JUIN 2009
« Le théâtre imagine pour le spectateur, et lui fait vivre les produits de cette imagination. »
Ödön von Horváth
mercredi 3 juin : présentation publique de l'atelier adulte de Fi Théâtre à Revel |
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adultes 20h30 27, av R. Ricalens |
Deux époques dans le travail des adultes : de septembre 2008 à janvier 2009, jeux et découvertes, et de février à mai 2009, approche d'un texte. Etant donné l'implication de chacun, l'exigence a été poussée à un point quasi professionnelle. Qualité de la concentration et plaisir dans l'investissement seront sûrement au rendez-vous de cette unique représentation à valeur de surprise. avec Claudine Berge, Ophélie Carini, Nadine Darnaudery, Valérie Depret, Nadine Gregory, Bernard Huau, Sandrine Pochon, Elisabeth Pujol & Marcel Ribeirinha. direction Michaël Therrat |
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SORTIES TOULOUSE : vendredi 5 & jeudi 18 juin 2009 |
Le vendredi 5 juin & le jeudi 18 juin si vous êtes intéressés par ces sorties, vous pouvez nous contacter afin de bénéficier du tarif de groupe |
LES ANTIGONES Antigone : celle qui brave les Dieux et affronte la mort ? Ou l’autre, qui se refuse à toute compromission au nom de la vie ? Cocteau et Anouilh livrent deux versions du mythe. L’une courte, dense, sur le modèle héroïque de la tragédie antique ; l’autre plus humaine, teintée d’un existentialisme désespéré. Dans ce spectacle créé en 2001 à Garonne (le premier de la compagnie créé en France), tg STAN enchaîne les deux visions dans cette adaptation où « les conventions de la tragédie et de la presse du coeur s’additionnent au bénéfice des émotions. Mais c’est la grâce des interprètes qui y pourvoit, leur vitalité insouciante, prête à forcer les passages. » (J.-L. Perrier, Le Monde) Résolument tournée vers l'acteur, refusant tout dogmatisme, voilà les mots clés qui caractérisent la compagnie Tg STAN. Le refus du dogmatisme est évoqué par son nom – S(top) T(hinking) A(bout) N(ames) – mais aussi par le répertoire hybride, dans lequel Cocteau et Anouilh côtoient Tchekhov, Bernhard suit Ibsen et les comédies de Wilde ou Shaw voisinent avec des essais de Diderot. Mais cet éclectisme, loin d'exprimer la volonté de contenter tout le monde, est le fruit d'une stratégie de programmation consciente et pertinente. |
LA ESTUPIDEZ Quatrième pièce de l’Heptalogie de Hieronymus Bosch, située exactement dans son centre, elle représente, je crois, son point le plus haut. La Estupidez ne connaît pas de mesure. Sa durée inhabituelle (plus de trois heures dans la version argentine à toute vitesse), sa référence au cinéma, sa trompeuse apparence de vaudeville, son odeur de pop art, son extension infinie quel que soit le champ théorique où l’on veuille l’inclure font de cette oeuvre la plus démesurée de mes écrits. Dans une époque où tout s’appauvrit, et dans un pays où tout rétrécit, La Estupidez est l’explosion insensée mais articulée d’un moteur en pleine ébullition, et – dans son harmonieux déséquilibre – elle est insaisissable, grossière, baroque, et cherche à abattre tout préjugé que mes acteurs ou moi-même aurions pu avoir concernant les limites de ce qui est jouable au théâtre. Format de road-movie, mais inconfortablement théâtral, et statiquement circulaire : un voyage sans kilomètres dans lequel cinq acteurs sont hyper-exploités par une seule structure narrative. […] |
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Le théâtre et la crise (3)
L’argent ne fait pas le bonheur de ceux qui n'en ont pas.
Boris Vian
Il me semble aujourd’hui comme une évidence de souligner que la crise dont on nous rabâche à longueur de journée qu’elle touche le monde entier, est une crise du sacrifice. C’est en cela que la crise dégage des fragrances tragiques et qu’elle est propre à la dramatisation. Politique et spectacle se donnent la main, comme l’art et le social, la culture et le commerce... Les définitions sont mises à mal, nous sommes en pleine crise d’identité. Nous ? Quels "nous" parle à travers "moi" ? Ce que disent les médias les mieux intentionnés, de nous, pour nous, mais qui sommes nous ? Qui est ce fameux "nous" ? Personne ne le demande. Fallacieuse 3ème personne du pluriel. Vous me direz, c’est mieux que « on » ! (dont on dit par ailleurs qu’il s’agit de "nous" sans "je" ! Eh bien, alors, c’est "vous" ?)
Or, qu’est-ce qu’un sacrifice si ce n’est une offrande à une divinité ou à un quelconque ordre supérieur – qui doit bien en valoir la peine – puisque nous lui sacrifions notre corps, notre âme (1), en un mot, notre vie ? De « nous » ou de « je », de « vous » ou de « on », la crise lamine les catégories, c’est sa fonction, son rôle, sa raison d’être. « Le soleil ne se lèvera pas demain » disait le philosophe David Hume, parce que rien ne le certifiait ; comme aujourd’hui, cette crise nous rappelle que l’évidence des choses est toute relative, qu’il faut de nouveau faire la cour à l’empirisme ; à moins que, justement, cette crise soit au contraire l’impérieuse nécessité d'accepter l’empirisme, le pragmatisme, le réalisme, faisant fi du sensualisme, de l’idéalisme et de l’utopisme ; la crise nous invite à un monde numérisé, comptabilisé, ordonné, synonyme d’efficacité. Efficace pour la divinité plus-value jamais rassasiée, efficace pour l’ordre des financiers sans arrière pensée, libérés de tout état d’âme, efficace pour les serviteurs des chiffres !
