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Livre

Michaël Fœssel, La privation de l’intime, mises en scène politique des sentiments, Paris, Éditions du Seuil, 2008, 157 p.

Depuis quelques années, les politiques nous entretiennent d'eux-mêmes, en partie pour ne plus avoir à parler de nous. De quoi ces mises en scène de l'intime, sont-elles le symptôme ? La "pipolition" n'affecte pas seulement la politique, mais l'intime lui-même qui se trouve dévalué d'être ainsi donnée à voir. L'intime désigne l'ensemble des liens qui n'existent que pour autant qu'ils sont soustraits au regard social et à son jugement. Ces liens sont le support d'expériences qui, contrairement à ce que l'on dit le plus souvent, ne sont pas sans rapport avec la démocratie. La privation de l'intime est d'abord sa "privatisation", c'est à dire sa confusion avec les propriétés du Moi. L'intime n'est pas le privé parce qu'il renvoie à des liens affectifs, amoureux, désirants où le sujet prend le risque de se perdre. On découvrira que la préservation de l'intime est aussi une manière de ne pas rabattre la démocratie sur un société de propriétaires. Michaël Fœssel interroge les ambivalences de la modernité libérale qui invente l'intime et l'identifie presque aussitôt avec le privé. De là des questions inattendues : la démocratie doit-elle être sensible pour demeurer démocratique ? L'intime peut-il figurer au rang d'idéal commun ? Dans quelle mesure l'amour est-il un sentiment politique ?
Présentation de l'éditeur

Le but de Michaël Fœssel dans ce petit essai incisif et solidement étayé est de montrer que « l’existence de liens intimes est politiquement signifiante ». L’intime, défini comme cette "arrière-boutique" dont parle Montaigne, ce lieu de retrait et de réflexion au plus intérieur de soi, est au fondement du rapport à autrui et notamment de l’amour. Or cet espace est menacé. La "pipolisation" du monde politique qui s’installe depuis quelque temps mène à un mélange des genres instable. Non seulement les hommes/femmes politiques finissent par nous parler davantage d’eux-mêmes que des problèmes en cours mais leur instrumentalisation du sentiment conduit à promouvoir un rapport marchand permanent à soi-même : il faut savoir se vendre. Et la modernité, en identifiant l’intime au privé, favorise cette confusion, le privé étant une propriété, ce qui peut faire l’objet d’un contrat, s’échanger, s’aliéner. Comme le rappelle l’auteur : « Le privé nous appartient, l’intime nous concerne. » Si l’on ajoute à cela une tendance psychologisante assez répandue qui fait de chacun son propre manager, notre moi devient un objet que l’on peut gérer selon le schéma de rationalité propre à l’Homo œconomicus. C’est ainsi que nous galvaudons notre intimité, premier lieu de notre liberté.
Thierry Jobard

A l’heure où la vie privée de personnes publiques est étalée et instrumentalisée, le philosophe Michaël Fœssel, maître de conférences à l’Université de Bourgogne, distingue le privé de « l’intime », dernier refuge de l’individualité.

