Constantin Sergueï Alexeïev

dit Constantin S. Stanislavski

(1863-1938)

Deux ouvrages sont connus en plus de Ma vie dans l'art, en français : La Formation de l'acteur (An Actor Prepares, 1936) et La Construction du personnage (Building a Character). Or ni les vocables "formation" et "construction" ne figurent dans les titres russes (Le Travail de l'acteur sur lui-même - 1938 - "dans le processus du revivre" [1ère partie (est publiée au mois de septembre 1938, trois semaines après sa mort)] et "dans le processus de réincarnation"). Nous n'avons qu'un apperçu du Travail sur le rôle. (Réédition du Travail de l'acteur sur lui-même, en 1954.)

1908 : Dans son discours pour le dixième anniversaire du Théâtre d'Art, Stanislavski déclare que les moyens mis en oeuvre pour jouer les personnages de Tchekhov ne pouvaient être utilisés dans des pièces d'auteurs tels que Hamsun ou Shakespeare. Il admet que la troupe n'avait pas su éprouver avec simplicité et sincérité les émotions et les idées élevées de Shakespeare. Résultat : le côté visuel de la mise en scène avait prévalu sur les sentiments. Stanislavski faisait allusion à la mise en scène de Jules César en 1903.

Ce qu'on a appelé le "système" n'a cessé d'évoluer de 1909 à 1938. "Je commence tout juste à pouvoir l'appréhender", dira Stanislavski peu avant sa mort. [Vassili Toporkov, Stanislavski at rehearsal, trad. Chistine Edwards, New York, Theatre Arts Book, 1979, 2001, p.95.] C'est une méthode qui "n'a été ni combinée ni inventée par personne [...] ; elle est fondée sur les lois de la nature" et doit être inculque d'une manière non pas théorique mais pratique. Ce n'est pas un livre de recettes, "c'est tout un style de vie dans lequel il vous faut croître et vous éduquer pendant des années". [Constantin Stanislavski, La Construction du personnage, 1929-1930, traduction Charles Antonetti, Paris, olivier Perrin, 1966, pp. 299-302.]

Il teste son Système, la première fois, dans la pièce d'Andreïev et envisage de le mettre en pratique pleinement dans Hamlet. Précisions : les acteurs du Théâtre d'Art pouvaient interpréter les personnages de Tchekhov sans le Système. Celui-ci s'est formé au moment où s'est tourné vers le drame symboliste et les tragédies poétiques. Il fut créé pour que le théâtre atteigne le même degré de vérité avec Shakespeare et Hamsun qu'avec Tchekhov et Gorki.

L'annonce que Craig allait monter Hamlet est reçue avec un mélange de scepticisme et de crainte : ses idées semblent trop incompatibles avec le Système sur lequel Stanislavski travaille. Pour le Russe, le théâtre d'Art avait montré des signes de stagnation et d'autosatisfaction et quil fallait, pour qu'il vive normalement, lui injecter du sang neuf de temps en temps. Craig serait ainsi le stimulant qu'il nécessitait. Les rapports entre Stanislavski et Craig sont semblables à ceux que le Russe entretient avec Nemirovitch-Dantchenko. Et ce processus de convergence, d'intersection et de divergence, comme l'a schématisé Nemirovitch-Dantchenko caractérise aussi bien le rapport entre Stanislavski et Meyerhold.

Hamlet a été conçu en 1908 et la première a été repoussée jusqu'au 23 décembre 1911.
La mise en scène ne fut jamais considéré comme un chef-d'oeuvre du Théâtre d'Art de Moscou, mais l'expérience cristallisa les épreuves et les tribulations artistiques de l'une des périodes les plus expérimentales de l'histoire du théâtre russe et européen.
En témoigne Valéri Brioussov :
La mise en scène de Hamlet au Théâtre d'Art de Moscou ne fut pas simplement un nouveau spectacle parmi d'autres : elle créa, dans la vie artistique européenne, un véritale événement que théoriciens et historiens de théâtre vont essayer de définir durant plusieurs années. De nouvelles techniques théâtrales, de nouveaux procédés de représentation y ont été testés. Avec cette mise en scène, le Théâtre d'Art a prouvé une nouvelle fois son étonnante vitalité, sa perpétuelle disponibilité, son insatisfaction devant les résultats obtenus et sa volonté d'aller toujours plus loin, en quête de nouvelles voies.

