Othello

(1603/1604)

de William Shakespeare (1564-1616)

mise en scène Éric Vigner, 2008

Mon chagrin est celui du Ciel, qui frappe ce qu’il aime.
Shakespeare

Entre 1599 et 1608, Shakespeare a produit sept sommets du répertoire tragique. Othello, qui date probablement de 1603/4, est le troisième d’entre eux, succédant à Hamlet et précédant immédiatement Le Roi Lear. Et ce drame, d’une terrible noirceur, est peut-être de tous ceux de Shakespeare celui dont l’intrigue est la plus maîtrisée. Le voyage d’Othello vers son destin, commencé à Venise et s’achevant à Chypre, paraît l’enfoncer peu à peu en enfer, tandis qu’autour de lui l’espace va se rétrécissant progressivement, jusqu’aux dimensions de la chambre où Desdemone est étouffée. Pour retracer les étapes de cet engloutissement d’un homme dans son propre abîme Éric Vigner a souhaité d’abord disposer d’un texte taillé à nouveaux frais pour des acteurs tels que Michel Fau et Samir Guesmi. Car Vigner, qui a toujours aimé passer des classiques aux modernes et faire dialoguer leurs qualités respectives, se fait d’Othello une idée résolument contemporaine.
Pour écrire avec lui cette nouvelle version, il a fait appel à Rémi De Vos. Leur amitié remonte à une bonne décennie. Vigner a déjà créé deux de ses oeuvres (dont Jusqu’à ce que la mort nous sépare, présenté à Paris en 2007) au Théâtre de Lorient, qu’il dirige depuis 1996 et où De Vos travaille à ses côtés en qualité d’auteur associé. Leur nouvelle traduction a été achevée peu avant le départ de Vigner pour Atlanta, où il était attendu pour mettre en scène une pièce de cet autre traducteur de Shakespeare que fut Bernard-Marie Koltès. Et dès le début des répétitions, alors qu’il abordait en langue anglaise celui qui est l’un de ses auteurs de prédilection, il mesura « combien les pièces communiquent entre elles ».
Koltès et Shakespeare lui paraissent se faire écho, s’éclairer, se commenter l’un l’autre. « Deux hommes qui se croisent », écrit Koltès, « n’ont pas d’autre choix que de se frapper, avec la violence de l’ennemi ou la douceur de la fraternité » : en redécouvrant cette réplique de Dans la solitude des champs de coton, Vigner songe aussitôt à cette autre « histoire d’hommes » qu’est Othello, où s’affrontent le général maure et son enseigne, Iago le démoniaque.
Koltès et Shakespeare ont tous deux le sens des conflits et des guerres : Othello a pour toile de fond une Méditerranée où Turcs et Vénitiens se disputent la suprématie, et dans l’ombre de la cité marine que sert Othello le Berbère, Koltès aide Vigner à entrevoir d’autres États, nouant avec «leurs» étrangers des liens tout aussi ambigus... «Othello », conclut Vigner, « est une pièce des ténèbres, où la question du désir, de l’amour et de la mort circule dans une atmosphère hypnotique, comme chez Koltès... L’étrange travail de mort qui s’opère dans cette pièce ne sera sublimé par rien. C’est un désert que l’on voit ».

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