Le Roi Lear s’achève sur cette réplique très connue : "Never, never, never, never, never". « Jamais, jamais, etc. » C’est intéressant car, en japonais, ça n’existe pas jamais ! On peut expliquer la conception du jamais, mais il n’existe aucun mot correspondant ! De la même manière qu’il n’y a pas, en japonais, de verbe « être ». Ce qui rend une phrase comme « to be or not to be » impossible ! Pourtant, même au Japon, tout le monde connaît cette phrase. C’est grâce à l’énergie des mots de Shakespeare. En français par exemple, on s’exclame souvent « Merde ! » Mais on ne pense pas à chaque fois au sens de ce mot… C’est juste très agréable à dire, ça dégage beaucoup d’énergie. Ainsi les sons ont une énergie derrière le sens. C’est dire comme Shakespeare est formidable ! Car même en perdant cette énergie quand on traduit ses pièces, ça marche ! Shakespeare était complet au niveau de l’énergie, du sens et de l’histoire.

septembre 2008

Yoshi Oida

japonais

(1934 -

Dans L'Acteur flottant, il racontait ses premières années de travail avec Peter Brook et comment se former aux techniques du , une forme traditionnelle de théâtre au Japon. Il en était venu à tout remettre en question et à être lui-même un pont entre les deux cultures, à l'incarner, imprégné à sa façon de chacune d'elles. L'Acteur invisible était dédié à la préparation corporelle et mentale, à la concentration et à l'exercice physique, aux points du corps. Ici, Yoshi Oida s'interroge sur les transpirations de la scène à la vie, et vice versa. Comment faire naître la vie sur scène ? Et que rapporter de cette technique exigeante de comédien pour le commerce quotidien ; qu'apprend-on sur soi ? En se mettant en scène dans cette vie de tous les jours, sans pourtant perdre de vue le travail de scène, il digresse, passe d'anecdotes en souvenirs, va de la scène à la vie et revient, en faisant parfois passer un peu de ces grands principes qui l'ont guidé.

Même si Peter Brook, au bout d'un mois de travail à ses côtés au CIRT, lui a demandé de ne plus rien utiliser de sa formation japonaise, on voit que c'est elle qui lui a fourni les plus grandes énigmes, qu'il interroge toujours au fil de ses recherches et découvertes. Ainsi en est-il du ki, cette énergie fondamentale, subtile, qui "dépasse les cinq sens", une "puissance qui se situe au-delà de l'état normal de l'existence quotidienne". Il l'introduit ici en racontant comment la panique, lors d'une improvisation, avait fait surgir de lui quelque chose dont il se sentait incapable, un saut périlleux. "Le ki, dit-il en se fiant à son observation, est lié à trois éléments : la respiration, la colonne vertébrale et l'imagination". Et de développer longuement sur le pouvoir de l'imagination, exemples à la clé. Ainsi en est-il également du ri-ken-no-ken, littéralement "vision extérieure", un concept inventé par Motokiyo Zeami, grand maître du de la fin du quatorzième siècle, c'est-à-dire au moment où celui-ci apparaît. Yoshi Oida ne dit pas comment le trouver, mais comment lui l'a découvert : par hasard. Il développe également quelques points essentiels de sa propre pratique : le timing, un concept bien plus complexe qu'il n'y paraît, et le goûter, qui est une qualité de mouvement.

Yoshi Oïda : Dans mon cas, jouer, c’est d’abord être un corps. En Angleterre on parle de Movement theatre et en France de « théâtre en mouvement » mais, au Japon, ce genre de concept n’existe pas. L’acteur danse, bouge, parle, chante. Le théâtre y est d’abord un texte - parlé ou chanté - mais toujours avec son corps. Cette distinction entre théâtre et théâtre en mouvement n’existe pas. Acteur, j’utilise autant mon émotion, ma voix et mon mental. Tout cela doit être harmonisé.
La gymnastique par exemple, est une conception qui sépare le mental et le corps. Le corps y est indépendant. Je crois qu’il faut toujours chercher à lier corps et pensée, qu’ils soient ensemble. Par exemple, quand vous êtes content, vous avez la poitrine qui sort, le torse bombé, cela vous rend optimiste. Si vous êtes pessimiste, votre poitrine rentre dans vos épaules, vos pensées deviennent de plus en plus pessimistes. Les pensées, les émotions et les postures du corps sont liées. Dans le sport, si vous courrez 100 mètres en moins de 10 secondes, vous obtenez une mesure du corps, comme pour un cheval. Mais ce n’est pas un jugement intéressant pour un comédien. La relation entre le corps et le monde intérieur - et ce qui ressort de cette activité - c’est ça l’important. Tous les exercices doivent servir à harmoniser émotions, pensée et corps.

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