FEVRIER 2009

« Le théâtre est beau car il est secret »
Howard Barker

« La liberté, c'est un secret »
Carla Bruni

Les Bonnes de Genet, mis en scène par Michel Mathieu à Toulouse

Festival Standard Idéal à la MC 93 - Bobigny

Théâtre-danse
Tango

 

Le théâtre et la crise (2)

« Quand j'étais jeune, je croyais que, dans la vie, l'argent était le plus important.
Maintenant que je suis vieux, je le sais ! »
Oscar Wilde

La divinité monétaire est dans une incapacité anthropomorphique ; ce sont seulement ses manifestations que l’on perçoit en autant de formes que les limites de l’esprit humain le permettent. La divinité est cruelle, et chacune - quelles qu’elles soient - couve une violence intrinsèque. "Mais pour qui sont ses serpents qui sifflent sur vos têtes ? "(1) La crise stigmatise une symbolique anthropophagique et c’est peut-être le rôle du théâtre que d’amadouer les monstres, de les apprivoiser, d’atténuer leur puissance (aveugle ?). Ces monstres - « ombres épaisses » - gueules dévorantes ou dévorées, avides et féroces font ressurgir les spectres d’une opacité qu’on croyait dévolue aux placards des mémoires, dans un âge d’or révolu et protégé. "La violence est la sage-femme de toute vieille société grosse d’une nouvelle."(2) La crise a faim et se nourrit de ceux qui la nourrissent. "Caressez un cercle, il deviendra vicieux", remarquait Ionesco. Est-ce une crise d'avenir ? L'inconnu a toujours inspiré la crainte. Entre cynisme et angélisme.
Vous souvenez vous d'un certain banquet donné en l'honneur de la réconciliation de deux frères, dont l'un avait commis l'adultère avec la femme de l'autre ? Atrée - qui signifie "sans crainte" - initiateur de la lignée des Atrides (père, entre autres, de Ménélas et d'Agamemnon, qui, selon certaines sources, mourra dans son bain ; auparavant c'est lui qui conduira la guerre de Troie et éveillera la colère d'Achille, ce qui constituera le sujet de L'Iliade d'Homère) tua les fils de Thyeste et les fit manger à ce dernier. La malédiction sur la maison des Atrides remonte à Pélops (père d'Atrée et de Thyeste, grand-père d'Agamemnon, donc) qui n'avait pas voulu payer sa dette. Mythologie qui n'est pas sans rappeler Abel et Caïn, Polynice et Etéocle (les frères d'Antigone), Rémus et Romulus, Claudius et Hamlet-père, etc. ; comme si toutes les Bibles avaient voulu témoigner des luttes fratricides. Entre continuum et fragmentation ontologique.
Aujourd'hui, Orient et Occident, esprits binaires et manipulateurs manichéens s'en donnent à cœur joie pour évoquer les conséquences d'une parole bafouée, d'une justification des crédits en berne, de la nouvelle malédiction planétaire. Le théâtre de la pensée devient celui d'un cannibalisme mental. Et le simple théâtre se retranche dans les limites d'un divertissement qui a souvent fait - par le passé - l'apanage des époques en proie à la déliquescence des certitudes. Mieux vaut en rire qu'en pleurer, (mieux vaut frire que griller) semble être la nouvelle catéchèse culturelle et sociale, assurant un déni de justice face auquel les nouveaux catéchumènes seront baptisés à l'extrême jonction des particules précaires, légitimement auto-flagellés et glorifiés parangons de l'obscène.
