Le Théâtre de l'Hyménée présente

« RICTUS »

jeu, Antoine Chapelot
mise en scène, Michaël Therrat, scénographie, Pierre Heydorff
création lumière, Ronan Fablet, création musique, Jean-Kristoff Camps
construction décor, Quentin Charrois, construction mannequin, Virginie Rueff
affiche, Valérie Tonnellier

dessin de Stenlein

2ème période, 2ème époque : sous le signe du double

La mort... est du domaine de la foi – vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien sûr – ça vous soutient !
Si vous n'y croyez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ?
Si on n'était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira... est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ?
Néanmoins, ce n'est qu'un acte de foi. Le comble du comble, c'est que vous n'en êtes pas sûr !
Pourquoi il n'y en aurait pas un ou une qui vivrait jusqu'à cent cinquante ans.
Mais - enfin - quand même, c'est là que la foi reprend sa force.

Jacques Lacan, à
Louvain, 1972

Depuis le mois de septembre nous avons abordé le défrichage de la deuxième partie du spectacle, moment qui correspond dans le même temps à une détermination confiante de l’équipe – enrichie du scénographe Pierre Heydorff – ainsi que de partenaires institutionnels.
Nous avons réinterrogé les directions, les choix, nous avons approfondi, défini plus précisément nos partis pris. Sur l’autel de l’esthétisme naissant, nous n’avons pas voulu sacrifié la puissance/ « puits-sens » du propos, la force du texte.
Une deuxième rencontre a eu lieu – vendredi 30 octobre 2009 – avec un public choisi, au cours des dix jours de résidence au Théâtre des 3 Ponts de Castelnaudary. Des options ont été prises concernant la création lumière de Ronan Fablet, partant des tons froids, pour aboutir aux tons brûlants. Concernant la partition sonore, Jean-Kristoff Camps a poursuivi sa recherche de musicien exigeant, expérimentant de nouveaux sons. Antoine Chapelot, tout en manipulant un mannequin – son nouveau partenaire – a  fait montre d’un grand courage en apprivoisant son équilibre sur la grille-balançoire.

Evolution de la scénographie

A l’idée d’île du bout du monde, d’archipel abandonné, d’un dôme symbole du territoire-oikos du personnage, nous avons substitué celle d’un « tube ». Le personnage évolue toujours dans un cercle qui n’est en fait que la partie visible – qui évoque un disque géant, une piste de cirque, une agora grecque – de la section d’un tube imaginaire. Cette vision nouvelle délimite le cadre dans lequel la pesante grille apparaît. A la circulation verticale de la grille correspond la circularité horizontale du regard. La musique marque l'univers sonore comme Janus au double visage : extérieur (Rictus) /intérieur (Jésus).

Le pauvre « entubé »

La première partie traite de l’environnement extérieur du personnage. Ou disons plutôt d’une narration encerclée, d’une parole solitaire échappée qui évoque des scènes de la vie quotidienne : la rue, les passants, la fête. Le personnage se sait enfermé, le dispositif est cruel. Nous posons la pauvreté comme un état d’où il parait presqu’impossible de sortir. A l’instar d’un piège. De Rutebeuf à Camille Mauclair, et Catulle Mendès en passant par François Villon et Jean Richepin, il ne manque pas d'auteurs français pour évoquer la pauvreté. A travers leurs mots, ce sont les maux de leurs contemporains qu'on retrouve incessamment.

