DECEMBRE 2010

« Le monde ne sera sauvé que par les hommes libres.
Cette vérité si simple n’a cessé de veiller dans mon coeur ainsi qu’une petite flamme secouée dans la nuit par le vent.
Le monde ne sera sauvé que par les hommes libres. Il faut faire un monde pour les hommes libres. »
Georges Bernanos

Théâtre  

LINE / LE PREMIER
de
Israël Horovitz


vers le site du Grand Roque - Compagnie théâtre

Thierry Almon / Théâtre Jean-Alary à Carcassonne

MARY STUART
de
Friedrich Schiller

Dans la mise en scène de Stuart Seide, Cécile Garcia Fogel (Elizabeth) et Océane Mozas (Mary) forment le duo de souveraines mythiques. Deux reines, deux femmes Mary Stuart. Deux reines. Deux sœurs. Deux femmes. Élisabeth Ière et Mary Stuart, un couple devenu mythique, deux icônes, mais aussi deux facettes de ce que c’est qu’être femme «de pouvoir», ou simplement femme «au pouvoir», dans un monde gouverné par des hommes. Ces deux personnages ont eu des enfances et des jeunesses exceptionnellement tumultueuses et tourmentées. Chacune a fait face, mais sur un mode très différent de l’une à l’autre. La première (Mary) revendique l’intuition, la sensualité, voire sa sexualité, en se réfugiant toujours dans les bras d’un ou de plusieurs hommes et en s’associant à eux. La seconde (Élisabeth), qui ne peut s’exprimer, exclut toute association fondamentale avec un homme. Le second thème exploré par Schiller dans sa pièce est celui de la liberté et de son contraire, sa privation. D’un côté la prisonnière, contrainte de corps dans le moindre mouvement, le moindre déplacement, de l’autre celle qui, du sommet de la pyramide, doit assumer les contraintes de l’exercice du pouvoir, de la «realpolitik», au prix d’un équilibrage de forces contradictoires parmi ses conseillers et dans l’opinion publique. Élisabeth enfin, pour tenter de gagner sa liberté, se résout à faire décapiter Mary, et pourtant l’Élisabeth que nous découvrons au dénouement, délivrée de Mary, semble plus seule encore qu’elle ne l’avait jamais été, comme si, en exécutant sa victime, elle avait également tué une partie d’elle-même.

Stuart Seide / Théâtre National de Toulouse

 

 

 
   
COMPAGNONS INCONNUS
de Georges Bernanos



Valérie Aubert, Samir Siad / MC93
 

Se libérer de la peur

Ce n'est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l'exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime. La plupart des Birmans connaissent bien les quatre formes de la corruption, les quatre a-gati. La chanda-gati, ou esprit de cupidité, fait s'écarter du droit chemin par vénalité ou pour acheter la sécurité de ceux qu'on aime. La dosa-gati précipite dans le mauvais chemin de la vengeance, et l'ignorance entraîne les errements de la moga-gati. Le pire des quatre est sans doute la bhaya-gati : bhaya, la peur, non contente d'étouffer et d'anéantir lentement le sens du bien et du mal est très souvent à l'origine des trois autres formes de corruption.
Quand elle ne procède pas de la pure avarice, la chanda-gati peut venir de la peur de manquer ou de perdre l'estime de ceux qu'on aime ; de même, c'est la peur d'être dépassé, humilié ou blessé qui provoque l'esprit de vengeance. Et il est très difficile de chasser l'ignorance quand on ne libère pas la vérité des entraves de la peur. Peur et corruption sont si intimement liées que, dans les sociétés où sévit la peur, la corruption sous toutes ses formes est profondément enracinée.
On a dit que le mouvement démocratique birman, déclenché par les manifestations étudiantes de 1988, provenait d'abord du mécontentement général causé par la ruine économique du pays. Il est vrai que toutes ces années de politique incohérente, de mesures gouvernementales absurdes, d'inflation galopante et de chute continue du niveau de vie ont mené le pays au désastre. Pourtant, ce ne sont pas seulement ses difficultés à survivre tant bien que mal qui ont usé la patience d'un peuple par tradition tranquille et bien disposé, mais bien plutôt le sentiment d'une vie dénaturée par la corruption et la peur. les étudiants ne protestaient pas uniquement contre la mort de leurs camarades, mais aussi contre un régime totalitaire qui leur déniait le droit de vivre en privant le présent de toute signification et l'avenir de tout espoir. Et si leurs manifestations ont rapidemment pris l'ampleur d'un mouvement national, c'est que leurs revendications se faisaient l'écho des frustrations de tout le peuple, au point même qu'ils ont pu compter parmi leurs plus ardents partisans des hommes d'affaires qui avaient réussi, à force de talents et de contacts, à prospérer à l'intérieur du système. Or cette prospérité ne leur garantissait ni sécurité ni satisfaction véritables ; il leur fallait bien constater que les riches comme les pauvres, indépendamment de leur situation économique, avaient besoin d'un gouvernement de confiance s'ils voulaient vivre une existence digne de ce nom. Le peuple birman était las de cette situation précaire, las de subir la peur, las d'être comme "l'eau au creux des mains" du pouvoir.

