Emmanuel Darley

(1963-2016)

à Paris, le 30 décembre

Décédé le 25 janvier 2016, à Saint-Nazaire (France)

 
 
 
 
 
 
 

 

Flexible Hop Hop
2002 : Plus d'écoles (L'École des loisirs)
2002 : Qui va là ? et
Pas Bouger (Actes Sud)
2001 : Souterrains (Théâtre Ouvert)
2000 : Indigents (Actes Sud-Papiers)
2000 : Une ombre (Théâtre Ouvert)
1998 : Badier Grégoire (Théâtre Ouvert)

extrait du journal en ligne d'Emmanuel Darley : http://emmanueldarley.9online.fr/

Donc, aujourd'hui, 24 septembre :
Des ateliers à mettre en place. L'essentiel sera en 2005. Cela va tenir du jonglage. Tout en même temps. Avec ça des commandes d'écriture qui se rajoutent. Il faudrait apprendre à dire non.
Alors que la compagnie Labyrinthes s'en va d'ici peu jouer
Pas Bouger à Chicago, j'ai la confirmation ce jour que la pièce est traduite en espagnol et qu'elle sera jouée à Buenos Aires en novembre. Parlé un moment avec Jaime Arrambide qui n'est pas le traducteur mais qui s'occupe du projet et qui me pose quelques questions. Toujours réjouissant d'être transposé dans une autre culture.
Belle question de dramaturgie : quand la cycliste passe, passe t-elle vraiment ou peut-on imaginer que Ming l'invente, invente ce passage tant espéré, pour aider A ?

10 décembre : Reçu ce matin directement d'Argentine, quelques photos des représentations de Pas Bouger (No Mover) à Buenos Aires...


D'autres dates prévues au printemps à Cordoba, là-bas. Ces villes vues, entraperçues dans le film sur Che Guevara jeune.

Lettre de Jean-Marc Bourg, fermeture de la compagnie Labyrinthes : http://labyrinthes.9online.fr/fermer.html

Un départ sans retour

Hier, la mort d’Emmanuel Darley nous a laissés sans voix. Comment dire ce sentiment de perte et de vide qui nous a submergés ? Tant de choses restaient à faire avec lui, tant de projets à venir sont devenus des désirs inaccomplis.
Il avait accepté à notre grand joie d’être durant deux mois en résidence à La Marelle, à la Friche la Belle de Mai Marseille, en mai et juin 2014, pour se poser et observer, de l’intérieur, cette ville « ouverte sur la mer, sur l’ailleurs », ce qui la traverse, ceux « qui sont là de longue date [ou] qui sont Marseillais depuis peu ». Une envie d’habiter le lieu, mais aussi un besoin de revenir à quelque chose qui le préoccupait fortement : la migration, et les violences qui s’y rattachent ou qui en sont la cause. Il avait « le sentiment de ne pas avoir fait le tour de ce sujet », il voulait à partir de cette cité carrefour « y retourner voir ». Autrement, sous un autre angle, sans se limiter et en laissant « tous les possibles venir »…

On nous demande souvent (surtout nos financeurs…) quel est le « résultat » d’une résidence. Dans le cas d’Emmanuel Darley, il est immense. Bien sûr, on pourrait parler des rencontres publiques qu’il a menées, avec nous, avec le théâtre de la Minoterie-Joliette, avec les participants de l’atelier d’écriture « en balade » proposé par les Ateliers de découverte urbaine Euroméditerranée, avec les détenus des Baumettes dans le cadre des ateliers de Lieux Fictifs… On pourrait parler des textes qu’il a écrits sur son blog et sur le nôtre, de son intervention à la radio, des nombreuses rencontres informelles avec certains artistes, du chorégraphe Georges Appaix au photographe Franck Pourcel. De l’invitation faite à Philippe Malone, autre écrivain de théâtre et pratiquant comme lui la photo, à partager un temps son séjour, nous donnant l’idée de créer à partir de là un « fil rouge » reliant certains résidants directement à l’un de leurs prédécesseurs. On pourrait aussi évoquer ses retours à Marseille, après sa résidence, pour présenter d’autres travaux théâtraux, mais aussi pour entamer avec nous, à partir des matériaux recueillis durant son séjour, une réflexion sur un livre qu’il imaginait d’une forme nouvelle, multiple, rassemblant textes, images son et vidéo, récits, témoignages, fictions, paroles théâtrales et poésie. Il avait le souhait de « faire d’un projet global une somme de projets ». Il avait aussi l'envie d’en faire une œuvre collective, c’était l’objet d’un de ses tout derniers messages. Ce « livre » n’existera désormais que dans nos têtes, il faudra l’inventer. Ou il faudra qu’un autre écrivain s’empare de cette ambition, poursuive à sa manière ces espaces à peine explorés, ces projets en suspens.

