Julian Beck

(1925-1985)

 

Né le 31 mai 1925 à New York

Mort le 14 septembre 1985 à NewYork

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« Quand on parle aux gens comme s’ils étaient stupides, on tue des cellules dans leur cerveau. »
Chant de la révolution n°52

Il fonde avec sa femme, Judith Malina, le Living Theatre en 1951. À partir d'un répertoire éclectique et de conditions artisanales de production, leur dramaturgie, inspirée d'Artaud, se fonde sur un jeu aléatoire et démonstratif, alliant improvisation, participation du public et expression corporelle. Ils entendent retrouver la vie en faisant de l'acte théâtral une dépense, au sens où l'entendait Georges Bataille. Julian a publié Chants de la révolution (1965), la Vie du théâtre (1972), Sept Méditations sur le sadomasochisme (1977), et Judith, une autobiographie (Énorme Désespoir, 1972).


Paradise Now

Théâtre et anarchisme

« Je pense que la vie telle qu’elle est actuellement demande à être radicalement transformée. Il faut se débarrasser de l’argent. Au point où nous en sommes, une action extrême est devenue nécessaire. Aussi le rôle de l’artiste est-il de propager cette idée d’action extrême : il faut renverser la vapeur. L’homme a été endoctriné, limité, amoindri pendant des siècles ; il demande à être libéré de la pression constante qui l’écrase et dont seule une action extrême peut le libérer. Nous pouvons constamment affaiblir le système de domination et le saper de manière qu’il soit prêt à s’écrouler quand nous lancerons le grand assaut final. Toujours penser et agir comme si la révolution allait éclater dans l’immédiat ou dans un très proche avenir, j’en fais l’enjeu de ma vie. Le seul reproche que je m’adresse est de ne jamais en faire assez pour que cet objectif soit atteint, de ne jamais aller assez loin dans l’action la plus directe possible. Aujourd’hui, d’après ce que je vois, ce que j’entends et ce que je lis, il y a un puissant mouvement de libertaires qui se développe à travers le monde : ils ne se contentent pas de se retirer de la société, ils ont passé à l’attaque contre elle. Le moment de l’action directe est arrivé. Il ne s’agit plus de se contenter de scier les pieds de cette structure qui nous domine, mais de foncer dedans carrément. L’idée qui semble faire son chemin est qu’une guerre de guérilla doit commencer (en certains endroits elle a déjà commencé), et elle nécessite la création de cellules en contact les unes avec les autres à travers le monde, selon la notion de Bakounine, de manière à constituer un réseau de coopération, d’information, de production, et de distribution d’énergie. Ainsi, une fois les forces unifiées, ces cellules pourront fonctionner totalement à l’extérieur de la société d’exploitation. Si une masse énorme et puissante de plusieurs millions (ou dizaines de millions) de personnes s’étant organisées ainsi dans un réseau de coopération, étant devenues capables de subvenir à leurs propres besoins, décidaient au moment voulu de rompre avec le système d’exploitation et de cesser d’utiliser l’argent, rien ne pourrait les arrêter. Le système s’écroulerait et les moyens de production tomberaient entre les mains de ceux qui étaient auparavant dirigés et exploités. Les cellules devront être prêtes à assumer la coordination des changements économiques, sociaux, politiques, culturels, psychologiques. (Attention : il s’agit de coordonner, pas de diriger.) Ce sera le grand affrontement. Ce sera une période de grandes difficultés, mais aussi de grande créativité et de grande illumination pour les individus comme pour les collectivités dont les aptitudes latentes pourront enfin se manifester concrètement. « L’anarchiste a un côté apocalyptique. Il est conscient du fait que, si l’action révolutionnaire n’est pas immédiatement entreprise sur une grande échelle, la puissance de domination, d’exploitation et de destruction du capitalisme aura raison de nous. Nous ne pouvons pas compter sur une évolution “dans le bon sens” de la société : la bourgeoisie ne permettra aucune évolution effective autre que celle qui augmentera et améliorera sa domination. L’évolution “naturelle” des sociétés vers la liberté n’existe pas, ou si elle existe elle est neutralisée par les dirigeants qui en ont peur. « Donc, l’action indirecte (ou différée) est désormais insuffisante. Ceux qui sont exploités, ceux qui meurent dans les guerres, ceux qui sont les victimes permanentes du système dans l’un ou l’autre de ses aspects, le racisme par exemple, ne peuvent plus attendre. Freedom now, pas dans dix ans. Seule l’action directe est maintenant efficace, seule l’unification des forces est utile. Il est donc important de commettre des actes comme de protester directement contre les sous-marins atomiques, […] comme de refuser de servir dans l’armée (ainsi que le font des milliers de déserteurs en ce moment par opposition au gouvernement américain