Combien de sublimes dans les Salons ? / Jean-Pierre DUBOST, université de Clermont-Ferrand
Le sublime est omniprésent et joue un rôle central dans les Salons, qu’il soit évoqué comme catégorie, que le mot lui-même surgisse dans un cri d’admiration ou que le sujet du tableau renvoie au vocabulaire récurrent du sublime. Mais de quel sublime s’agit-il ? Ou plutôt : « combien de sublimes » s’y rencontrent et s’y superposent ? Sauf à se contenter d’une définition générale et en quelque sorte infra-analytique du Sublime, il n’est pas facile de démêler sa place dans le discours des Salons.
Il ne s’agira pas de projeter l’analytique kantienne sur le discours de Diderot pour en reconstruire une analytique systématique en amont, ni de dégager une fois de plus les liens profonds entre l’esthétique de Burke et l’esthétique critique de Diderot, mais de faire la part de ce qui, dans cette esthétique critique, relève de la poétique, de l’esthétique, de l’aisthésis et de l’éthique et d’observer leurs échanges internes dans le flux du discours. Des perspectives parfois incompatibles se croisent et se mêlent chez Diderot. Existe-t-il un point d’équilibre qui leur donnerait une cohérence globale ou doit-on conclure à une stratégie du décousu ? Ou faut-il concevoir que si ce discours est à plusieurs voix, c’est parce que ses instances se déplacent ? Comment se négocie alors le rapport entre corps phénoménologique et jugement esthétique dans ces déplacements ? Finalement, Diderot n’écrirait-il pas d’avance sur le revers à venir du discours kantien, en arbitrant sans le dire et peut-être sans le savoir entre les diverses perspectives ? C’est en sollicitant l’Anonyme, Burke, Kant et Schiller que cette communication tentera de répondre à ces questions.
Diderot et le portrait : une nouvelle mise en scène de la « ressemblance » / Roland GALLE, université d’Essen
La catégorie centrale pour la théorie du portrait aussi bien que pour la réflexion sur le portrait est celle de la « ressemblance ». C’est vrai déjà pour Platon qui en tire des conséquences négatives et pour Xénophon qui en fait la base pour une valorisation esthétique du portrait.
On s’intéressera ici à la signification que Diderot donne au terme « ressemblance » au gré de ses commentaires des portraits exposés aux Salons dont il rendit compte pour la Correspondance littéraire. Le portrait pourrait bien constituer une clef pour la théorie esthétique diderotienne, prise entre son attachement indéfectible au réel et sa recherche d’un « modèle idéal » libéré de la conception platonicienne.
Du hiéroglyphe au tableau : Diderot théoricien et critique d’art / Annette GRACZYK, Centre de recherche sur les Lumières en Europe, Halle
Ma contribution propose d’étudier la façon dont Diderot commence par ébaucher en 1751 sa théorie des arts en se servant d’abord du concept quelque peu énigmatique de hiéroglyphe. J’examinerai en outre comment cette première théorisation est renouvelée dans sa théorie du drame. Dans ma démonstration, je m’appuierai surtout sur la Lettre sur les sourds et muets et sur le Salon de 1767.
Dans la Lettre sur les sourds et muets, Diderot, grâce aux nouvelles théories sur l’origine des langues, place le hiéroglyphe au centre de sa critique d’une théorie purement rationaliste des arts.
Cependant, Diderot ne développe pas ses idées en partant de l’homme sauvage. Il choisit plutôt l’exemple du sourd et muet moderne parlant par gestes dans une société civilisée qui s’exprime dans une langue analytique et réfléchie depuis longtemps. Diderot passe ensuite au langage gestuel de l’art oratoire, du théâtre et de la peinture. Il parle alors de « jeu » plutôt que de hiéroglyphe, créant un moyen terme qui lie le jeu gestuel de l’orateur avec le jeu muet du théâtre et le jeu muet figé de la peinture. C’est là le point de départ qui amène à la future conception du tableau.
Dans les Salons, le caractère énigmatique fascinant du hiéroglyphe passe au second plan. C’est avant tout dans le vague, dans les atmosphères ainsi que dans les parties abstraites que le hiéroglyphe continue à persister dans les descriptions analytiques du critique d’art. Ce déplacement des intérêts de Diderot va de pair avec sa nouvelle conception du tableau qui s’oriente plutôt vers les développements contemporains des sciences d’alors et qui s’adapte désormais à la notion de vérité de la nature et au réalisme des conditions sociales de la bourgeoisie.
L’écriture des Salons - tensions entre journalisme et fiction littéraire / Jens HÄSELER, Centre européen des Lumières à Potsdam
L’encyclopédiste Diderot réagit sévèrement envers le journalisme traditionnel et contemporain tout en utilisant les mêmes procédés rhétoriques pour résumer, condenser, « représenter » les réalités par un dispositif ingénieux de textes (et images/planches). A la recherche de nouvelles formes de représentation des idées, il n’hésite pas à intégrer d’autres formes narratives dans une pratique d’écriture qui tend à dépasser le cadre traditionnel du journalisme savant. A la lumière de cette expérience encyclopédique, les Salons seront interprétés comme un champ d’expérimentation pour une écriture nouvelle de journaliste littéraire et artistique. La réflexion sur la pragmatique des genres textuels auxquels Diderot recourt dans les années 1760 permettra de replacer les Salons dans l’évolution du journalisme et de mesurer leur enjeu dans l’œuvre de Diderot. |