Nous autres modernes, avons un rapport angoissé et angoissant à notre époque. Perte des repères, marchandisation, sentiment de vacuité… La liste est longue et ne semble pas vouloir prendre fin. Mais alors que nous reste t-il ?
« L’intime » nous répond le philosophe M. Fœssel dans son ouvrage, La Privation de l’intime. Dernier îlot de fragilité et d’authenticité dans ce monde rongé par le soupçon de facticité et d’obscénité. L’intime dès lors, doit être préservé des assauts dont notre actualité regorge : apologie du "people" , "pipolisation" du politique… Lorsque Sarkozy est au bras de sa princesse dans le monde enchanté de Marne-la-Vallée, il tente de jouer de ce pouvoir, de cette fragilité de l’intime. Pour autant, si les électeurs que nous sommes ne sont pas dupes, il y a pourtant là un certain danger. Nos démocraties néo-libérales se heurtent en effet à ce point de résistance : l’intime ne peut être réduit à cette tentative de marchandisation et d’instrumentalisation. Apologie du "Moi privé" et préservation de l’intime sont deux choses distinctes.
L’auteur nous rappelle que l’intime se donne avant tout comme "lien" entre des subjectivités, mais aussi comme force contestataire. Il se déploie dans un rapport à l’autre et instaure une distance offrant « un point de vue inédit sur le réel ». Au regard désabusé, sur l’amour par exemple, se substitue alors un regard curieux et interrogateur devant ce qui ne se laisse pas réduire à la propriété et à la maîtrise. En cela, l’intime est en effet foncièrement distinct du "privé" : il ouvre un espace où contrôle et échange se voient neutralisés. Mon intimité est ce qui me singularise. Et en ce sens, elle constitue une contestation et une résistance dans une société où l’exigence d’un contrôle de soi et de son image prend le dessus. Cet ouvrage nous prouve que la philosophie a plus que jamais son mot à dire. Par une démarche généalogique de la notion d’intime au travers de l’histoire de la pensée, Fœssel nous emmène là où quelque chose comme l’authenticité devient possible. Démarche éclairante et salvatrice.
L’auteur tout en  accomplissant ce geste, évite l’écueil réactionnaire face à une situation où déploration et aigreur trouvent un terrain fertile. Contre l’impasse moderne de la mélancolie, quoi de plus efficace que la voie ouverte par une réflexion critique ?
Nicolas Léger

Michaël Fœssel nous invite à retrouver, au delà des sphères du privé et du public, la dimension de l’intime. L’intime est irréductible à la mise en scène de soi et du privé dont les démocraties modernes sont friandes, sous la forme de la "pipolisation". Sauvegarder l’intime et son opacité, c’est aussi préserver la démocratie et sa transparence.

L’enjeu du livre de Michaël Fœssel est de dégager, délimiter et promouvoir, aux côtés des sphères publique et privée auxquelles se limitent les théories politiques modernes et contemporaines, la sphère de "l’intime". S’il importe de prendre la mesure de cette sphère, c’est qu’elle met en jeu des expériences spécifiques quant au mode de relation, de visibilité et de responsabilité entre les individus. Dans le schéma dichotomique classique, ces expériences sont trop souvent confondues avec celles qui ont cours dans le champ du privé, alors que ce dernier relève exclusivement du domaine économique et rend compte des relations individuelles sur le modèle de transactions entre des propriétaires (de soi, de son corps), y compris au sein du couple et de la famille. Au contraire, pris dans sa spécificité, l’intime nous permet de penser une autre approche du politique — selon une double dimension.
Dimension normative d’abord : l’intime et le public partagent des structures et des normes communes qui les distinguent, ensemble, du privé : c’est notamment le cas, dans la « démocratisation de l’intime » (selon l’expression de Giddens), de la progressive imposition de l’idée selon laquelle la vie personnelle est un « projet ouvert » et non pas caché ou silencieux. Dans le couple pris comme « lieu d’élaboration éthique » (p. 39), les partenaires ne sont pas pensés comme des co-contractants aux liens d’abord sociaux et juridiques, mais comme les tenants de discours de soi qui ne font sens que dans la relation, en prenant le risque de la désappropriation de soi. De ce point de vue, s’attacher à penser la spécificité de l’intime permet de se délivrer de l’erreur qui consiste à replier le politique sur l’économique. Ainsi peut se dégager une autre manière de penser le politique et ses acteurs, les individus affectifs et non pas seulement les individus performants, pris dans un « vivre ensemble » dont les modalités, sentimentales et morales, sont elles aussi renouvelées.
De là découle la seconde dimension, pratique et positive : l’intime nous donne accès à un pan trop ignoré de la démocratie, la démocratie « sensible » (p. 138) — au double sens d’une démocratie des sentiments et d’une démocratie vulnérable, qu’il s’agit précisément de protéger contre l’intrusion du privé ou contre l’interprétation exclusivement sociale des identités et des interactions. Le lien politique relève de l’institutionnalisation des passions humaines et, pour maintenir l’équilibre délicat entre normes et affects, il importe que la démocratie admette sa sensibilité aux « relations pures » (p. 140). M. Fœssel retrouve alors les analyses des théories de la reconnaissance, notamment celle d’Axel Honneth, lorsqu’il souligne à quel point ce qui se joue dans la première sphère de la reconnaissance, celle de l’amour (trop souvent négligé comme sentiment politique), est fondateur non seulement des relations personnelles mais aussi des liens politiques (p. 125 et sq.).
Le livre poursuit ainsi un double objectif : celui d’abord, épistémique, mené dans la première et la deuxième parties, d’un diagnostic puis d’une généalogie de l’intime. Cette démarche permet à la fois de saisir le sens de l’intime et l’effet des confusions qui accompagnent sa « privation », son oubli ou son ignorance en philosophie politique. Être privés d’intime, pour nous, individus-acteurs politiques, nous engage à compenser ce manque par un investissement toujours déjà faussé dans la sphère du privé. Ainsi, dans la troisième partie, s’engage le second objectif, pratique : nous sommes invités à nous méfier de la mise en scène des sentiments par les acteurs politiques professionnels, qui jouent des confusions conceptuelles et des dénis de reconnaissance qui affectent les individus dans leur vie quotidienne pour promouvoir leur propre carrière publique, pensée comme celle d’entrepreneurs d’eux-mêmes. Ils font étalage d’un amour « réussi », performant, légitimés dans cette pratique par la dissolution générale de l’intime dans la rationalité stratégique. C’est au nom d’une recherche de l’authentique que l’attitude politique de la méfiance, à la fois philosophique et engagée, doit être adoptée.

