La Pièce sans nom

(1880/81 ?)

d'Anton P. Tchekhov (1860-1904)

mise en scène Lev Dodine, 1997

 

Représentation du samedi 20 novembre 2009 / MC 93

"La Pièce sans nom va bientôt commencer dans la salle Oleg Ofremov, nous vous invitons à rejoindre votre place." Après l'entracte le public est invité à retourner s'asseoir. La Pièce sans nom, autrement dit la première pièce du jeune Anton Tchekhov alors âgé d’environ 18 ans, œuvre matrice non terminée et jamais jouée du vivant de son auteur. Le spectacle débute in media res, la fête a déjà commencé (ou commence-t-elle à peine ?) et Platonov est déjà présent. Lev Dodine accentue la rencontre programmée entre Sofia et son ex-amant, alors que ce dernier prévient vouloir ne pas être signalé à la femme fraîchement mariée au médecin, fils de son hôtesse Anna Petrovna, veuve d’un général confrère du père de Platonov.
La communauté russe est réunie après six mois d’un hiver d’hibernation forcée ; maintenant il fait très chaud et le bassin que Lev Dodine a fait installer au milieu de la scène créé une présence mouvante, opaque, féérique aussi. Lieu d’apparitions et de disparitions. La musique est omniprésente ; chaque acteur possède son instrument, métaphore et synecdoque d’un chœur aux multiples signifiés : éléments naturels, opinions populaires, élèves, complices fraternels, voire machinistes ou régisseurs de plateau pour les changements de décor. Lev Dodine stigmatise la séduction qu’opère Platonov vis-à-vis des femmes, le rapport des Juifs avec l’argent et la menace pour Anna Petrovna de voir sa propriété vendue, le conflit entre Glagoliev-fils et son père ; la mise en scène développe tous ses points à partir d’un seul et même décor.
Le dispositif scénique permet des entrées et des sorties de tout côté et par le bassin – lac, piscine – c’est selon. Trois niveaux de plain-pied permettent d’isoler et de symboliser les différents lieux de l’action : la plage avec le sable, où sera donné le banquet de l’acte I, la salle de classe au balcon et au niveau du théologéion, un piano, deux douches et une batterie. Toujours chez Dodine les images figurent de splendides tableaux auxquels la lumière et les costumes confèrent une beauté poétique, idéale, peut-être naïve.
La distribution m’a dès le prime abord quelque peu surpris : Platonov interprété par cet acteur barbu, grand, élancé, qui rappelle Maurice Béjart, me semble peu convenir pour le rôle, sa femme Sacha est incarnée par une actrice très enveloppée, la générale est petite, un peu plus âgée que le rôle ne paraît le laisser supposer… (1) Erreur de casting volontaire ? En tout état de cause, après l’étonnement passé, le dynamisme des acteurs, leur implication, prennent le dessus et nous happent. La prouesse physique imposée par le bassin, les sauts par-dessus les barrières, monter et descendre les échelles-escaliers, tout cela agrémente une mise en scène colorée, futée et irrémédiablement surprenante parce que vivante.

Michaël Therrat
le 21 novembre 2009

(1) Ossip, costumé et coiffé comme un aristocrate décadent ne laisse pas transparaître son appartenance au monde sauvage de la forêt. Peut-être n’y en a-t-il pas la nécessité puisque le bassin à l’eau scintillante ou trouble – opacité versus transparence – rappelle constamment cette occurrence du désir, de l’instinct et de l’imprévisible.

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