"Nous pouvons être
Froids comme l'émeraude,
Comme l'eau au creux des mains,
Mais nous pourrions être
Comme des éclats de verre
Au creux des mains.
"

Le plus petit de ces éclats de verre à la force tranchante pour se défendre contre la main qui cherche à le briser ; il est vivant symbole de cette étincelle de courage nécessaire à qui veut se libérer de l'oppresion qui l'écrase. Bogyoke Aung San se considérait comme un révolutionnaire ; il a inlassablement cherché une solution aux difficultés qui assaillaient la Birmanie en ce temps d'épreuves, en exhortant le peuple à faire preuve de courage : "Ne comptez pas sur le courage et l'audace des autres. Chacun de vous doit faire des sacrifices pour devenir un héros plein de courage et d'audace. C'est pour tous la condition de la vraie liberté."
Il est bien difficile à ceux qui ont la chance de vivre dans un Etat de droit d'imaginer l'effort qu'il faut déployer pour résister à la corruption lorsque la peur fait partie du quotidien. Le rôle de la loi ne se borne pas à prévenir la corruption en infligeant aux délinquants le châtiment qu'ils méritent, elle permet aussi de construire une société qui préserve la dignité humaine sans avoir recours à des pratiques de corruption. Or là où la loi manque à sa tâche, c'est au commun des mortels qu'incombe la charge de maintenir les principes de justice et de civilité les plus élémentaires. Quand la conscience et la raison d'une nation sont perverties par la peur, il faut une fermeté inébranlable et une constance à toute épreuve pour faire triompher la loi qui permet aux hommes de combler leur désir d'harmonie et de justice, tout en réprimant les tendances destructrices inhérentes à la nature humaine.
A l'heure où des personnages tout-puissants et sans scrupules peuvent disposer et disposent de fait, grâce aux immenses progrès techniques, d'armes meurtrières contre les faibles et les déshérités, il est urgent de lier plus étroitement la politique à la morale, dans les nations comme à l'échelle internationale. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme des Nations Unies proclame que chaque individu, chaque corps social constitué doit d'efforcer de promouvoir les droits et les libertés auxquels tout être humain, sans distinction de race, de nationalité ou de religion, peut prétendre. Or tant que des gouvernements fonderont leur autorité sur la coercition et non sur un mandat du peuple, tant que des cliques feront passer leurs intérêts immédiats avant la paix et la prospérité, l'action concertée des instances internationales pour défendre et développer les droits de l'humain restera au mieux une lutte non accomplie. Car le combat continuera et les victimes de l'oppression devront alors compter sur leurs propres forces pour défendre leurs droits inaliénables de membres de la famille humaine.
L'essence de la révolution est la révolution de l'esprit. L'exigence intellectuelle appelle au changement des mentalités et des valeurs qui ont conditionné le développement d'une nation. Lorsqu'une révolution se borne à vouloir changer de politique et d'institutions pour améliorer les conditions de vie matérielle, elle a peu de chances de réussir. Sans une révolution de l'esprit, les forces qui ont produit les injustices de l'ordre ancien continuent à agir en menaçant constamment les réformes et la reconnaissance en cours. Il ne sert à rien d'invoquer la liberté, la démocratie et les droits de l'homme ; encore faut-il préserver dans le combat, dans l'unité et la détermination, accepter le sacrifice au nom de vérités intangibles, et résister au pouvoir corrupteur de la cupidité, de l'esprit de vengeance, de l'ignorance et de la peur.
Les saints, dit-on, sont des pécheurs qui se mettent sans cesse à l'épreuve. Les hommes libres, eux aussi, sont des opprimés qui se mettent à l'épreuve. Et chemin faisant, ils apprennent à assumer leurs responsabilités et à faire respecter les devoirs pour que la société garde toute sa liberté. Parmi toutes les libertés fondamentales auxquelles les hommes aspirent pour vivre une existence pleinement digne, la libération de la peur est unique : elle est à la fois un moyen et une fin. Pour construire une nation dotée d'institutions démocratiques fortes, capables d'offrir une protection solide contre l'abus de pouvoir d'Etat, le peuple doit d'abord apprendre à se libérer de la passivité et de la peur.
