Nikolaï Kolyada

(1957-

né à Ekaterinbourg

Nicolaï Koliada est diplômé de l'école de théâtre de sa ville natale (Ekaterinbourg, Oural). Il débute comme acteur et metteur en scène au théâtre de Sverdlovsk. Sa première pièce, Le Jeu aux gages, est jouée à Novossibirsk, Tomsk et Leningrad entre 1988 et 1989. Les succès du Lance-pierre et de Mourlin Mourlo à Moscou en 1990 (au Sovremennik), en font l'un des auteurs les plus représentés dans la capitale : une quarantaine de pièces - Le Canotier (1993), La Polonaise d'Oginski (1994), Partons, partons (1996), Le Lilas persan et Va-t-en (2000) - publiées et régulièrement jouées à travers l'Europe et en Amérique du Nord. Il dirige la revue Oural. A Ekaterinbourg, il a organisé un festival de ses pièces et dirige un atelier d'écriture dramatique. Il aime utiliser un parler populaire, jargonnant, truffé de provincialismes, dans des dialogues denses et rapides. Sa pièce L'Américaine a été publiée dans Théâtre russe contemporain (Actes Sud-Papiers, 1997). On retrouve Koliada dans les Théâtre Public n° 116 et 133.

1982 - écrit sa première pièce, Une maison en centre-ville.
1994 - organise le festival du théâtre « Kolyada Plays », à Ekaterinbourg, avec la participation de 18 théâtres russes et étrangers.
2001 - fonde son propre théâtre, le Théâtre Kolyada.

Comment avez-vous commencé à travailler en France ?

A vrai dire, au début, cela ressemblait à une aventure. Il y a quelques années, un critique français bien connu, Jean-Pierre Thibaudat, est venu à Ekaterinbourg découvrir de « nouveaux talents ». Il a visité le Kolyada-théâtre en compagnie de six directeurs de théâtres français. Il ont particulièrement apprécié
Le Roi Lear, Hamlet et Revizor. Ils ont ensuite invité ma troupe au festival international du théâtre Passages 09 à Nancy. Après cet évènement, ils nous ont proposé de jouer dans leurs théâtres respectifs.

Cette fois, les préparatifs de la tournée ont été grandioses. Nous avons dû nous procurer des papiers justifiant que les reproductions chinoises de la Joconde pour Hamlet n'avaient pas de valeur artistique. Nous avions également peur que la douane nous interdise le passage des os de bœufs pour cause de grippe porcine. Heureusement, notre État a soutenu la tournée. Le gouvernement russe à donné au théâtre 1,5 million de roubles (plus de 38 mille euros) pour les billets d'avion et le transport des décors aller-retour. Le consul de France à Ekaterinbourg, Claude Crouail, nous a octroyé gratuitement les visas. Du côté français, on nous a également beaucoup aidés lors de notre séjour en nous octroyant gratuitement les services d'un très bon interprète.

Les théâtres russes qui ne sont pas financés par l’État ont du mal à survivre en province. Par exemple, pour financer le festival international Kolyada-Plays, vous avez donné en gage votre propre appartement. Quant à l'entretien du théâtre, vous êtes parfois obligé de dépenser vos droits d'auteur. Croyez-vous qu'en France, le travail aurait été plus facile ?

L'organisation du théâtre en France diffère radicalement de celle qui est en place en Russie. A commencer par une chose très étrange : il n'y a pas de lumières au-dessus de la scène dans un théâtre français, elles sont emmenées sur une charrette par des ouvriers embauchés et ils les mettent à chaque fois selon nos instructions. Dans les théâtres russes, les lumières sont là en permanence, elles sont simplement tournées selon l’angle voulu. Enfin, en France il n'existe pas de troupes permanentes, sauf, peut-être, celle de la Comédie Française. Voilà pourquoi les artistes cherchent eux-mêmes des projets théâtraux et passent les castings. En Russie, tout est absolument le contraire. Chez nous, dans chaque ville ou presque, il existe au minimum un théâtre, et même le plus souvent plusieurs, qui ont des troupes permanentes d’au moins une cinquantaine de personnes. Mes collègues français pensent que ce système est hallucinant, trop lourd. J'ai l'impression que presque tous les théâtres français ne sont que des salles où des metteurs en scène différents montrent un certain nombre de spectacles et repartent ensuite. J'ai entendu dire que ces théâtres ont du mal à remplir leurs salles et ne donnent que cinq ou six spectacle par mois. Je ne juge pas ce système, il est tout simplement différent.

