Alexandre Ivanovitch Vvedenski

(1904-1941)

 

né à St Petersbourg

Russie

Peu après son arrestation par le pouvoir soviétique, Alexandre Vvedenski est un immense poète. Dans ses premiers poèmes, qui datent de ses années de lycée, il subit l’influence de Alexandre Blok. Il s’intéresse ensuite, au début des années vingt, au Futurisme, puis se rapproche, vers 1925-26, de la vieille génération des avant-gardistes de gauche (Malevitch, Tatline, Matiouchine, Filonov et le poète Toufanov). En 1927, il participe à la création du groupe littéraire Oberiou (Union de l’Art réel) qui organise, jusqu’en 1930, toute une série de manifestations au caractère provocateur. Taxés par la presse et le régime de « brigands littéraires », Vvedenski et ses camarades sont condamnés par L’Union des Écrivains en 1931 pour leur « éloignement de la construction du socialisme ». Arrêté quelques semaines plus tard, Vvedenski est privé, en sortant de prison, du droit de résider à Leningrad. Il passe quelques années dans des villes de province et y revient jusqu’en 1936. C’est là qu’il écrit des poèmes magnifiques comme L’Hôte à cheval, la pièce de théâtre Kouprianov et Natacha, et Invitation à me penser. En 1936, il se sépare de sa seconde femme, se remarie et s’installe à Kharkov. En pleine solitude, il gagne modestement sa vie en écrivant des contes pour enfants et il rédige, surtout la nuit, ses dernières œuvres : Le Suaire, Elégie, Où quand. Considéré par le régime comme personne « douteuse » il est à nouveau arrêté le 27 septembre 41. Il meurt peu de temps après, aux dires de certains témoins, exécuté par ses convoyeurs dans une petite gare de campagne.

« Vvedenski – remarque Boris Lejeune dans sa préface – est peut-être le poète russe du XXe siècle qui a le mieux senti le dédoublement de la conscience de l’homme. Peu ont exprimé, avec une telle force, l’impuissance de l’intelligence humaine à comprendre le problème du temps, la raison de l’émiettement de la personnalité de l’homme moderne. » Dans le Cahier gris, il écrit : « Malheur à nous qui pensons au temps. Mais ensuite avec la croissance de cette incompréhension, il deviendra clair pour toi et pour moi qu’il n’y a ni malheur, ni nous, ni pensons, ni temps. » Ailleurs, il poursuit : « J’ai porté atteinte aux notions, aux généralisations principales, ce que personne avant moi n’avait fait... Ainsi j’ai mené, en quelque sorte, une critique poétique de la raison. » Aucune influence occidentale n’est décelable chez Vvedenski. Son œuvre est hantée par la thématique russe gnosséologique, à la frontière entre philosophie, théologie, littérature et poésie. Ses sources sont Dostoïevski, Gogol, Blok et, bien sûr, Pouchkine.

En témoigne cet admirable poème :
je vois la nuit rebrousser chemin
hommes je vois balayés
mers monnaies et tombes
beuglement du cygne et force
je vois tout et je dis
et je ne dis rien
j’ai tout appris. Je comprends
je sors ma pensée du corps
je pose sur la table ce serpent.

retour