et à la guerre du Vietnam) — quoi qu’en disent les défenseurs de l’ordre bourgeois, ce sont des actions exemplaires. Il faut agir maintenant, car nous vivons maintenant. « Je suis anarchiste. Je veux détruire l’armée. Je veux détruire le gouvernement. J’estime nécessaire de m’opposer à eux et de le leur dire. Je ne veux pas d’une liberté limitée. » L’anarchisme ne reconnaît pas comme sacré le droit à la propriété, il le reconnaît comme un produit de l’exploitation de l’homme par l’homme et, au contraire, il prône la légitimité de l’expropriation. Si des travailleurs occupent les usines, les centres de production et de distribution, et qu’ils les font fonctionner à leur propre profit et à celui des autres, ils arracheront l’économie des mains des patrons (lesquels appelleront au secours leurs assistants : la police et l’armée). N’empêche que le problème est là et qu’il va falloir le résoudre. La solution anarchiste : l’autogestion. « Comment restructurer l’économie ? Comment apporter les pommes à la ville ? Qui fera quoi ? Qui s’occupera de l’électricité ? Qui s’occupera des transports ? Qui s’occupera des enfants ? Les cellules devront prévoir cela. Même les anarchistes religieux comme Gandhi ou Martin Buber pensent qu’il faut restructurer la société de fond en comble pour permettre un maximum de liberté (alors qu’aujourd’hui on nous en accorde un minimum). La pensée anarchiste a beaucoup influencé Marx, qui s’est inspiré de Saint-Simon, Owen, Fourier et surtout Proudhon, bien qu’un terrible conflit l’ait opposé à Bakounine par la suite. Il y a même des “anarchistes catholiques” en Amérique (leur journal est The Catholic Worker), ils sont très actifs et très critiques envers les aspects économiques et autoritaires de l’Eglise. Depuis les Diggers en Angleterre, à l’époque de Cromwell, jusqu’en 1936, en Catalogne, il y a eu des anarchistes qui ont réussi à éliminer l’exploitation et l’argent. La société anarchiste remplacera la “loi du plus fort” par la solidarité et l’entraide (mais une entraide réelle, pas une aumône symbolique comme celle que l’Etat fait aux pauvres). La société anarchiste remplacera la répression et la dictature par l’exercice de la liberté à tous les niveaux, depuis la manière non punitive d’élever les enfants jusqu’à la manière non policière de résoudre les problèmes sociaux. Notre travail actuellement est donc un travail de propagande et de préparation révolutionnaire : propager l’idée et unir les forces. » (Entretiens…, pp. 264 à 266.) « Les gens disent que les anarchistes ne peuvent rien accomplir parce que jamais trois anarchistes ne se sont mis d’accord sur quoi que ce soit. Ce que nous recherchons (et quand je dis “nous” cela englobe tous les jeunes qui travaillent dans cette direction, que ce soit des ouvriers ou bien les étudiants révolutionnaires à travers le monde), ce vers quoi nous tendons, c’est plutôt une situation sociale. Pas une structure, mais une situation à l’intérieur de laquelle les groupes ou les individus, y compris les plus extrêmes solistes, pourraient travailler ensemble. Une situation qui permettrait tous les types d’activité. Cela n’exclurait pas la planification économique ni, dans une certaine mesure, le leadership. Il faut que nous apprenions à nous organiser socialement sans commettre d’ingérence dans la liberté de chacun, sans obliger qui que ce soit à fournir un travail qu’il ne veut pas fournir. Il y a un certain nombre de problèmes pratiques — la division du travail, la distribution des biens et profits, etc. — pour lesquels il va falloir trouver des solutions nouvelles. Ceux qui travaillent maintenant pour le Pentagone et pour le système de distribution capitaliste, qui décident combien de nourriture va être détruite alors que la population de l’Inde crève de faim (il ne faut pas que les prix baissent !), tous ces administrateurs de merde pourraient très bien trouver une solution adéquate si le système qui les enferme était abandonné. Le principe de base de l’anarchie n’est pas anti-organisationnel, il est anti-autoritaire, ce qui n’est pas pareil. Pour l’instant, toute l’organisation sociale est fondée sur un système autoritaire violent, mais c’est une erreur de croire qu’il devra toujours en être ainsi. Non seulement cela peut changer, mais cela doit changer. Il va falloir trouver individuellement et collectivement, en groupes ou en communes, la solution de ces problèmes économiques et sociaux, à l’exclusion de toute solution autoritaire et violente. Certains jeunes aujourd’hui s’orientent dans la bonne direction en se livrant à des expériences, certes limitées et maladroites, mais grâce auxquelles de nouvelles solutions sont explorées. C’est ce que fait le Living Theatre. » (J. M., Entretiens…, pp.15-16.)

Julian Beck, mars 1968.


17 mai 1975

Short biography

Fiche en anglais

Living theatre et liberté

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