Les trois parties de l’ouvrage, « L’intime aux frontières de l’espace public », « L’invention de l’intime » et « L’intime et la démocratie », sont séparées par deux « intermèdes » qui ne constituent pas tant une pause, une reprise du souffle avant l’attaque d’un nouveau thème, qu’un approfondissement de deux concepts essentiels à l’argumentation de M. Fœssel, permettant, selon l’injonction de Beaumarchais à propos des jeux d’entracte, de « soutenir, sans la fatiguer, l’attention des spectateurs », en leur donnant à voir les rouages de l’action — ce qui se passe derrière le rideau. C’est l’occasion, pour M. Fœssel, de préciser l’intention philosophique qu’il poursuit au-delà de la « pipolisation de la politique » (p. 8). Si le livre est d’un accès clair, d’une langue limpide et d’une grande vivacité de propos, il entend néanmoins dévoiler, derrière un effet de société, un détournement théorique profond qui grève les pratiques politiques libérales contemporaines. En effet, la "pipolisation" est cette pratique de mise en scène de soi contrôlée et contractuelle dans laquelle M. Fœssel voit le paradigme de la tendance néolibérale à dissoudre le public et l’intime dans la sphère du privé.

Le premier intermède est consacré à approfondir et à resituer le concept d’authenticité à partir des analyses de Rousseau et de Heidegger. Selon M. Fœssel, il faut l’entendre comme « puissant instrument critique », à condition d’user de sa fonction explicative et non pas normative : il permet alors, non pas d’invoquer une origine perdue dont le présent ne serait que le reflet mensonger, mais de désigner « l’existence d’un lien entre le sujet et sa vérité » (p. 61). Cela ne signifie pas nécessairement que cette vérité est aisément accessible, mais qu’une attitude critique ne peut s’en passer. Un tel usage du concept dépasse largement la récupération économique de l’idéal d’authenticité qui prétend faire d’une vie réussie en termes sociaux une vie authentique et, par là, se trompe de « moi » : c’est l’intime qui représente un objet possible pour les morales de l’authenticité dont « ce livre voudrait être une défense raisonnable » (p. 62).
Le second intermède poursuit l’interrogation sur la nature du « moi » de l’homo œconomicus que thématise l’individualisme libéral, à partir d’une lecture d’Adolphe de Benjamin Constant, « roman de la disparition de l’intime dans le “privé” » (p. 100). Adophe, confondant l’idéal d’authenticité et l’impératif de réussite, rate ses amours et sa vie en demeurant étranger auprès des autres, incapable d’engagement — ce qui selon M. Fœssel, est le pendant inévitable de la liberté négative des Modernes. En effet, la modernité libérale arrache l’intime à la contrainte normative de la tradition, mais commet dans le même mouvement l’erreur de le conceptualiser en termes de « droit à la vie privée » ; or « le privé nous appartient alors que l’intime nous concerne  » (p. 111). Se joue ici la confusion essentielle qui nous conduit à oublier d’agir selon le souci authentique de soi. Nous sommes ainsi amenés à prendre pour « moi » ce qui s’expose comme moi et qui se trouve seulement pris dans une logique stratégique : la transparence donnée en spectacle remplace l’authenticité d’un échange intime de regards. Cet authentique don de soi à autrui, que M. Fœssel nous invite à oser, ne peut s’épanouir que dans une opacité libératrice, nouveau régime de visibilité qui vise à renouveler la norme libérale. En effet, il ne s’agit pas simplement de respecter l’espace « privé », à l’écart de la sphère publique, comme le lieu dans lequel l’État n’a pas à intervenir, mais plus radicalement d’accepter que le moi échappe à toute possibilité de communication rationnelle de soi, que le moi ne soit plus « la source parfaitement transparente de ses désirs, identifiés à des “projets” » (p. 141). Faire de ce moi, désorienté auprès de l’autre, la source de la mobilisation du nous, revient à faire de l’intime un concept politique et de sa préservation un objectif politique (p. 153) : on y mesure l’ambivalence et la vulnérabilité de la démocratie moderne au delà de sa tendance contractuelle.
Magali Bessone [17-07-2009]

