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Isabelle Sorente(1970- septembre 1972 à Marseille |
Hard Copy, théâtre
La Prière de septembre
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Elle suit des études scientifiques (École Poytechnique ; Corps de l'Aviation civile) et artistique (cours Florent). Ancienne polytechnicienne passée à l’écriture, à l’écart de l’autofiction, elle écrit dans un style précis et poétique des livres traitant de phénomènes contemporains (la « girl culture » dans L, le racisme dans La Prière de septembre, le harcèlement moral dans sa pièce (Hard Copy), ou des thèmes philosophiques d’époque (le désir sans fin dans Le Coeur de l'ogre, les limites de la raison dans Panique, la philosophie du « genre » (gender studies) dans La Femme qui rit. Elle est une des personnes à l’origine de la création du magazine Blast. Isabelle Sorente, crie sa colère face aux diktats du monde moderne. Cette jeune femme brillante écrit par nécessité vitale, par nausée, pour ne plus subir L, la société boulimique qui fait de nous des drogués anesthésiés. A la suite de Frédéric Beigbeder, elle dénonce un monde où tout, de manière perverse, nous abêtit, tue notre sensibilité et notre liberté pour nous inciter à consommer, à devenir accros d’images, slogans, psycho digests. Il nous faut tout, tout de suite et en accéléré : rencontres et jouissances express, quitte à ne plus rien ressentir, ne plus rien désirer. " Plutôt mourir que dire oui " ! TEXTE : Je suis une créature par Isabelle Sorente / 15 juin 2004 Je ne suis ni homosexuelle ni bisexuelle ni hétérosexuelle, je suis un humain sexué en inter-danse avec d’autres humains, sexués. Je suis un humain sexué aimant d’autres humains sexués, et leurs façons singulières de jouir et de faire jouir. Je rends grâce aux différences physique, comme à autant de témoignages amoraux de la diversité humaine. Il n’est pas question de nier la singularité ; il est impossible de la réduire au genre. Le genre n’est qu’un travestissement qu’on prend et puis qu’on abandonne, un archétype surgi au cœur de la jouissance, qui nous traverse, nous fait jouir et nous quitte. Avant d’être remplacé par un autre. Le genre, comme les émotions, n’est qu’un élément météorologique de mon climat humain. Pour les maîtres zen, jouir de son humanité signifie ne pas se confondre avec la tristesse quand on est triste, ne pas se prendre pour la joie quand on est enthousiaste, ne pas se prendre pour Dionysos quand on est ivre. Que la femme me traverse, l’homme ou le léopard, je demeure travesti, ciel changeant. Femme est un nom de jouissance, demain il sera homme, océan ou montagne. Une main s’ouvre, l’autre griffe. Tout se déplace vite, à grandes enjambées le genre change, j’ai des chevilles de proie et des nerfs de chasseur. Je ne suis pas femme, je ne deviendrai pas homme. Je suis une créature. La créature parfois se travestit en femme. Oui j’aime les talons aiguilles et toutes ces chaussures qu’on ne met pas pour marcher, oui je peux glousser aux bonnes blagues d’un homme, et croire que je glousse et qu’il est un garçon. Oui je sais me perdre pour demander ma route à l’inconnu qui passe, et croire que je bande pour son sens de l’orientation. Oui je veux qu’il soit macho, qu’il me frappe s’il veut quand viendra le moment. Bien sûr je peux suivre les fesses dures d’un garçon, si la journée est chaude et le jean serré, et me promettre que lui, je vais le faire gueuler et qu’il serra ma femme. Bien sûr une fille peut me tordre. Surtout si elle est maquillée. Toutes les créatures le savent, le genre est fait pour jouir et jouer. LE genre est fait pour jouir et jouer, toutes les créatures le savent depuis la cour d’école, quand nous glissions de chat aux pirates aux billes au hamster à l’instituteur, quand nous glissions de jeu en jeu de l’un à l’autre. Fille salope, fleur bleue, gourde, gamine, garçon, tordu, vicieux, macho, chat, baudet, loup prisonnier, indien, victime, et chef de bande sont quelques-uns des noms de nos travestissements. La femme n’existe pas. Le genre n’existe pas. L’humain est au delà des genres, au delà des sexes, des races, au delà de l’ego, vivant en métamorphose. C’est dans cette fluidité, dans cette faculté de métamorphose qu’est, ou plutôt que marche, que glisse, que court, que se meut, se transforme l’humanité. Nous naissons mouvants, ne nous fixons à aucune illusion égotique, à aucun "je" économique. À aucun sexe. A aucun genre. Tant que les femmes s’efforceront de libérer les femmes, elles demeureront esclaves tant qu’elles s’efforceront de réhabiliter une soi-disant égalité dans la différence et des soi-disant qualités féminines, elles demeureront une humanité marquée par le genre, c’est à dire une humanité de second rang, reniant ses capacités de métamorphose. Tant que les hommes et les femmes ne poseront pas les uns sur les autres un regard recréaturant, ils ne déploieront rien de leur humanité. Le regard recréaturant voit au-delà du genre, il ne s’arrête pas aux critères sociaux, psychologiques, physique, économiques. Il se moque du poids, de la taille, de la couleur de la peau, il se moque des préférences sexuelles. Aucun de ces critères n’est pertinent, aucun ne signe l’homme oui la femme. Vous croyez voir une femme, mais qui est derrière la femme ? Qui est derrière les yeux d’un homme ? Regardez bien, posez-vous les questions. Commencez des demains avec votre voisine, avec l’inconnu qui s’assiera en face de vous dans le métro. Avec vous-même. Commencez à regardez les créatures avec vos yeux de créatures. La femme n’existe pas, le genre est une arme. Une arme économique à très gros calibre. De la femme à l’homme féminisé si cher à nos observateurs de tendances, le féminin est industrie. La femme est une industrie qui va de l’Oréal à la branche diététique de Danone, traverse toute la mode... Le journal féminin pour femmes, pour homme, constitue le mode d’emploi du genre, son guide de savoir vivre c’est à dire de shopping, adapté à chaque panoplie. Le journal féminin nous parle petit nègre (fabuleux je vois la vie en rose ! vite un antiride !), mais comme c’est justement un journal pour nègres, personne n’y trouve de racisme ; belle logique, belle opération. En tant que créature, je ne me sens pas concernée. Si je l’étais, que l’on s’adresse à moi comme à une gourde, qu’on réduise mon humanité à un poids et un horoscope me réduirait au désespoir ou au fou rire. À dire vrai, j’alterne l’un et l’autre les mois pairs et impairs. Mais enfin, je penche pour le rire, j’espère qu’un jour nos enfants riront de notre obscurantisme. Alors oui, gardez vos articles beauté, gardez les comme des textes collectors qui feront rire les jeunes générations comme les dictionnaires de 1870, quand on regarde nègre, à juif ou à allemand, gardez les rubrique forme comme autant d’autant d’authentiques "ya bon banania !" que les adolescents colleront dans leur exposés sur le ridicule des vieilles superstitions. Ce ridicule hélas à tué plus d’une fois. Alors pitié, un peu moins de femme, un peu plus de métamorphose ! Dès à présent, devenons créatures. |
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