Stanislavski a combattu la routine (plus de cliché conventionnels), le cabotinage (plus de vedettes, plus d'effets faciles), le mensonge théâtral (plus de fausse émotion, plus de décors truqués). Pour empêcher la pétrification spirituelle du rôle, il prônait une préparation spirituelle "avant chaque création, et chaque fois qu'on répète le rôle."
« Dans la vie courante, la vérité est ce qui existe réellement, ce qu’on connaît. Tandis que sur scène, elle est faite de choses qui n’existent pas réellement, mais qui pourraient arriver. »
[…] trouver la vérité intérieure. Dans Les Bas-fonds, Stanislavski étoffe des personnages mal définis par Gorki et qui n’ont à dire qu’une phrase, ou même rien ; il leur donne une biographie, un passé, il leur infuse une vie organique. Le personnage ne commence pas à exister au moment où il entre en scène ou lorsqu’il a une réplique à dire, il existe avant et après, il a une continuité. Avant de le projeter, l’acteur doit en avoir élaboré la conception globale et mis au point un « mécanisme » (ou processus) conscient pour l’exprimer en public. Conception et mécanisme font partie de ce qu’on appelle le système. [Odette Aslan, L’Acteur au XXème siècle. Ethique et technique, Vic la Gardiole, L’Entretemps éditions, coll. « Les Voies de l’acteur », Patrick Pezin (dir.), 2005, p.85.]

Un théâtre-studio
En 1905, Stanislavski est confronté à la nouveauté artistique des arts plastiques, de la littérature symboliste de Maeterlinck, Knut Hamsun, Hauptmann, aux recherches musicales. Il veut trouver les équivalents de ces recherches pour le théâtre et confie à Meyerhold le soin d’expérimenter un travail théâtral en dehors des impératifs du théâtre traditionnel. Meyerhold propose d’appeler cette nouvelle forme de pratique théâtrale studija, autrement dit atelier, comme pour les peintres et les sculpteurs. C’est ainsi qu’apparaît pour quelques moi le premier Théâtre-Studio à Moscou, rue Povarskaïa. La Révolution de 1905 met fin à l’expérience. Meyerhold part à Saint-Pétersbourg où il créera plusieurs studios de recherche sur l’art de l’acteur. Stanislavski ne renonce pas à cette idéé, mais il décide de la recentrer sur l’art de l’acteur. C’est ainsi qu’il fonde en 1913, le premier Studio du Théâtre d’Art de Moscou dont il confie la direction à son ami Léopold Soulerjitski, personnalité atypique, assistant de Stanislavski et de Gordon Craig, touche-à-tout original, anime les débuts du premier Studio. Le but est d’expérimenter et de mettre en oeuvre le Système de Stanislavski. Il s’agit de pédagogie, mais aussi d’expérimentation, de création. Les participants du premier studio sont comédiens, mais aussi metteurs en scène. Ils jouent et mettent en scène des études, puis des spectacles entiers. Il y a parmi ses membres des personnalités de premier plan comme E. Vakhtangov et M. Tchekhov, metteurs en scène et acteurs, ils renouvelleront la scène russe et internationale dans les années vingt. L’histoire du Théâtre d’Art, mais aussi toute la carrière de Meyerhold, Vakhtangov, M. Tchekhov est jalonnée par la création de multiples studios à visées diverses : pédagogie, expérimentation pour sortir des sentiers battus et des contraintes de temps et d’argent du théâtre traditionnel. Les studios expérimentent artistiquement et sont aussi des laboratoires de vie artistique collective où éthique et esthétique se rejoignent.
Certaines expériences sont éphémères, d’autres plus durables, s’étalant sur plusieurs années. Souvent, les studios se divisent, créent d’autres studios par ramifications. Dans de nombreux cas, ils donnent naissance à des théâtres qui existent encore en Russie. Les principaux théâtres de Moscou sont issus de telles expériences de recherche. Le modèle du studio est exporté en dehors de la Russie après la Révolution de 1917 en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis (avec le célèbre Actor’s Studio). En Russie même, les studios fleurissent dans les années vingt et trente et émergent de nouveau après le dégel dans les années cinquante et soixante et durant la Perestroïka. C’est dans ce dernier contexte qu’Anatoli Vassiliev expérimente cette forme nouvelle à partir de 1987. A partir de son expérience pédagogique, il crée un théâtre de recherche, de metteurs en scène. Dans le reste de l’Europe, J. Grotowski avec son célèbre théâtre-laboratoire de Wroclaw est un exemple de ce type de pratique.
Si ce modèle du Studio n’est pas étranger à l’histoire du théâtre français, notamment avec Copeau et le Cartel, l’association Spectacle-Laboratoire souhaite fonder aujourd’hui une expérience théâtre de ce type. Un théâtre de recherche original puisqu’il s’agit d’un collectif de metteurs en scène issu d’une expérience de quatre années de travail commun dans l’atelier d’A. Vassiliev au Département Mise en scène de l’Ensatt à Lyon.

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