 

Poème 2
En ce temps que j'ai dit devant,
Sur le Noel, morte saison,
Que les loups se vivent de vent
Et qu'on se tient en sa maison,
Pour le frimas, près du tison,
Me vint un vouloir de briser
La tres amoureuse prison
Qui souloit mon coeur debriser (1)

« A la muse de Montmartre »
Fille du soir, mène la fête des tristes
Et mêle ton sourire au rictus,
Puisque tu viens chargée du bon fardeau de la joie
Qu'il faut donner à ceux qui en ont besoin,
Avec une compassion farouche et belle
Mène la fête du rêve et du pain ! (2)

 

Bon sang de Dieu ! si l’on m’allume
Ça chauffera ! je cogne dru
Sous cinquante ans, marteaux d’enclume,
Qui m’ont reforgé, j’ai recrû.
(3)
(extrait)

Rictus voit les choses de façon horizontale, peut-être cherche-t-il à percer les parois du « tube », à traverser les limites de son cosmos/logos. En tout état de cause, il se heurte inlassablement à son propre reflet. Faute d’une véritable perception de l’autre côté, son regard est renvoyé à lui-même. Il est contraint à la contemplation, à l’interprétation de ce qu’il croit voir, de ce dont il se souvient sans doute… Observations et revendications, face public : la conscience même de sa voix est absorbée par la membrane imaginaire du tube.
Dans la première partie la construction dramaturgique use d’ellipses que les lumières et/ou les compositions musicales soulignent, accentuent ou atténuent ; dans la seconde partie, la salle s’éclipse au regard de l’acteur, engageant davantage sa présence et l’action
(4).

Ça tourne rectangle

Si dans la première partie la grille représente les contraintes, le destin, l’industrialisation, la civilisation, les lois, la société, tout ce qui peut échapper en partie à l’individu, dans la deuxième partie, elle s’affirme comme une métonymie de la raison rationnelle, productrice de ratiocinations intempestives, grilles d’analyses et autres filtres. Elle symbolise l’intériorisation mentale, l’intégration des valeurs éducatives transmises par le milieu et l’hérédité. Le personnage se lie à la grille, il y rencontre même son double, sa projection, l’image fantasmée d’une complicité perdue, d’une écoute ou d’un regard tant espérés. Absolu d’ailes.

TOI, TU LE SAIS, MON DIEU !
Toi, tu le sais, mon Dieu : comme la joie ou la peine sont volubiles.
Même celui qui est complètement abandonné
Par les gens, les fantômes, par l’animal et par les choses,
Et donc celui qui parle tout seul,
Ne parle pas que pour lui-même !...
(5)

Le dialogue naît alors entre l’acteur et l’incarnation de son espérance : affrontement vain parce que leurre salvateur, affaire de profils pour circonscrire l’arène de l’inauthentique dialogue. Cet apprivoisement de la dialectique repousse les limites de ses représentations, de ses croyances, de son obsession. La matérialisation de sa volonté, de son désir, lui permettent enfin d’agir, de participer pleinement à la consommation du conflit. Son nouvel ancrage l’oriente maintenant verticalement. Le pantin – fantôme anticipé ou miroir sans reflet – s’imprègne de l’écho des paroles retenues, dans le cercle de la foi du personnage. Icare était-il désespéré ?


crédit photos : Sylvie Magri

Ce qui se joue à l'intérieur de l'âme de Rictus, c'est la pauvreté comme refus, par lequel elle entre en mouvement. Les considérations réalistes se voient superposées par la pensée symboliste. Dans le spectacle, nous avons été attentif non seulement au sens de ce qui est dit, mais aussi à la mise en scène de la langue : aux notions d'apparition et de disparition - d'idées de naissance, de surgissement et d'émergence - omniprésentes, répond la création en tant que telle, le point de vue phénoménologique, du théâtre. Notre Rictus en quelque sorte anadyomène, sorti des eaux mais sans eau ! - germe issu d'entre les pierres, corps tendu, né pourtant d'une sécheresse - se fera dans la tête, des représentations de Vénus, la femme désirée, en écho à la Vénus anadyomène d'Arthur Rimbaud.