Mais ce qui nous a marqués, et qui nous manquera, c’est sa présence forte mais discrète, tout comme sa parole, hachée de silences. Ses phrases, à la limite du chuchotement, mais marquées souvent par un humour mêlant la satire au burlesque, et révélant un regard acéré. C’est cette amitié entre nous, construite de longue date, à peine avouée il faut dire, mais fidèle. Nos premières rencontres ont eu lieu en 1993 à la librairie Tschann à Paris. Nous échangions sur les livres, lui jeune libraire, moi représentant en édition, tout en plaisantant, avec néanmoins beaucoup de respect, des douces folies et saines colères de la vénérable Marie-Madeleine Tschann, toujours présente en ces murs bien qu’elle n’en soit déjà plus officiellement la propriétaire. Ce fut ensuite de lointains échanges, jusqu’à la parution de son premier livre chez P.O.L. où je l’ai découvert écrivain. Les suivants nous donnèrent enfin l’occasion de nous revoir de nombreuses années après, pour des rencontres publiques, tissant un nouveau mode d’échanges marqués toujours par la littérature, et aboutir à cette proposition de résidence de création à La Marelle. J’avais la ferme intention de publier ce livre hybride et collectif. Il y aurait été à son aise, dans cet espace créé au milieu des autres, au milieu de la ville, observant, écrivant, imaginant un autre monde…

Pascal Jourdana, directeur de La Marelle
Avec Claude de Peretti, Fanny Pomarède et Lætitia Santoni

« Atelier de rêves urbains »

On se retrouve à la Minoterie. Vous êtes nombreux. Je vous regarde de loin discret. J’aime bien faire ça avant les ateliers. Regarder les gens qui viennent avec moi écrire.
D’abord à la table. Les plans, les cartes, les photos anciennes de Julie.
La ville qui se dessine.
Et puis on sort. On circule. Petite procession qui se déplace dans la Joliette.
Étape une, puis deux, puis trois. On s’arrête. Je vous donne la consigne. Les consignes.
Vous vous asseyez. Longue ribambelle d’écrivants assis sur le muret.
Concentrés. Attentifs. Fébriles, on dirait. Les yeux levés vers les immeubles que je vous ai demandé de faire parler.
Pareil plus loin.
Autres immeubles, modernité.
Ça écrit drôlement. Il faut vous arrêter. Vous redire plusieurs fois On s’arrête.
Écrire en mouvement. Écrire la ville. Le bruit, les gens. Ce qui circule et ce qui demeure.
C’est assez joyeux de vous regarder comme ça écrire.
Et puis retour.
Minoterie.
Théâtre.
Vous écouter.
Écouter vos écrits. Ce que mes consignes et puis ce paysage urbain, dans ce parcours par les filles de Rêves Urbains dessiné, vous a inspiré.
Des voix. Des murs, des objets qui parlent. Qui disent.
Et puis, oui, la ville par vous décrite, sensible, intense.
C’était court, un peu en coup de vent, c’était ça la contrainte, mais c’était bien. Riche.

Emmanuel Darley

Texte écrit pour « Carnets de résidence », le blog des auteurs de La Marelle, publié le 15 juin 2014 à l’occasion d’un atelier mené en partenariat avec le Théâtre Joliette-Minoterie et les Ateliers de découverte urbaine Euroméditerranée.

Emmanuel,
Nous ne nous connaissons pas beaucoup, croisés 3 fois, c’est un bon chiffre : 3 Ming /
Pas Bouger.
Je viens de tomber sur la
lettre de Jean-Marc Bourg disant qu’il arrêtait Labyrinthes.
Je ne connais pas personnellement Jean-Marc. J’ai appris cela via ton site avec lequel j'ai créé un lien.

Ce qu’écrit Jean-Marc c’est ce que j’ai analysé il y a plus de 10 ans déjà et je m’étais retiré du jeu. Je n’avais pas eu le privilège d’obtenir de résidences ni quoi que ce soit et c’est lorsque les fruits auraient pu être récoltés que je suis parti. Manque de persévérance ? Qui juge ?

Tous les 3 mois, comme pour une hygiène mentale, je me dis que je vais de nouveau arrêter, parce que c’est trop dur ! Quels gémissements intempestifs ! Pour toutes les raisons qu’invoquent Jean-Marc – et je ne les connais pas – mais ce refus-là m’inspire un grand respect. Tel Rabelais dans les guerres Piccrocoles (orthographe ?) qui expliquait qu’on n’accule pas son ennemi jusqu’au bout, on lui préserve sa dignité… Aujourd’hui, c’est l’abattage ! Après le gavage, le dressage et le tapage, c’est l’abattage ! L’exécution ! Et ce qu’il y a de fort c’est que c’est nous-mêmes aujourd’hui qui jouons les différents rôles : bourreaux et suppliciés !