Paradoxe de la scène, puisque lieu d'exposition, espace de présentation, tout ce qui se produit sur scène est susceptible d'être juger obscène, dans le sens de souillure, d'atteinte à la pudeur, d'abjuration de l'intime. Sans doute le théâtre a-t-il aujourd'hui - dans un monde hyper-médiatique et qui s'hyper-médiatise, se donnant à lui-même force représentations - valeur d'exil en interrogeant l'intimité au rang d'une éthique (morale ou contestataire). "C’est seulement dans ces périodes violentes que l’histoire montre son vrai visage et dissipe le brouillard d’un bavardage hypocrite qui n’est que de l’idéologie."(3) Hypocrisie : le mot est lâché, du grec "hupo" qui signifie "au-dessous, en deçà", donnant "sous-crise". (On vous l'avait bien dit que ce n'était pas vrai !). Tandis qu'il s'agit du "jeu de l'acteur", et les acteurs sont partout aujourd'hui, ils se confondent tous (co- et con-fondent). Ils jouent "sous" le masque des apparences, ils feignent la sincérité. Le personnage emblématique de l'acteur n'est-il pas Hamlet, dont on peut s'interroger sur sa folie véritable. Stratagème et/ou simulacre.
Est-ce de l'ordre d'une coïncidence hasardeuse que Thomas Ostermeier, Matthias Langhoff, qu'Odile Darbelley et Michel Jacquelin (voir le mois prochain leur Ur Asamlet au Théâtre Garonne) montent une des plus célèbres, sinon La pièce de référence, du répertoire du théâtre occidental (pièce affectionnée par Tchekhov) ou bien, ces metteurs en scène répondent-ils, chacun à leur façon, aux humeurs de notre temps (d'hypo-crise) ?
"Hamlet : [...] nous engraissons toutes les autres créatures pour nous engraisser, et nous nous engraissons nous-mêmes pour les asticots. Roi gras et mendiant maigre ne font que varier le menu : deux plats pour une seule table. [...] Un homme peut pêcher avec le ver qui a mangé un roi, et manger le poisson qui s'est nourri de ce ver.
Le Roi : Que veux-tu dire par là ?
Hamlet : Rien que vous montrez comment un roi peut se déplacer à travers les tripes d'un gueux." (Acte IV, scène 3)
Quand l'exhibition politique s’acoquine d’une théâtralité irrévérencieuse, l’imagination digère la mémoire, l’acteur mastique son texte, le spectateur savoure la vision de la scène : participation générale au théâtre anthropophage. Cette crise aura-t-elle comme champ d’action - ou sera-t-elle synonyme de - "vengeance" (moteur explicite d'un grand nombre d'histoires et de pièces de théâtre) (- Mais contre qui ? Au profit de qui ? -) - résilience - ou bien "suicide" ? "Si je me tue, ce ne sera pas pour me détruire, mais pour me reconstituer, le suicide ne sera pour moi qu'un moyen de me reconquérir violemment, de faire brutalement irruption dans mon être, de devancer l'avance incertaine de Dieu. [...] Je me délivre de ce conditionnement de mes organes si mal ajustés avec mon moi, et la vie n'est plus pour moi un hasard absurde où je pense ce que l'on me donne à penser. Je choisis alors ma pensée et la direction de mes forces, de mes tendances, de ma réalité." écrivait déjà Antonin Artaud ("Sur le suicide" in l'Ombilic des Limbes). Revanche, en tout état de cause (quelqu'en soit la manière) qui reflète un malaise (dans la civilisation), le suicide constitue une espèce d'auto-dévoration.
Quoi qu'il en soit, cela deviendra onéreux de se payer la tête de qui bon nous semble. Entre hypocrisie et cannibalisme, force sera de constater la supériorité du second sur la première et ne laissera guère de choix quant aux comportements et aux rapports sociaux qu’ils engendreront. Marat (assassiné par une femme dans son bain, à l'instar d'Agamemnon) : "Je compris tout à coup qu’il y avait deux univers l’univers visible et l’univers invisible, que la terre avait comme l’homme un corps et une âme." Et retour au grec... "Tout corps plongé dans un liquide...", tout remord sans subside... tout record invalide... Faut-il craindre de ne devenir que les fantômes de nous-mêmes, c'est-à-dire à la fois image et personnage, ou ne sommes-nous pas déjà en passe d'incarner les ombres de nos chairs ? Prenez une douche !

