Vladimir Maïakovski

(1913)

de Vladimir Maïakovski (1893-1930)

 

P. Yartsev publia un article - dansd le journal Rech - témoignant de la compréhension de la tragédie, de sa mise en scène et de sa représentation. De petits panneaux (ou écrans) placés au fond de la scène, non loin d'une toile de fond couverte de tissu grossier, servaient de décors. Pendant le prologue et pendant l'épilogue, était éclairé un panneau carré dessiné par Pavel Filonov, qui était peint de couleurs vives et représentait des objets variés, "petits bateaux, maisons et chevaux de bois, comme si on avait éparpillé une pile de jouets que des enfants auraient dessinés". Quelques marches recouvertes d'un calicot brun avaient été placées devant les lumières de la rampe. A son entrée, Maïakovski montait ces marches comme pour accéder à un piédestal.

Le décor du premier acte avait été peint par Skolnik pour correspondre à ces mots du poète "la ville, dans la toile de ses rues". Son dessin est resté intact, il confirma la description de Yartsev d'une "ville avec ses toits, ses rues et les poteaux du télégraphe s'effondrant les uns sur les autres". Pour le second acte, Skolnik avait peint "une autre ville, amas de toits en désordre, de rues, de murs et de lampadaires", qui, d'après Yartsev, était "rosâtre et rébarbatif".

Yartsev : "Les acteurs tenaient devant eux les silhouettes de carton qui représentaient les personnages qu'ils jouaient, et, pour parler, ils sortaient la tête de derrière ces figures. Ils se déplaçaient lentement,en ligne droite,toujours face au public (sans pouvoir se tourner car ils n'avaient pas de masque de carton derrière eux ni sur leurs flancs). Ils étaient vêtus de blouses blanches de laboratoire et, hors jeu, s'alignaient le long des panneaux, près de la grossière toile de fond."

Yartsev soutint que la tragédie relevait du "monodrame". Seul, le poète y figurait comme personne réelle, et les autres protagonistes de la pièce étaient les produits de son imagination. Le poète se conduisait sur scène comme s'il eut été dans la vie, sans déguisement,dans sa blouse jaune, avec son chapeau et sa canne. Tous les autres n'étaient qu'abstractions. Il vit tout de même une différence entre le travail de Craig (et Stanislavski) à propos d'Hamlet, et la productin futuriste de Maïakovski : à savoir, l'intention de "ramener l'acteur à sa forme pure - celle du bouffon de foire qui se présente sans détour,et, tout en jouant, interfère ouvertement avec le public". Le poète futuriste s'adressait à l'assistance au prologue et à l'épilogue et commentait les événements qui se déroulaient en scène. Fumant sa cigarette, il traitait en purs "artifices théâtraux" les monstres qui apparaissaient en scène et s'adressaient à lui ; sans même leur accorder un regard, il arpentait la scène. Il ne sembla les voir qu'au second acte, lorsqu'ils commencèrent à lui apporter leurs armes. A son entrée en scène, il tendit son manteau, son chapeau et sa canne à l'un des huissiers, lui donnant même après avoir fouillé dans sa poche, une pièce pour le service.

Rares sont les informations quant aux débuts mais voici : "Maïakovski apparut sur la scène la tête haute et, ayant pris la pose du vaniteux Proutkov, il se tourna vers le public et lui demanda "de repriser les trous de son âme". Le théâtre bondé accueilli la requête par une explosion de rire. Sans troubler Maïakovski qui entreprit de réciter un long monologue en vers".
Le poète domine, tous les autres personnages - "carton pur" - sont rejetés dans l'ombre. Alexandre Mgebrov, confirme : "ils défilaient les uns derrière les autres", sans aucune expression - "comme des marionnettes".

Une marionnette, celle-là véritable, attira particulièrement l'attention de l'assistance. Au commencement de la représentation, quelque chose se dressait sous une couverture dans l'angle droit de la scène et cela ressemblait à un énorme noeud. Comme on s'en apperçut plus tard, écrivit Yartsev, "c'était une marionnette informe". Elle tenait le rôle, d'après la distribution d'un personnage désigné sous le nom de "Sa Connaissance femelle", dont il était précisé : "ne parle pas". Quand le poète découvrit la marionnette en tirant sa couverture d'un grand geste ostentatoire, on aperçut une paysanne de cinq mètres de haut, fabriquée par Filonov avec du papier mâché, "les joues rubicondes et vêtue de haillons". Puis le poète demanda la crémation discrète de la femme-marionnette, qui ne pouvait que donner des baisers et non pas aimer. Alors les monstres la tirèrent hors de la scène.

A la fin du premier acte, deux vendeurs de journaux parcoururent la scène en criant : "Figaro ! Figaro !", "il semble, résumait Yartsev, que la vie va son train, sans s'occuper des indicibles émotions non plus que des exploits du poète". Au second acte, les monstres et les femmes apportent leurs armes au poète dans de petits sacs de tapisserie bourrés de coton et "de dégoutants petits sacs en forme de lèvres, déformées par les baisers... La valise du poète est portée sur la scène, le poète la remplit des larmes et des lèvres et il annonce qu'il va quitter le peuple qui l'a tari".

Benedict Livchits : "Au centre de la mise en scène se tenait l'auteur de la pièce, qui l'avait transformée en monodrame... Monologue ininterrompu, divisé en parties qui ne se distinguaient que par des nuances d'intonation. Maïakovski seul bougeait sur la scène, dansant et récitant, sans aucun désir perceptible de cesser ses mimiques ou de baisser si peu que ce soit la voix, qu'il a splendide". "La représentation a aboli les limites qui séparaient le drame de la poésie lyrique".

Pasternak : "Comme tout cela était simple ! L'art s'appelait tragédie. Et c'était bien le nom qui lui convenait. Le titre de la pièce était Vladimir Maïakovski. Et ce titre dissimulait une découverte d'une simplicité merveilleuse : le poète n'est pas l'auteur, mais le sujet de la poésie lyrique, qui s'adresse au monde à la première personne. Le titre n'était donc pas le nom de l'auteur, mais le résumé de l'oeuvre".

Le système métaphorique de Maïakovski a constamment recours à l'hyperbole, dans le but d'accéder à l'universel. Il emploie librement, les généralisations les plus grandioses, comme s'il considérait de haut et en toute liberté la planète Terre, conférant à la métaphore, joyeusement et même ardemment, une force explosive. lorsque le Vieil Homme aux Chats déclare : "Il faut réduire les choses en pièces", l'Homme à la Figure Etirée lui répique aussitôt : "Mais peut-être les choses doivent-elles être aimées ?" Maïakovski s'installe délibérément dans la dualité. D'un côté, "les objets inanimés" sont hostiles à l'homme et même "les dents blanches du clavier enragé" torturent les mains du pianiste. Le poète déteste ouvertement le Jeune Homme Ordinaire qui a "inventé une machine à hacher la viande". De l'autre côté, l'Homme Borgne et Unijambiste prédit la révolte des objets, qui prendront vie, parleront et se libéreront du pouvoir des hommes.

Cette première oeuvre, provocatrice et volontairement embrouillée aboutira à la clarté dépouillée des métaphores de Mystère-Bouffe.
   

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