[Nous allons finir par nous terroriser nous-mêmes ! Vive la métamorphose ! Kafka avait tout vu déjà. Trêves de bavardage, quoique ça me ferait bien plaisir avec des personnes de qualité - j’aspire à un nouveau XVIIIème s. aristocratique - où la conversation elle-même était un art…
Mais tout part à vau-l’eau (merci le correcteur d’orthographe !) « Donc » - que disais-je ? – « voici l’hiver de notre infamie changé en glorieux été par ce soleil d’York… » (Richard III) ce « donc » qui ouvre la pièce de
Shakespeare ne serait-ce pas le même qui pousse un créateur à créer ? A décider, à choisir… Mais le paradoxe, c’est que ce n’est pas un véritable donc, car nous sommes pétri de doutes, selon la tradition grecque, l’art de douter – zététique – entre nous soit dit, ne saurait être entendu d’une époque régie plus que jamais par toutes les surprises de la boîte de Pandore… Peurs et angoisses, fantasmes et terreurs…]

Jean-Marc Bourg ferme la boutique donc pour retrouver l’art. Craig avait stoppé son activité théâtrale pour réfléchir dessus aussi. Nous devons sûrement passer tous par là puisque nous vivons trop longtemps maintenant. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une ou deux actions… Mozart est mort à 37 ans ! A quel rythme ! Aujourd’hui il faut tenir le plus longtemps possible la bouche ouverte sans respirer et parcourir - mieux que Marathon - plusieurs années lumière à une vitesse intersidérale, inimaginable. Sélection antinaturelle !

Sa décision, cette non résignation, me touche dans le sens qu’elle stigmatise un échec d’un projet de société. A l’époque je parlais du cynisme de ceux d’en haut et puis je suis revenu sur cette idée en songeant que ça ne pouvait pas, non, quand même pas, j’ai parié de nouveau sur l’intelligence et je me suis replongé aussi… Alors ce qu’écrit Jean-Marc, en imaginant que je n’aurais pas fait mieux que lui, que, connaissant d’autres structures en difficulté, ou même d’autres qui ont abdiqué ou qui continue à résister  - mais avec tellement de névroses accumulées… - est assez alarmant, je voulais écrire « très grave », mais je ne voudrait pas dramatiser non plus, y a toujours plus grave que ça !

Aujourd’hui, si je continue – pour l’instant – c’est parce qu’une image me hante : lorsque j’étais en mission en Afrique je me suis retrouvé à me pencher sur un bébé de 6 mois enveloppé dans une couverture. Sa mère, le visage légèrement baissé, pleurait. J’ai regardé cet enfant mort pendant plusieurs secondes – minutes ? – puis je me suis retourné vers sa mère en larmes. Je ne savais pas quoi dire. Héritier de Voltaire, des encyclopédistes etc… Que pouvais-je dire ? J’étais impuissant.
Alors il y a le regard et dans mon regard j’ai parlé en prononçant une formule banale. Nous nous sommes regardés. Ensuite je me suis effondré. De rage. Je ne m’en suis pas encore remis.
Quand j’ai lu la lettre de Jean-Marc, ça me fait le même pincement à l’intérieur de la carcasse. Je ne sais pas quoi dire, c’est pourquoi je t’écris à toi Emmanuel, pour lui transmettre ma compréhension. Sais-tu que en juin 2006, nous avons inauguré un théâtre de verdure dans le Tarn, où les idées de projets de manquent pas. Le témoignage de Jean-Marc me prouve – d’une certaine manière – qu’il ne faut vraiment pas fonctionner avec les institutions, ni contre non plus. Il faut rester en parallèle. Privé. J’ai de la chance puisqu’aujourd’hui on n’a rien à demander à personne.

Je suis chargé de la programmation du Théâtre de La Vidalbade (à distinguer de la structure Fi Théâtre, ce ne sont pas les mêmes personnes) Marie Rouanet va sans doute venir présenter un spectacle accompagnée de son mari. Donc un lieu y en a un : quand il fait beau… pour le reste… suspens !!
Des projets de lectures de pièces sont en cours – Revel, Puylaurens – ce coin entre 3 départements est un peu sec, si tu vois ce que je veux dire… Il y a du travail, mais il ne faut pas attendre la reconnaissance, oulà ! Ming-ming-ming le téléphone sonne, sonne, sonne !!!
A l’occasion je souhaiterais parler avec Jean-Marc et avec toi. Ensemble ou séparément, comme le temps nous le permettra.

Merci de ta présence
B. fin d’année, déjà.
Michaël, Ming occasionnel sauf dans les salons du jardinage !

e-mail adressé à Emmanuel Darlet en décembre 2006

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