Pourtant, vous vous êtes bien adapté à ce système à en juger par vos salles pleines...

Les producteurs français nous ont avoué qu'ils ne s'attendaient pas à un tel succès financier. Ils se préparaient psychologiquement à une perte totale et ne pensaient pas voir en salle plus de 50-100 personnes. Mais tout a été différent pour deux raisons.

Premièrement, en France, à la différence de la Russie, la critique théâtrale a beaucoup de prestige. En Russie, il y a plusieurs critiques théâtraux qui ne sont entendus que par les spécialistes et non pas par les spectateurs ! Mais le goût d'un critique du Monde, tout le monde lui fait confiance. C’est en tout cas l'impression que j'ai. Si un critique de ce journal écrit que tel spectacle est nul, il argumente son point de vue et décortique la mise en scène dans le moindre détail... Donc, Le Monde a publié une critique très positive sous le titre Un théâtre sauvage venu de Sibérie (alors que nous ne venons pas du tout de Sibérie, mais de l'Oural). Les spectateurs ont fait confiance au journal et sont venus au spectacle !

Deuxièmement, et c'est le plus important : la place prépondérante dans nos spectacles qu'occupe l'acteur. Un spectateur européen, selon moi, est fatigué par la machinerie et les excès de nouveautés techniques sur scène. On a l'impression que les metteurs en scène contemporains français, peureux de perdre l'intérêt des spectateurs, n'arrêtent pas de rajouter toujours plus de nouveautés techniques. Et sa majesté l'Acteur est perdu de vue à cause de tout cela. Or, le plus important sur scène, ce sont les émotions, les larmes, le rire, les tourments et les passions. Je pense que c'est cela que les Français ont aimé dans nos spectacles.

Plus particulièrement Hamlet où l’on met sur scène une cinquantaine de portrait en négatif de la Joconde, une sorte de symbole national pour les Français, comme Lénine ou la Place Rouge pour nous, les Russes. Au Louvre ce chef-d’œuvre se trouve derrière une vitre blindée, on ne peut l'admirer qu’à distance. Dans la pièce Hamlet, les barbares dansent au son de l'accordéon d'une manière si violente que les murs de leur fragile palais en tremblent, ils crachent à la face de la Joconde, lui crèvent les yeux, lui cousent le sourire de fils rouges... Le public français y a vu un sens particulier.

Avez-vous réussi à casser des stéréotypes que vous aviez sur la France ?

Peut-être un stéréotype : celui du « caractère » paisible de ce pays. Sous certains aspects, nous avons trouvé la France imprévisible. Par exemple, personne n'attendait de surprises dans la petite ville tranquille de Brétigny. Notre chauffeur a amené la voiture avec les décors près du théâtre et est parti prendre un café. En rentrant, il a découvert que le pare-brise avait été cassé par une balle ! Pas loin de là, une bande de voyous faisait la fête et faisait des gestes agressifs dans notre direction. Nous avons pris peur et nous avons essayé d'appeler la Police. Au début, les policiers n'ont pas voulu venir. Il a fallu faire un scandale au téléphone et appeler le ministère des Affaires étrangères français pour qu’ils se rendent enfin sur place.

J'ai aussi vécu une situation assez drôle dans un hôtel parisien. Je rentrais d'une répétition et j'ai vu dans ma chambre une femme de chambre assise sur une table basse avec un aspirateur dans les bras en train de regarder la télé ! C'était probablement une émission intéressante.

Quelles autres surprises nous attendent cet automne dans cet incroyable pays ?
Qui vivra verra.

 

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