Pourquoi l’instrumentalisation de l’intime représente-t-elle un danger pour nos démocraties ? A partir du constat de la "pipolisation" des hommes politiques, M. Fœssel s’interroge sur les effets de la dévalorisation d’une intimité désormais exposée au regard de tous. Il [...] démontre les difficultés contemporaines à appréhender la sphère intime en dehors de sa privatisation. La modernité a inventé l’intime pour aussitôt le réduire au développement des droits privés de l’individu. Pourtant, l’intime ne relève pas de la logique de la propriété ou de la maîtrise. Il est l’expression d’un lien où le sujet court le risque de la dépossession, se laissant envisager à partir de sa vulnérabilité, et plus seulement à l’aune de ses performances.
L’expérience amoureuse est par excellence le lieu de l’intime. Prenant le contre-pied de la pensée d’
Hannah Arendt si souvent reprise sur « la force apolitique de l’amour », M. Fœssel soutient que l’intime recèle un pouvoir de contestation de la société et des traditions. La reconnaissance affective constitue enfin un puissant moteur social car elle permet l’élaboration de la liberté de choix, de la confiance et de l’estime de soi. Au terme d’une analyse brillante – aussi bien dans sa lecture d’Adolphe de Benjamin Constant que dans son explicitation des modes de présentation de soi sur les blogs ou les sites de rencontres –, s’impose l’idée d’une dissolution de l’intime avec la généralisation du modèle marchand et la mise en place tout aussi menaçante d’une « société du contrôle ». La démocratie en sort fragilisée, car un monde sans intimité perd toutes ses réserves d’esprit critique.
Nathalie Sarthou-Lajus

L'intime n'est-il pas justement ce qui s'oppose à cette sphère privée des réalités économiques régie par le droit privé ? L'intime n'est-il pas le lieu où peut s'élaborer, à l'abri du regard de la société, une critique de celle-ci ? S'il est "beaucoup question d'amour dans ce livre", comme l'avoue lui-même l'auteur, c'est bien parce que ce sentiment n'est peut-être pas une force antipolitique comme ont voulu le croire certains. Notre difficulté actuelle à aimer vient peut-être alors de notre incapacité à nous reconnaître dans l'idéologie du Moi privé que promeut le néo-libéralisme et qu'endossent la plupart des acteurs publics contemporains. En posant ces questions et en dressant un constat implacable concernant nos démocraties actuelles, ce livre apparait comme une formidable arme de réflexion et de résistance.

voir aussi La construction européenne à l'aune de la pensée française par Michaël Fœssel
à propos de l'ouvrage de Justine Lacroix, La pensée française à l’épreuve de l’Europe, Paris, Grasset, 2008, 130 p.


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