands prédécesseurs ». Dans son ouvrage Cześci i Skandale, Alina Witkowska analyse comment la Grande Emigration (l'émigration polonaise du début du XIXe siècle) vivait son exil. Cette émigration, bien que différente, est plus proche de celle de S. Mrożek que des émigrations polonaises actuelles. En effet, les émigrés polonais avaient peu de contact avec la Pologne en elle-même. Tout comme S. Mrożek, ils partaient pour de longues années et lorsqu’ils revenaient, s’ils pouvaient revenir, le pays avait évolué sans eux et eux sans lui. Avec la distance, un espace mythique se construisait autour de la Pologne alors que leurs principales préoccupations restaient leur vie quotidienne dans leur pays d’adoption et non pas les événements en Pologne. De nombreux écrivains polonais du XIXe siècle ont ressenti la nécessité d’écrire un journal, leur autobiographie ou des mémoires sur leur situation d’émigrés. Mrożek par ce texte pose donc sa pierre à l’édifice de la réflexion sur l’émigration. En effet sa réflexion sur son retour pousse à prendre conscience de l’écart entre l’évolution du pays et celui de l’émigré et donc implique une réflexion sur la place de ce dernier dans la société polonaise à son retour. Ce texte pourrait donc encore aujourd’hui revêtir une grande importance pour la société polonaise et ses deux millions de Polonais vivant actuellement à l’étranger. Pourtant la portée actuelle de l’œuvre reste limitée. Tout d’abord parce qu’en tant que journal, c’est une œuvre qui reste très personnelle. Les réflexions que S. Mrożek a dans son Journal s’adaptent à son histoire personnelle et à sa personnalité. Il n’est pas certain que beaucoup d’émigrés polonais d’aujourd’hui s’identifient à ces réflexions, d’autant plus que le type d’émigration de S. Mrożek est aux antipodes de la majorité des émigrations actuelles. En effet, S. Mrożek est parti pendant plus de trente ans, dont presque une dizaine d’années au Mexique, donc un pays très éloigné de la Pologne. De plus entre le moment de son départ et celui de son retour d’énormes changements ont traversé la Pologne. En revanche, aujourd’hui, l’émigration polonaise est plutôt de courte durée (une dizaine d’année), majoritairement en Europe et avec le développement des moyens de communication et de transports, les contacts avec le pays sont plus réguliers. Toutefois, ce Journal apporte tout de même une certaine lumière sur la vision du retour d’un exilé polonais dans son pays et explique pourquoi les Polonais émigrés sont encore très peu à rentrer malgré les tentatives du gouvernement pour faciliter leur retour. |
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