« Vous revoilà donc, grand magicien que vous êtes.... » Les pensées de Diderot sur l’art et la nature dans les tableaux de Jean Siméon Chardin / Guido REUTER, université Heinrich-Heine de Düsseldorf
    La magie et le charme sont des notions employées par Denis Diderot, lors des discussions des Salons des années 1761 à 1769, afin de qualifier la qualité spécifique des tableaux peints par Jean Siméon Chardin. Véritables tours d’adresse verbaux, elles occupent le vide installé entre la description de la technique artistique de Chardin et l’apparence naturelle des objets représentés dans les tableaux. Selon Diderot, Chardin est, dans ses tableaux, plus proche de la nature que les œuvres de tout autre artiste contemporain. Qui plus est, les peintures de Chardin adoptent, toujours suivant Diderot une position intermédiaire entre la nature et l’art. En même temps, l’écrivain souligne toujours à nouveau le caractère spécifique d’œuvre d’art exprimé par les tableaux. La manière de l’artiste entraîne la confusion des objets peints avec la nature même. Grâce à leur facture, c’est-à-dire par la « manière heurtée » dont la peinture est appliquée, les tableaux se présentent à leurs spectateurs en tant que des œuvres d’art -- des artéfacts. Le « tissu de mensonges » spécifique et harmonieux, créé par Chardin grâce à sa propre manière, développe cette magie qui fait qu’une accumulation de taches de peinture, regardée à partir de la bonne distance par rapport au tableau, se transforme soudainement dans des objets. La génie de Chardin tient dans cette capacité à traduire dans ses œuvres d’art l’harmonie naturelle générée par les « rapports », qui ne sont autre chose que les principes reliés mutuellement et déterminant toutes les apparences. Ainsi, à l’intérieur de l’œuvre d’art, un harmonieux « tissu de mensonges » cousu par des moyens artistiques débouche dans un résultat fidèle à la nature.

Nature et vérité dans les Salons de Diderot : La passion de la ressemblance / Odile RICHARD-PAUCHET, université Paul Sabatier - Toulouse 3
    Dès son premier Salon, en 1759, Diderot, philosophe et sectateur de la vérité, s’attaque à ce qui lui apparaît comme le péché mortel en peinture, à savoir le défaut de ressemblance. Certes, ce qui nous semble à nous le « B.A. ba » de la technique picturale, et l’est pour l’amateur éclairé mais aussi « l’âme simple » que constitue Diderot à cette époque, est loin d’avoir été complètement intégré par les peintres français contemporains, sollicités par l’Académie dans tant de domaines différents - notamment la composition - et souffrant visiblement d’un manque d’expérience dans ce en quoi les Hollandais sont passés maîtres : le trompe-l’œil, le travail des matières, l’anatomie, la figuration humaine.
    On étudiera les différents moyens critiques dont Diderot se sert pour mettre en évidence, dans les Salons, cette lacune de l’époque. Mais on explorera aussi, dans son œuvre épistolaire et romanesque, les techniques de l’auteur visant à résoudre ce point épineux. Esquisses, portraits zoomorphes, portraits en pied : quelles sont les ressources proprement littéraires de l’écrivain, en matière de représentation humaine, pour faire pièce aux peintres ?

Le mérite de ressembler est passager : Diderot et le Portrait / Martin SCHIEDER, Freie Universität de Berlin
    Les déclarations de Diderot sur le portrait que Louis-Michel Vanloo fit de lui et exposa au Salon de 1767, sont, au regard de la critique d’art du XVIIIème siècle, des plus amusantes. Le critique tourne en dérision le peintre et lui reproche d’avoir fait un portrait qui correspond davantage à celui d’un Secrétaire d’Etat qu’à celui d’un philosophe. En outre, il aurait en un seul jour « cent physionomies différentes ». De fait, on peut infléchir la critique incisive de Diderot vers une réflexion plus essentielle concernant le discours sur la forme et la fonction du portrait au Siècle des Lumières. Se démarquant de la doctrine académique, telle que Roger de Piles l’avait formulée dans son Cours de peinture par principes, Diderot refuse toute forme d’idéalisation du modèle et exècre les « attitudes apprêtées », qui devaient correspondre au rang et au statut social. Pour lui, « la vérité » constitue l’unique principe de représentation, la vérité non pas entendue au sens d’une stricte ressemblance mimétique, mais au sens d’une vérité qui révélerait la personnalité du modèle. Conjointement, Diderot attachait moins d’importance à la gloire du modèle qu’à la qualité artistique de l’œuvre d’art. Comme Diderot n’a pas été seulement portraituré par Vanloo, mais aussi par d’autres artistes éminents, entre autres par Greuze, Fragonard et Houdon, il s’agit de mettre ses réflexions esthétiques à l’épreuve de sa propre iconographie.

Un type de picturalité textuelle dans la fiction romanesque et les Salons de Diderot / Christof SCHÖCH, université de Kassel
    Au cours du XVIIIe siècle et sous l’influence décisive des Réflexions critiques sur la poésie et la peinture de Du Bos, une conception sensualiste de la représentation picturale se met progressivement en place, dans laquelle importe, autant que l’événement représenté, l’expérience du tableau.
    Cette conception sensualiste de la peinture a des répercussions aussi bien dans la fiction romanesque que dans la critique d’art, où elle donne lieu à un type de picturalité textuelle particulier, doublement éloigné de la peinture elle-même, par son régime sémiotique aussi bien qu’épistémologique : il se manifeste par ce que le cadre perceptif, l’effet émotionnel et la persistance mnémonique soient centraux dans le traitement d’un sujet pictural ou d’un épisode narratif. Dans la fiction romanesque, ce type de picturalité textuelle apparaît d’abord dans les tableaux littéraires et n’affecte que tardivement les descriptions de tableaux peints. Dans la critique d’art de Diderot, où les tableaux sont évidemment toujours le point de départ, on note l’apparition de cette conception de la peinture et de la picturalité textuelle correspondante, à partir du Salon de 1765, dans lequel Diderot commence à la défendre et à la réaliser lui-même, discursivement, dans son texte.
    Par un double mouvement vers ce type de picturalité textuelle, roman et critique d’art, narration et description, fiction et vision, se rapprochent et s’entremêlent. Dans ce contexte, la présente communication se propose de comparer quelques-uns des procédés que la fiction romanesque et les Salons diderotiens déploient pour mettre en scène la picturalité textuelle et d’étudier la manière dont ces procédés s’inscrivent dans leurs contextes génériques respectifs.

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