Ivanov (1887)
(1860-1904) |
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La pièce : Propriétaire foncier d’âge mûr, sa vie professionnelle est un échec et il n’a que des dettes. Sa vie sentimentale ne vaut pas mieux, car, marié par amour à une Juive, il ne peut plus la supporter, bien qu’elle soit en train de mourir de phtisie. Incapable de passer une simple soirée avec elle, il cherche refuge chez un vieil ami alcoolique, Lebedev, dont la femme lui prête de l’argent à intérêt et la fille Sacha est amoureuse de lui. Cette dernière lui déclare son amour et il ne peut s’empêcher de la prendre dans ses bras au moment même où arrive sa femme. De plus en plus aigri par les dettes qu’il ne peut payer, la maladie de sa femme et les remords, Ivanov accumule les erreurs. Il refuse l’argent que Lebedev lui propose, reçoit Sacha chez lui et traite sa femme de sale Juive et lui annonce très clairement qu’elle n’a plus longtemps à vivre. Sa femme morte, Ivanov décide de se remarier avec Sacha, mais, incapable de surmonter ses propres contradictions, il se suicide le jour de ses noces. Succès d’Ivanov traite d’un problème qui travaille les intellectuels russes / sombres années 80 : « J’ai caressé le rêve audacieux de faire la somme de tout ce qui fut écrit jusqu’à présent sur les gens qui languissent et se lamentent et, par mon Ivanov, mettre un terme à cette sorte d’écrivasserie. » A.P.Tchekhov. | 1887 : Ivanov, vif succès au début de sa carrière - la personnalité complexe de ce représentant d’une génération perdue suscita un intérêt passionné dans le public qui n’était pas habitué à des portraits psychologiques aussi fouillés. Ivanov, qui date de 1887, fut écrit en dix jours. Ce premier drame achevé suscita par sa nouveauté un vif mouvement d'opinion. Pourtant, il ne fut pas compris tout de suite. La forme neuve "quotidienne", la grisaille apparente des caractères, l'absence d'intrigue, déroutaient le public et la critique. On lui reprocha aussi d'avoir "calomnié la société russe". Tchekhov se défendit sur ce point, en expliquant que ses personnages étaient toujours le résultat de son étude de la vie. Et en effet, Ivanov, le drame de cet idéaliste velléitaire est bien le drame même de l'intelligentsia russe de l'époque. 19 novembre 1887 : « Les hommes de théâtre disent n’avoir encore jamais vu au théâtre une telle effervescence, autant d’applaudissements et de querelles qu’à la suite de ma pièce. Et chez Korch, l’auteur n’avait encore jamais été ovationné dès le deuxième acte ». Lettre à son frère Alexandre. 24 novembre 1887 : « Tu ne peux imaginer comment ça s’est passé ! De cette petite merde qu’est mon drame ils en ont fait une montagne ! Je t’ai déjà décrit l’émotion qui régnait dans le public et dans les coulisses - durant ses trente deux années de carrière théâtrale le souffleur n’avait jamais rien vu de tel. On faisait du bruit, on trépignait, on criait : » Psst ! » ; au buffet on a failli se battre et à la galerie les étudiants avaient voulu virer quelqu’un, si bien que la police avait dû intervenir et en sortir deux. L’émotion était générale. » « Ton Schiller Shakespearovitch ! ». Lettre à Alexandre.
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Dans une société dans laquelle l’existence est déterminée par le travail, celui qui en est dépourvu devient vite superflu. Ivanov, l’intellectuel sceptique, l’inactif endetté, fait partie de ces “gens superflus”. Son malheur le paralyse. Jeune homme, il sent déjà ses forces disparaître et ne se considère plus que comme une ombre parmi les hommes. Dans un océan de désolation, Tchekhov entraîne une noblesse roublarde, avide de plaisir et d’argent dans la comédie. Au coeur de celle-ci se joue la tragédie d’Ivanov, comme s’il luttait lui-même avant tout pour le droit à célébrer son propre désespoir. Dimiter Gotscheff extirpe de la pièce tout naturalisme : la scène est nue, avant d’être envahie d’un étrange paysage de brouillard. De temps en temps, les personnages sortent des nuages et s’avancent sur la scène, âmes nues ou archétypes grotesques. Tous jouent, tantôt dans le registre de l’identification, tantôt dans celui de la soudaine exagération, une société au bord du gouffre, qui broie l’individu tout en laissant libre cours à la stupidité pragmatique. Ivanov est un psychodrame de l’homme moderne, usé désormais de tant de lucidité. Dans cette mise en scène, oscillant merveilleusement entre grotesque et tragédie, des scènes de vanité amère ou d’opportunisme alerte prennent forme dans les nappes de brouillard. Lorsque celui-ci se déchire, il laisse apparaître comme dans une illusion une troupe de comédiens exceptionnels. Dans cette mise en scène drôle et fine, si naturellement inscrite dans l’Ici et Maintenant, les acteurs réinvestissent le devant de la scène. |
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