 

Nihil novi sub RICTUS

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Le théâtre nous permet de voir. C’est sans doute d’abord à cela qu’il peut servir : nous suggérer de regarder à l’intérieur d’un tube imaginaire. Nous invitons le public à croire qu’il y a un tube, sans le lui dire. Chaque spectateur imaginera cet enfermement comme « mal le hante », tel une traversée de ces propres enfers, à l'instar des poètes, de la toile de Delacroix représentant Dante et Virgile aux enfers. Le tube métaphorise la croyance. La sensation d’isolation – de limitation – questionne l’être de façon toujours prégnante. Souffrir l’intime au plus proche de son identité, comme le sentiment d’une menace ou d’une perte : Milan Kundéra parle de la litost dans Le Livre du Rire et de l’Oubli : la sensation de sa propre misère soudainement révélée à soi-même. Il ne s’agit pas de culpabilité qui est chose morale, ni d’âme qui renvoie au spirituel. Ici c’est le corps, le corps misérable, chose étrangère à l’âme. Feu ardent.

 « Y faut secouer au cœur des Hommes
          Le Dieu qui pionc’ dans chacun d’nous ! »
(6)

Première partie, visage à la face, à l’instar de l’aède qui narre des bribes de son épopée, le jeu de l’acteur se teinte de dérision autant que de rébellion, invitant le spectateur à sourire malgré la densité du propos et son étrange actualité. Deuxième partie, l’acteur s’adresse à un spectre, autre profil, illusion scandaleuse qui le mènera à son propre délitement. Elision fatale.
La présence du pantin dessine cette dialectique, à la fois représentation de l’image et incarnation de l’iconique, de même qu’elle argumente en faveur d’une symbolique de la distanciation, de l’altérité et de la dénonciation (7). Le mécanique contre l’organique.
La trame du Rictus que nous montons, mène à ce que le mode narratif de l’épique précède la forme discursive du dialogisme. Lier chaque geste au geste suivant, sons et lumières d’un seul tenant, relais pour le corps, émanation de la chair. Le texte n’est plus qu’une incantation insouciante, une erreur du silence. Le simulacre développe « sa chimère », sa propre croyance : cet irréductible besoin de souffler des mots. BRÛLER.

Le poète est « un émetteur sans récepteur. Personne ne répond ! »
Chaque poème « rend au feu ce que la lumière ôte à la flamme »
(8)

Le désir d'être plus que soi - en l'occurence, ici, Jésus, le représentant des pauvres - constitue le naufrage vertigineux du réel.

Michaël Therrat, le 17/11/2009

(1) François Villon, 1456 cf. Ballade pour prier Notre Dame ; (2) Severin Faust dit Camille Mauclair (1871-1945), in La Vache enragée, journal officiel de la commune libre de Montmartre, mai-juin 1897. Lien-octave-mirbeau-saint-pol-roux ; (3) Catulle Mendès, Ballade du bon vieux compagnon de bataille de buverie et d’amour (extrait) ; (4) Denis Guénoun, Actions et acteur. Raisons du drame sur scène, Paris, éditions Belin, coll. « L’extrême contemporain », 2005, p.18 ; (5) Vladimir Holan, « Douleur », in Une nuit avec Hamlet, et autres poèmes, Paris, éditions Gallimard, 1968, 1977, 2000, p.290 ; (6) Jehan-Rictus, « Le Revenant », in Les Soliloques du Pauvre [basé sur l’édition de 1903], Paris, Éditions Blusson, [2007] ; (7) « Le théâtre est de l’humanité artificielle » déclare A. Linert en 1883, pour la création de sa pièce La Cloche de Caïn, cité par Didier Plassard, L’Acteur en effigie, Lausanne, L’Age d’Homme - Institut International de la Marionnette, coll. « Th20 », dirigée par Béatrice Picon-Vallin, 1992 ; (8) Aragon, dans la préface de Une nuit avec Hamlet, op. cit. cf. note (5).

Notes, du 20 février 2009, du 20 mai 2009, du 28 novembre 2009 & articles de presse /2009 + lien Hervé Courtain
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