Le Théâtre de l'Hyménée présente

« RICTUS »

jeu, Antoine Chapelot
mise en scène, Michaël Therrat, scénographie, Pierre Heydorff
création lumière, Ronan Fablet, création musique, Jean-Kristoff Camps
construction décor, Quentin Charrois, construction mannequin, Virginie Rueff
affiche, Valérie Tonnellier

Godot déraille, Rictus dérouille

Démocratie
« Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour.
« Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques.
« Aux pays poivrés et détrempés ! - au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.
« Au revoir ici, n'importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce ; ignorants pour la science, roués pour le confort ; la crevaison pour le monde qui va.

C'est la vraie marche. En avant, route ! »
Arthur Rimbaud, Les Illuminations

 

En septembre 1996, les C.R.S. « vidaient » l’église St Bernard à Paris, des femmes, enfants, hommes et vieillards qui y avaient trouvé refuge. J’avais honte d’être français. Il y a peu, « on » a « nettoyé » la Jungle de Calais, des hommes, d’autres hommes, au sens générique… sans compter les nombreux karchers dont on entend à peine parler si ce n’est pour apprendre qu’une telle s’est défenestrée à l’arrivée de la police. Pierre Brossolette aussi, face à la gestapo, se jeta de la fenêtre d’un 4ème étage, pour ne pas trahir les siens.

Quels témoignages, quels poèmes écrivent-ils ? Quels écrits laisseront-ils plus tard ? Quelle(s) mémoire(s) enrichissent-ils de leur supplice (sacrifice ?) d’exilés, de déplacés (aussi (1)) ? Humains produits d’immigration, consommation impudique médiatisée, ère des images ostentatoires, fierté paupérisée insensibilisée… Est-ce stratégique de rendre les mémoires éphémères (2) ?

A l’instar d’un Wajdi Mouawad reconnu, combien sont-ils, d’hères oubliés, encore anonymes, peut-être disparus ? Quels textes laisseront-ils d’eux-mêmes ? Quelles écritures resteront-elles d’elles-mêmes ? Que nos enfants n’auront-ils de cesse de contempler l’indigence et l’inconséquence en héritage, fruit des guerres larvées.
Quelle misère de constater que des milliers de Rictus, encore, subissent les assauts d’énarques aux intelligences infertiles !

Qu’est-ce qui fait qu’on tient, morbleu (!), face à une telle détresse ?

Ce spectacle – ma participation à cette création – s’inscrit en témoignage de ma douleur, et de ma honte, et de mon engagement artistique comme politique, et résistant – résident du Royaume de France – en opposition à la malédiction ambiante.
Culture de l’inaction, totem de la manipulation, télévision et confusion, quelle(s) croyance(s), quelle foi soutiennent ces voyageurs intempestifs, ces sans-logis, ces bannis du confort(-misme) / du confort-même ?

Notre Rictus ressemble à Queequeg dans Moby Dick, le compagnon d’Ishmaël, à l’idole intime – talisman d’onagre – définissant le lien et l’espace – religieux (du latin religare) – d’une appartenance, c’est-à-dire ici, à l’humanité. Une complicité pour mieux mesurer son chagrin. Ce Rictus est une chimère : mi-homme, mi-bête, un monstre échappé de je-ne-sais-quelle mythologie – masque tombé des routines consciencieuses – mi-résigné, mi-provocateur, mi-désemparé, mi-inspiré… Mi-ange, mi-démon, Jekyll et Hyde, peut-être.

Mi-dieu, mi-animal : moi-peau incontestable, le comédien-caméléon rampe, glisse et vole, métaphore du chemin de croix, mi-fou, mi-génial, la résonnance est certaine en chacun : sans restriction, Rictus est en nous, constitutif – inflexion – instinctif : fonction d’adaptation.
Nous avons induit un rituel. La dramaturgie élaborée à partir des textes choisis de
Gabriel RandonJean Rictus – trace un cercle temporel. Le début du spectacle – l’apparent début – résulte d’une antériorité que la fin dévoile sûrement… ceci dit, à chacun de lire ce parcours – cet instant scénique – comme bon lui semble.
Avec émotion et réflexion, ce Rictus-là offre un moment entier d’une rencontre inoubliable en théâtre.

Michaël Therrat, le 28/11/2009

(1) Cf. Les Conventions de Genève qui déterminent si l’on franchit une frontière ou non ; (2) Les Ephémères, dernier spectacle du Théâtre du Soleil, mis en scène par Ariane Mnouchkine.

La fêlure

Dans l’immobilité, le silence impalpable,
Je suis là. Je suis seul. Si on me frappe, je bouge.
J’essais de protéger une chose sanglante et rouge,
Le monde est un chaos précis et implacable.

Il y a des gens autour, je les sens qui respirent
Et leurs pas mécaniques se croisent sur le grillage.
J’ai pourtant ressenti la douleur et la rage ;
Tout près de moi, tout près, un aveugle soupire.

Cela fait très longtemps que je survis. C’est drôle.
Je me souviens très bien du temps de l’espérance
Et je me souviens même de ma petite enfance,
Mais je crois que j’en suis à mon tout dernier rôle.

Tu sais je l’ai compris dès la première seconde,
Il faisait un peu froid et je suais de peur
Le pont était brisé, il était dix-neuf heures
La fêlure était là, silencieuse et profonde.

Michel Houellebecq, « La fêlure » in La Poursuite du bonheur

Notes, du 20 février 2009, du 20 mai 2009, du 17 novembre 2009 & articles de presse /2009 + lien Hervé Courtain