Michaël Therrat
Le théâtre et la crise (1)

(1) Jean Racine, Andromaque, V, 3 ; (2) Marx, cité par Hannah Arendt, « La tradition et l’âge moderne », in La Crise de la culture (Between past and future, 1954), Paris, Gallimard, 1972, p.33 ; (3) Ibid., p.34.

Ici au bord de la folie paranoïaque, aux prises avec ses visions, ses angoisses et son incapacité à décider, à choisir, à assumer son statut d’homme et son statut de prince héritier, Hamlet joue, se cache, veut manipuler son entourage, dissimulant sous une folie librement choisie un plan meurtrier censé le sauver, le libérer du “marécage putride” qui l’entoure. Pris au piège de la cour, pris au piège du monde politique, devenant alors véritablement fou, il retourne contre lui-même les armes qui devaient servir à sa libération.

HAMLET

mise en scène Thomas Ostermeier

Théâtre des Gémeaux de Sceaux, scène nationale

Ce mois-ci Fi Théâtre est partenaire de l'Association Cuerpo
pour des stages de danse contemporaine à l'intention des tout-petits, des enfants et des grands.

"L'aventure peut être tout simplement au bout de son orteil " J. Choque

 

LE CORPS FURIEUX

au Théâtre Garonne à Toulouse

 

« Il n’y a pas pour moi d’opposition entre une recherche des publics et une exigence de création. C’est la recherche des publics qui nous donne la liberté de créer des formes nouvelles sans le faire devant des salles vides.
Je déteste autant un théâtre coupé des spectateurs par goût dévoyé de « modernité » qu’un théâtre académique ou commercial. J’aime inventer sans cesse sur mes plateaux, et, autant que sur mes plateaux, inventer pour renouveler les publics, les diversifier, les fidéliser. J’aime dépasser le cadre des publics attendus, je n’aime pas les spectacles attendus, je n’aime pas les spectateurs attendus. »
Jean-Michel Rabeux

Jean-Michel Rabeux place le corps au centre de la scène, du jeu, et du théâtre. Huit hommes et femmes de tous âges, perdus corps et âmes, jouent le drame de la vie dans les silences, les emportements, les tensions. Philosophe de formation, metteur en scène et auteur, Rabeux a à son actif des mises en scène d’auteurs éclectiques – Copi, Marivaux, ou Genet – et des spectacles sans texte et poétiques. Le théâtre transgresse, par le rire et l’effroi, l’inquiétude d’exister.

Notre corps est furieux
Il est furieux d’être là, sur la terre, furieux de ne pas y être pour toujours, furieux de vivre autant que furieux de mourir. Il est furieux quand il donne la vie, furieux quand il l’ôte, furieux quand il conçoit, autant que quand il assassine. La preuve : quand il accouche il hurle, comme quand il tue, comme quand il jouit.
 La fureur de notre corps se retourne contre lui-même très, très souvent. Elle le martyrise, elle l’attaque à la tête, au ventre, à tous ses membres, aux nerfs, aux trachées artères, aux os, au souffle, aux muscles. Alors il court, notre corps haletant, poursuivi, poursuivant, proie prédatrice de lui-même. Toutes les nuits, il est poursuivi par ses proies du jour, tout le jour par celles de la nuit. Il a faim de ses terreurs.
 Il est furieux quand il est misérable, il est furieux quand il est puissant, il se révolte sans cesse contre nous, il nous révolte sans cesse, on ne pense qu’à s’en débarrasser, on ne peut s’en passer. Nous nions l’organique sous prétexte d’obscénité. Mais il est bien là, l’organe. Indéniable. Cette contradiction nous rend furieux contre nos corps. Comment s’étonner de nos cruautés ? Comment s’étonner de notre infini besoin de douceur ?

Notre corps est lamentable
Le corps est furieux parce qu’il est devant la mort, il est cruel parce qu’il la refuse. Il se punit de sa précarité. Ce que j’aime des hommes, moi, c’est qu’ils sont périssables et non pas éternels. Rappeler notre lamentable faiblesse devant la mort en montrant des corps vulnérables, brisés, merveilleux de jeunesse, merveilleux d’usure du temps, ridicules, crâneurs, Inadmissibles, inévitables, voilà le projet secret.
Nous allons tous mourir, mais il me semble que cette conscience fait notre grandeur. « Nous sommes nés entre la pisse et la merde » nous dit Saint Augustin avec le mépris qui sied. Je le prends au mot, nous sommes nés là, du corps, nous mourrons par là, c’est ce qui nous rend souffrants, être nés du néant et y retourner inexorablement. Mais savoir en jouer - et qu’est-ce que le théâtre sinon ça ? - est ce qui nous fait grand. C’est notre matière qui fait notre âme. Amen
.

Jean-Michel Rabeux, novembre 2008

Peinture
Danse

Pieter Cornelius Mondriaan, appelé Piet Mondrian, est né en 1872 à Amersfoort aux Pays Bas. Il est reconnu comme un des pionniers de l'abstraction. Il a créé environ 250 oeuvres en utilisant un langage graphique abstrait. Il travailla à la fin de sa vie essentiellement avec des formes rectangulaires et des couleurs primaires : le rouge, le jaune et le bleu qu'il associa à un fond blanc et à des bords noirs.
Les compositions géométriques de
Piet Mondrian se prêtent facilement pour une création automatique par ordinateur :
voir site.

Détente sociale


 

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