Le Criminel par infamie (1786)
de Friedrich Schiller (1759-1805) |
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[L'art de guérir et la diététique, si les médecins veulent être sincères, ont recueilli leurs meilleures découvertes et leurs prescriptions les plus salutaires au chevet des malades et des mourants. Les autopsies, les hôpitaux et les maisons de fous ont répandu sur la physiologie les plus vives lumières. Il serait juste que la psychologie, la morale, la puissance législative suivent cet exemple et cherchent de manière analogue à trouver des enseignements dans les prisons, les tribunaux et les procédures criminelles, ces procès-verbaux où l'on dissèque de vice. in 1ère édition, dans le second cahier de "Thalia", 1786.] Dans toute l'histoire de l'humanité, il n'est aucun chapitre plus instructif pour le coeur et l'esprit que les annales de ses égarements. Dans chaque grand crime était en action une force relativement grande. Alors qu'à la lumière estompée des états d'âme ordinaires, le jeu secret de la force motrice reste caché, il n'en devient que plus manifeste, plus frappant, plus colossal lorsque éclate une passion violente ; le psychologue un peu subtil, qui sait combien on peut en réalité tabler sur le mécanisme de la libre volonté ordinaire, et dans quelle mesure il est permis de conclure par analogie, transposera plus d'une observation de ce domaine dans sa psychologie et en tirera profit pour son éthique. [...] On a étudié le sol du Vésuve pour expliquer l'origine de son feu ; pourquoi accorde-t-on moins d'attention aux phénomènes moraux qu'à ce phénomène physique ? Pourquoi n'être pas attentif au même degré à la nature et au rapport des circonstances qui entouraient tel homme jusqu'à ce que la poudre amassée en lui ne prenne feu ? Le rêveur, amateur de merveilleux, n'est précisément charmé que par l'aspect étrange et aventureux des phénomènes ; mais l'ami de la vérité cherche une mère à ces enfants abandonnés. Il la cherche dans la structure invariable de l'âme humaine et dans les circonstances variables qui l'ont déterminée du dehors, et dans ces deux facteurs, il la trouve certainement. Il ne s'étonne plus alors en voyant prospérer la ciguë vénéneuse dans un même sol où ne fleurissent par ailleurs que des plantes bienfaisantes ; de retrouver la sagesse et la folie, le vice et la vertu dans un seul et même berceau. [Que de jeunes filles bien élevées auraient sauvé leur innocence si elles avaient appris plus tôt à juger un peu plus charitablement leurs soeurs tombées, dans les maisons de joie ! Que de familles ruinées par la misrable chimère de l'ambition politique seraient encore florissantes si elles avaient voulu interroger, sur l'histoire de sa vie, le forçat condamné à balayer les rues pour expier sa prodigalité !, in 1ère édition, dans le second cahier de "Thalia", 1786.]
Jakob Friedrich Abel, Histoire de la Vie de Friedrich Schwan extrait de la préface du volume : Friedrich Schwan, né en 1729 à Eberspach, un village du Wurtemberg, devint si célèbre par ses brigandages et ses assassinats, comme aussi par la témérité et l'adresse avec laquelle il les commettait, qu'il fut longtemps l'objet de la terreur générale, et qu'aujourd'hui encore, dans plusieurs régions du Wurtemberg, son nom (on l'appelait "aubergiste du Soleil" d'après son père qui tenait l'auberge du Soleil à Eberspach) devint un nom commun pour "brigand" ou "assassin". [...]
Postface En 1794, un auteur qui signe D.V.a.v.E. fit paraître, à Francfort et Leipzig, L'Aubergiste du Soleil (der Sonnenwirt), une tragédie en 5 actes ; en 1854, un certain Wust publia à Reutlingen L'aubergiste du Soleil ou la vie et les actes du fameux brigand et assassin Joh. Friedr. Schwan d'Eperspach (Der Sonnenwirt oder Leben und Taten des berüchtigten Räubers und Mörders Joh. Friedr. Schwan von Eberspach). Hermann Kurz tira de la légende la matière de son roman régionaliste L'Aubergiste du Soleil (Der Sonnenwirt) paru à Francfort en 1855. Nul doute, c'est Abel qui est la source de Schiller, un coup d'oeil sur sa version suffit à s'en convaincre, même si elle ne parut qu'en 1787, un an après le Criminel par Infamie. Abel avait connu Schwan personnellement, puisque c'est son père qui avait arrêté et jugé ce fameux bandit. Il enseignait à la Karlsschule, que Schiller fréquenta jusqu'en 1780, et aimait à illustrer ses cours de psychologie par des exemples vécus ; il est donc plausible que c'est là que Schiller ait entendu parler du brigand Schwan. La version dont Schiller avait connaissance lorsqu'il rédigea son propre texte, probablement vers le début de l'année 1786, peut donc avoir été légèrement différente de celle dont nous publions des extraits en annexe ; mais elle ne peut sans doute ni l'avoir contredite sur le fond, ni avoir été plus élaborée.
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