Effets de cadre et de cadrage : comment l’écriture des Salons rend-elle compte des conditions matérielles de la peinture et du regard aux Salons ? / Bruno Nassim ABOUDRAR, université de Paris III-Sorbonne nouvelle
    Les livrets qui accompagnent le visiteur des Salons ne sont pas illustrés :
Diderot écrit de mémoire, à partir de notes prises lors de ses visites. Obéissant à des règles assez précises, mais générales, l’accrochage est l’enjeu de luttes entre les artistes pour la mise en visibilité de leur œuvre ; il confère à celui qui en a la charge, le « tapissier » nommé par l’académie parmi ses membres, pouvoir et responsabilité. Les rares documents qui en témoignent aujourd’hui - les dessins de Gabriel de Saint-Aubin, essentiellement - volontairement flous, esquissés, non finis, insistent à leur façon sur les difficultés à discerner les œuvres dans la masse des peintures fraîchement vernies, brillantes, mal éclairées qui s’étage des plinthes à la moulure du plafond. Les rares destinataire des Salons, savent, certes, souvent pour en posséder eux-mêmes une, les contraintes auxquelles le décorum d’une galerie soumet les tableaux. Mais, hommes et femmes de cours de l’est de l’Europe, ils n’ont pas vu le Salon parisien dont Diderot leur rend compte. L’esthétique de Diderot fait la part belle au « vrai » et au « vivant » (jusque dans les résonances que rencontre ce dernier terme dans la Physiologie) : comment son texte se conforme-t-il aux principes qu’il énonce ? Autrement dit, comment l’écriture des Salons prend elle en considération la condition matérielle du regard qui se trouve à son principe et celle de la peinture qu’elle prend pour objet ? Sans doute par des effets de hors champ, de cadre et, face à l’œuvre (encore que « face à » soit ici une expression précisément problématique), de cadrage. Mais ceux-ci, alors, au risque de contredire (et d’abîmer) la fiction picturale ou de la peinture fictionnelle que sont avant tout les Salons.

Le paradoxe de la perception. Au Salon avec des lunettes / Peter BEXTE, Institut d’études en communication, FH de Potsdam
    Dès sa Lettre sur les aveugles, et jusqu’aux Éléments de la physiologie, Diderot s’est intéressé à la nature de la perception. Cette discussion a influencé ses réflexions sur la peinture. Pour être capable d’imiter la nature (platonique ? réaliste ?), il faut être capable de la percevoir. Et pour discuter la perception de la nature il faut discuter la nature de la perception. C’est pourquoi Diderot propose des expérimentations visuelles, « avec une lunette qui embrasse le champ du tableau, et qui exclut la bordure » (Salon de 1763). Embrasser et exclure : les deux mouvements constituent le paradoxe de la perception. Les Salons n’ont pas seulement une dimension esthétique, philosophique et rhétorique mais aussi physiologique.

Grimm une voix dissonante ? Les commentaires de Grimm aux Salons de 1761, 1763, 1765 / Geneviève CAMMAGRE, université de Toulouse-Le Mirail
 
   On se demandera ici sur quels éléments du discours de Diderot portent les objections de Grimm ? Sont-elles de façade, à destination des abonnés (effet de séduction, mise en scène d’un débat amical et parisien qui ferait entrer dans le jeu des lecteurs éloignés) ou portent-elles sur des questions plus essentielles (esthétiques, politiques...). Il s’agirait moins d’esquisser les points de rupture qui s’annoncent entre Grimm et Diderot, que de percevoir sur quel fond de débat se constitue la pensée critique de Diderot, ce qu’il intègre ou rejette. C’est dire qu’il conviendra de se demander finalement si cette bordure critique, d’un Salon sur l’autre, peut accéder au texte de Diderot lui-même.

Structure du modèle idéal : le préambule du Salon de 1767 / Pierre CHARTIER, université de Paris VII-Denis Diderot
    Le platonisme de Diderot en matière d’esthétique, tel par exemple que l’affirme ou l’affiche Grimm, est une proposition à la fois éminemment discutable, sinon intenable, et nullement aberrante : à discuter. Le meilleur exemple en est fourni par le « modèle idéal », notion qui s’affirme chez Diderot au cours des années et trouve sa formulation la plus aboutie dans le préambule du Salon de 1767. J’essaierai de lire de près les diverses métaphores par lesquelles Diderot rend compte de ce « modèle de modèle ». Sur un point en particulier, la structure du modèle idéal selon Diderot est incomparable avec le schéma platonicien auquel « frère Platon » se réfère. Cette différence n’est pas anodine, et elle en engage bien d’autres. Mais lesquelles ? et entraînant quelles conséquences ? Ce pourrait être l’objet d’un échange de vue avec les autres participants du colloque.

Retour page précédenteAller page suivante