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Maurice Maeterlinck

(1862-1949)

Belgique

 

Très lu dès qu'il publie pièces, poèmes, essais, Maeterlinck fait certainement figure de maître ; ses oeuvres complètes commencent à paraître en russe en 1903.

Il est joué par les plus grands metteurs en scène russes de l'époque, Stanislavski et Meyerhold. Le Théâtre Artistique de Moscou applique à L'Intruse, à Intérieur et aux Aveugles (1904) les méthodes qui lui avaient réussi avec Tchekhov et court à l'échec. En 1908, le succès de L'Oiseau bleu est éclatant parce que le spectacle est fondé sur la stylisation, sous l'influence de Soulerjitski et de Meyerhold, lors de sa participation au Studio de la rue Povarskaïa. Ce dernier puise dans l'oeuvre du poète belge la justification et les procédés de la convention, à partir de 1905. Son fameux article "Histoire et technique du théâtre" est largement redevable aux recherches effectuées pour mettre en scène Maeterlinck.

Les écrivains quant à eux, ont parfois nuancé leur admiration réelle. Chacun y a retrouvé l'un des siens tout en affirmant sa différence, tant il est vrai que les symbolistes russes se sont toujours sentis indépendants. Hormis Balmont, aucun d'entre eux ne lui a consacré une étude globale. Les jugements surviennent au coup par coup, à la faveur de la publication ou de la mise en scène d'une pièce. leurs études synthétiques et comparatistes sont en fait des critiques parues dans Le Monde de l'art. C'est dire que du côté de la littérature, Maeterlinck a surtout marqué le début du symbolisme.
Dans ses rubriques théâtrales, Brioussov fait porter son analyse davantage sur la mise en scène que sur le texte, et en ce sens il pose la question de la représentation scénique du drame symboliste. Bien que Monna Vanna soit le drame le plus faible de Maeterlinck, on y voit des hommes d'aujourd'hui qui sentent et parlent comme on ne pouvait le faire avant Nietzsche ou Ruskin. Pour monter Maeterlinck, il est impossible de s'appuyer sur un rôle ; il faut créer une atmosphère particulière, un univers sans lequel l'action ne pourrait eister. Joyselle constitue une déchéance : la langue est pleine de la rhétorique terne et des banalités du théâtre français en général ; les dialogues amoureux traînent sur le boulevard ; les fins d'actes sont bâclées. Enfin, si Maeterlinck continue, il égalera Rostand !

Viatcheslav Ivanov entend un écho de l'horreur gogolienne dans la peinture des petis bourgeois du Miracle de saint Antoine et dans l'affirmation qu'il n'y a pas de résurrection pour les âmes mortes. l'audace du dessein de Maeterlinck est telle qu'il crée un nouveau genre littéraire ; pour trouver un humour religieux analogue, il faut remonter aux drames satyriques antiques ou bien à certains thèmes d'Aristophane. [Claudine Amiard-Chevrel, Les Symbolistes russes et le théâtre, Théâtre années vingt, L'Age d'Homme, 1994, p110-111]

Balmont et Maeterlinck
Balmont a traduit les pièces en un acte que monte Stanislavski en 1904 à cette occasion il a rencontré Maeterlinck en France. Dans l'analyse de son oeuvre publiée l'année suivante, il rappelle que, chez Maeterlinck, l'homme naît, vit et meurt seul ; l'amour est un leurre. Un sentiment de solitude intérieure et de mort est devenu une sorte de constante de la création théâtrale chez
Ibsen, Hauptmann, Maeterlinck. Ce dernier en particulier l'a cristallisé dans des formes superbes. Il a su créer un théâtre d'âmes, harmonieux, limpide, avec des états d'âme et des personnages dont l'abstraction puissante élimine systématiquement les traits réalistes et nationaux. Il parle ainsi pour lui-même et pour tous les hommes. Son art s'apparente à une construction mathématique par symboles et chiffres absolus. Il fonde son oeuvre sur une contradiction douloureuse et essentielle : l'incapacité du Moi humain de se sentir partie d'un Tout universel et de considérer la vie terrestre comme un simple maillon vers l'infini. Le Moi humain est conscient d'un chaos de discordances, de déchirements, d'incompréhensions, d'isolement, de mots répétés jusqu'au cauchemar sans que rien n'y soit communiqué, sans qu'ils percent les ténèbres. Telle est la conclusion que tire Balmont de la lecture des Aveugles. Les hommes sont trop occupés d'eux-mêmes, lourds et grossiers, pour voir la beauté en eux ; ils la musèlent chez les autres ; ils s'attachent aux choses superficielles au lieu d'élargir leur conscience et de pénétrer les âmes d'autrui, seule voie pour échapper au royaume de la Mort et de la Solitude. [Claudine Amiard-Chevrel, Les Symbolistes russes et le théâtre, Théâtre années vingt, L'Age d'Homme, 1994, p.111]

Blok et Maeterlinck
Tout autre est le regard de Block : Maeterlinck est devenu - ce sont ses termes - un véritable "classique" pour les Russes, qu'il oppose à ds étrangers insupportables (comme Wedekind) et au courant réaliste russe. En 1907, Blok prépare des traductions de Maeterlinck ; les mises en scène de Soeur Béatrice et de Pelléas et Mélisande par Meyerhold l'ont profondément irrité mais les pièces demeurent. Pelléas et Mélisande est de ces textes qui soufflent au visage la brise fraîche du lyrisme, un "gothique aérien dans la pureté du matin". Ce n'est pas une tragédie, parce que ceux qui agissent sont des âmes, presque des soupirs, non des hommes ; mais la rigueur et l'élégance rapprochent l'oeuvre du tragique. Maeterlinck a transformé le drame, qui est en crise comme toute la culture occidentale : "Il [lui] a dérobé le héros, il a changé la voix humaine en chuchotement enroué, il a transformé les hommes en marionnettes privées de libre mouvement, de volonté, de lumière et d'air"; en contrepartie, il a ouvert une porte silencieuse par laquelle "on entend tomber la goutte pure et cristalline de l'art". Maeterlinck pourtant porte déjà le sceau u déclin de la littérature, de pair avec Hauptmann et d'Annunzio, car, malgré ses grands mérites, il ne renvoie pas l'écho de la vie, de ses contradictions et de ses luttes ardentes. Ne demeure chez lui que la délicatesse lyrique de drames diaphanes.
[Claudine Amiard-Chevrel, Les Symbolistes russes et le théâtre, Théâtre années vingt, L'Age d'Homme, 1994, p.112]

Crommelynck
Un autre écrivain belge, F. Crommelynck, fut rapproché de Maeterlinck, parce qu'il pousse plus loin la symbolisation et touche à un grostesque qui fait écho à la peinture de James Ensor. En 1909, Balmont, présente Le Sculpteur de masque de Crommelynck qu'il vient de traduire comme une perle rare ignorée à Paris : pour la première fois un auteur a créé ce Théâtre des âmes qu'avait seulement rêvé Maeterlinck, trop proche qu'il était de la matérialité pesante du monde, avec ses symboles simplistes. Crommelynck compose une symphonie complexe, ses personnages tournoient dans une lugubre danse d'Amour et de Mort. L'expression des sentiments frappe par sa concision et son effet dramatique. Le jeu sur les murs des masques d'un carnaval terrible fait entrer dans le rêve sinistre d'une visionnaire, d'une agonisante, dont la vie et les sentiments furent foulés aux pieds. L'écriture se distingue par la "passion convulsive" des paroles, par la "musicalité hypnotique des états d'âme".

 

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