Aung San, qui mettait toujours en pratique ses idées, n'a cessé de faire la preuve de son courage, son courage physique bien sûr, mais aussi son courage de dire la vérité, de tenir parole, d'accepter la critique, de reconnaître ses fautes, de corriger ses erreurs, de respecter l'opposition, de dialoguer avec l'ennemi et de laisser le peuple juger de ses qualités de chef. Ce courage moral lui a valu l'amour et le respect des Birmans qui ont reconnu en lui le héros de guerre, mais surtout la conscience et le modèle de la nation tout entière. Ce qu'a dit Jawaharlal Nehru à propos du Mahatma Gandhi pourrait parfaitement convenir à Aung San : "L'absence de peur et la vérité étaient les principes essentiels de son enseignement ; ils devaient fonder l'action, et ne jamais négliger le bien-être du peuple."
Gandhi, grand apôtre de la non-violence, et Aung San, fondateur d'une armée nationale, avaient certes des personnalités très différentes. Mais les manières de défier le pouvoir se ressemblent inévitablement, quels que soient les lieux et les époques, et les qualités des hommes qui se dressent contre l'arbitraire aussi. En homme politique moderne, Nehru considérait que l'une des réussites majeures de Gandhi avait été de savoir donner du courage au peuple indien. néanmoins, pour définir les besoins d'un mouvement d'indépendance du XXè siècle, il faisait référence à la philosophie de l'Inde ancienne : "Le plus beau don d'un individu ou d'une nation, c'est l'abhaya, le courage ; pas simplement le courage physique, mais ce qui affranchit l'esprit de la peur."
Il se peut que l'absence de peur soit un don. Mais le courage né de l'effort, le courage né du refus systématique de se laisser dicter ses actes par la peur, le courage comme "grâce face à l'oppression", grâce toujours renouvelée face à une oppression toujours plus dure et plus inexorable, ce courage-là est plus précieux encore.
Dans un système qui dénie l'existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l'ordre des choses ; peur d'être emprisonné ou torturé, peur de la mort, peur de perdre ses amis, sa famille, ses biens ou ses moyens de substance, peur de la pauvreté, de l'isolement ou de l'échec. Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. Un peuple assujetti à une loi de fer et conditionné par la crainte a bien du mal à se libérer des souillures débilitantes de la peur. Mais aucune machinerie d'Etat, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de resurgir encore et toujours, car la peur n'est pas l'état naturel de l'homme civilisé.
Face à un pouvoir sans limites, les hommes ont besoin d'enraciner leur courage et leur pugnacité dans les principes sacrés de la morale, et d'écouter la leçon de l'histoire qui montre clairement qu'en dépit de ses régressions, la condition humaine finira bien par progresser sur le plan matériel et spirituel. Cette aptitude de l'homme à s'améliorer et à se racheter le sépare de la simple brute. La responsabilité humaine trouve son origine dans l'idée de perfection et ce qu'elle exige de l'atteindre, savoir trouver le chemin qui mène jusqu'à elle, et avoir la constance de le suivre, sinon jusqu'au bout, du moins assez longtemps pour dépasser les limites individuelles et surmonter tous les obstacles qui se présentent. C'est la vision d'une humanité raisonnable et civilisée qui inspire l'audace et la force de construire des sociétés enfin délivrées du besoin et de la peur. les notions de vérité, de justice et de compassion ne sont pas dépassées ; il ne faut pas les jeter au rebut : elles restent souvent notre seul rempart contre un pouvoir sans pitié.

Ce texte a été publié lorsque le Parlement Européen a attribué à Aung San Suu Kyi le Prix Sakharov 1990 pour la Liberté de Pensée.
La cérémonie de remise du Prix a eu lieu à Strasbourg, en son absence, le 10 juillet 1991. Le texte est paru la même semaine, en version intégrale ou en extraits,
dans le Times Literary Supplement, le New York Times, l'Economic Review d'Extrême-Orient, le Bangkok Post, le Times of India et dans la presse norvégienne et islandaise.
   
Danse-chant...
 


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