Roman

(1994)

de Vladimir Sorokine (1955-

 

Comment en vient-on à écrire un livre tel que Roman ?
Autant demander à une femme pourquoi elle décide d’avoir un enfant ! Si un roman n’est pas écrit pour l’argent ou à des fins extra-littéraires (pour se venger de quelqu’un ou démolir un système politique), il se fait tout seul, selon un processus qui rappelle effectivement la naissance d’un enfant. Cela se fait, en quelque sorte, en dehors de vous.
Pour dire les choses plus simplement, je voulais, par ce roman, me faire plaisir et faire plaisir à ceux qui partageaient mes points de vue esthétiques. En 1985, quand j’ai commencé
Roman, nous n’étions pas plus d’une douzaine.

Quelle place occupe ce livre dans votre œuvre ?
Une place à part. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à croire que je l’ai écrit. Mon principe est pourtant celui-ci : écrire, à chaque fois, quelque chose de différent, sortir de ma peau précédente. J’aime énormément m’étonner littérairement. Roman, qui m’a demandé quatre ans de travail, est, actuellement encore, le livre qui m’étonne le plus. J’aime beaucoup son espace. Je l’ai construit avec beaucoup d’amour. Et détruit avec plus d’amour encore.

extrait d'un bref entretien d’Anne Coldefy-Faucard avec Vladimir Sorokine

Chez Sorokine, la rupture historique renvoie clairement à une rupture romanesque. Ecrit entre 1984 et 1989, Roman signe la mise à mort de la forme dite “classique”. Roman raconte le retour du héros éponyme parmi les siens, une famille d’aristos bonhommes, et finit… dans un bain de sang. Dans ce livre de 600 pages, le plus sublime et ahurissant de Sorokine, on assiste au démantèlement du roman d’apprentissage, à la dislocation de la prose des “classiques”, Tolstoï, Pouchkine, Tourgueniev, dont l’auteur maîtrise génialement la langue. Pour lui, le roman traditionnel a échoué à raconter le monde après 1917 et la perte de son innocence.

extrait Les Inrocks - Sorokine, l'âme russe - 20 février 2010

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