A la mémoire d’Anna Politkovskaïa

(2007)

L'Arche Editeur

de Lars Norèn (1944-

Lettre à Anna

Femme non-rééducable
de Stefano Massini
(L'Arche Editeur, décembre 2010)

Trop lointaine ou trop longues, il est des guerres qui n'intéressent personne. A Grozny, la guerre est finie, officiellement, mais derrière les mitraillettes et les chars, la Russie est toujours là. Unique journaliste russe à avoir couvert la guerre en Tchétchénie, Anna Politkovskaïa, non-rééducable, du titre que lui donne l'Etat major russe, n'est pas là pour juger. Les faits parlent d'eux-mêmes. Régulièrement menacée, elle revient sans cesse sur le terrain, rapporte les propos de ceux qui témoignent au péril de leur vie. En octobre 2006, Anna Politkovskaïa est retrouvée assassinée dans la cage d'escalier de son immeuble moscovite.
La pièce est un montage de six années de notes, d'articles, d'interviews, de correspondances, écrits avec respect, effroi et lucidité sur deux camps qui se déchirent. Grozny dévastée, le bonheur insensé d'avoir de l'eau courante, le réveil dans un lit d'hôpital après une tentative d'empoisonnement... les lettres disent l'indicible, la violence d'un monde trop dur pour y survivre : Stefano Massini impose une langue radicale et glaciale. Il y est aussi question de théâtre : quand la parole est muselée, quelle échappatoire reste-t-il face au silence ? Quel rôle le théâtre peut-il encore jouer quand on sait que, dans le temps de la représentation, en Tchétchénie l'enfer continue ?
Stefano Massini a reçu, en 2005, le Premio Pier Vittorio Tondelli, le plus important prix de dramaturgie contemporaine en Italie.

extrait

12 septembre 2007 : « C’est une pièce courte et terrible, la pire que j’ai écrite. Totalement noire et drôle. Dans un pays après guerre, hommes, femmes et enfants se battent pour survivre.
J’ai écrit cette pièce avant le meurtre d’Anna Politkovskaïa. Je n’ai pas pensé à elle ni à ses livres en l’écrivant. Mais quand elle a été assassinée, j’ai voulu donner ce titre-là à ma pièce. Parce que je veux que le public se souvienne de sa force, de son courage et de sa façon d’évoquer les effets et les ravages de la guerre sur les êtres humains.
Comme souvent dans mon travail d’écriture et de mise en scène, je m’intéresse à ce qui fait que les hommes survivent ou cessent de se battre. Qu’est-ce qui leur donne le pouvoir d’exister dans des conditions terribles ? Année après année, j’essaie de poursuivre ma recherche, j’approfondis mon travail sur la flamme de l’espoir à l’intérieur de l’être humain. Qui continue de vivre même si tout semble impossible. Même si tout semble n’avoir aucun sens. »

 

Lars Norèn, septembre 2008 : « La pièce ne parle pas de cette célèbre journaliste. Je venais juste de terminer de l’écrire lorsqu’elle fut assassinée. J’ai donc donné son nom à la pièce en souvenir de son travail en Tchétchénie mais cela ne parle pas d’elle en tant que personne. Et le territoire de la pièce n’est pas la Tchétchénie, c’est nulle part et partout en Afrique, en Roumanie…
Le spectacle traite des abus que subissent les enfants pauvres du monde. C’est une pièce très sombre, sans espoir. Je pense que c’est peut-être ma pièce la plus sombre, sans lumière.
Le seul espoir réside dans la réaction du public, s’ils sont touchés par la pièce peut-être diront-ils « Nous ne pouvons pas continuer comme ça ».
Je veux amener le langage de la rue au théâtre, et le langage du théâtre vers les gens de la rue - j ’ai beaucoup travaillé avec des amateurs et des prisonniers - et je pense que le théâtre a besoin de la réalité, il a besoin des problèmes que rencontrent les gens chaque jour, et aussi de leur façon de penser et de parler. »

Danser sur les ruines de Milena Teorleva

Une tragédie continue de se dérouler dans le plus grand silence en Tchétchénie. Viols, enlèvements, tortures, exécutions sommaires, attentats meurtrier, « l’opération anti-terroriste » menée par Moscou depuis 1999 a provoqué des dizaines de milliers de morts et 250 000 réfugiés. Cela se passe en Europe, à moins de 4 heures d’avion de Paris et personne n’en parle car la zone est interdite aux témoins gênants. Black-out. Pour les journalistes et les ONG, « couvrir la Tchétchénie » est impossible ou fortement déconseillé…à moins de faire le voyage en compagnie de l’armée russe.
Depuis les attentats du 11 septembre, Moscou a rebaptisé« terroristes internationaux » les indépendantistes musulmans tchétchènes et l’Occident fait semblant d’y croire. Pourquoi ferme-t-on les yeux sur la Tchétchénie ? Quels sont les véritables enjeux de ce conflit ? Quelles peuvent être les conséquences du silence de l’Europe ?








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