Les sacrificateurs n’ont pas de nom : leur force est leur anonymat. Agamemnon avait dû sacrifier Iphigénie pour se procurer les faveurs de la déesse afin de lui donner la victoire lors de la Guerre de Troie (cf. L'Iliade d'Homère). Les sacrifiés d’aujourd’hui ne peuvent même plus revendiquer leur existence. Ils ont été condamnés bien en amont de leur prise de conscience. Le théâtre peut-il dénoncer cela ? Est-ce son rôle ? La Demande d’emploi de Michel Vinaver contribue au témoignage de l’exploitation des êtres humains entre eux ; et si Antigone se moquait de l’enterrement de son frère hors des frontières de la cité ? Et si elle s’en foutait finalement ? Si les héroïnes d’Ibsen acceptaient leur sort, comme par exemple, Nora, dans la Maison de poupée : nous n’aurions pas de crise. Qui se souvient de l'exclusion des sans-papiers de l'église St Bernard, à Paris, en septembre 1996 ?
La crise est une espèce de refus du sacrifice. Peut-être est-ce là une conquête de la modernité : une autonomisation qui confine à l’érection forcée de l’individu, partant, d’un déni du sacrifice devenu obsolète, voire dérangeant, vulgaire. La crise apparaît comme l’aveu d’une résistance, d’un questionnement de l’ordre des valeurs, de leur hiérarchisation. Le monde est devenu un théâtre : « the world is a stage and all the people are actors », pour citer Shakespeare. Acteurs économiques certes, producteurs et consommateurs, mais n’est-ce pas, à la vérité, encore qu’une illusion, cette crise ? Certains peuples, certaines catégories sociales n’ont guère été influencés par « ce changement en marche », par « ce ripage en crispation », « ce bafouillage des puissants », pour la bonne raison qu’ils n’ont jamais eu accès aux privilèges, au confort de l’indécision, au luxe de la génuflexion à leur égard. La réalité est bien plus cruelle, c’est que les employeurs entraînent dans leur chute, les employés. Les voici les sacrifiés : les ouvriers, les employés, celles et ceux qui ne méritent pas leur place au soleil de la reconnaissance sociale, parce qu’il n’a pas assez de place, parce que les places sont chères ! Et le comble, c'est que le barbare devient celle/celui qui se plaint, qui gueule même, qui montre du doigt pour dénoncer l'incompétence, la misère de courage de celles/ceux qui font de leur existence un engagement politique ! A quand des barbelés autour de la scène, et des théâtres ? La crise aurait-elle réussi le fameux passe-passe de sanctuariser son fantôme, en démystifiant les croyances populaires ? Les fantômes ont toujours fait peur, notamment lorsque l'"on" fait disparaître les sanctuaires, réels ou symboliques.
Notre crainte est l'aveu qui consiste à se rendre compte que si nous en sommes arrivés là, nous avons déjà perdu le combat. Le théâtre aujourd’hui ne dit pas autre chose : la disparition des héros/héroïnes, le traitement de l’espace scénique comme tribune, ou carcan mental, l’hybridation par les apports divers de la danse, de la musique, du chant, des arts martiaux, de nouvelles considérations des rapports entre le plateau et le public, du lien entre les comédiens et les spectateurs (la crise transparaît dans le théâtre à travers ces constatations) donner une définition du théâtre aujourd’hui, doit tenir compte des engendrements de la crise – crise qui n’est autre que celle d’un bousculement des identités. La crise n’est pas une question, elle n’implique aucune réponse. Sans doute est-elle une réponse. Et le théâtre, à l’instar d’autres arts, a l’attribution du déchiffrage ; si vous refusez ce qui vous paraît injuste, alors créer devient un acte de survie ; imaginer, c’est résister, c’est s’opposer, c’est contester : ne lambinez pas ! Le véritable sacrifice est de faire ce qu’on estime le plus libre. Nous sommes au temps des métissages, face à des contingeants de spécialistes qui se sclérosent en masse ; Marx a peut-être raison, "le sens de l'histoire c'est la lutte du prolétariat contre le capital", mais j'ai toujours trouvé la dialectique réductrice et la psychanalyse a été inventé pour nous faire accepter notre angoisse face à l'injustice. Aujourd'hui, début XXIème siècle, nous en sommes réduits au constat, et de l'idéologie communiste - avec son idéal collectif - et de la psychanalyse avec son idéale d'individuation, que la justice est à inventer, ou à réinventer, comme le prévient le dramaturge Edward Bond dans son ouvrage La Trame cachée, et elle le sera constamment du fait même qu'intrinsèquement l'enjeu de "l'humanitude" réside notamment en l'élargissement de notre conscience individuelle pour mieux prendre en compte notre part d'ombre, sans la rejeter. Nous devons cesser d'être empiristes avec la justice ; notre paradoxe consiste en cette superposition de tendances : juger sans condamner, oeuvrer dans la conscience de notre propre sacrifice avec acceptation et sans résignation : la liberté de l'être humain n'est jamais aussi tangible que lorsqu'il pense et agit en toute conscience des générations qui lui succèderont, et non pas en fonction de principes devenus obsolètes. Il ne s'agit pas de rejeter les héritages, nous nous inscrivons tous dans un déroulement, nous sommes toujours "entre", comme au théâtre, entre les coulisses et le public, pour le comédien sur la scène, entre la scène et le hall du théâtre, pour les spectateurs, entre les loges et la scène pour le comédien dans les coulisses, entre les spectateurs et l'auteur pour le texte, entre l'homme et le monde, l'imagination.
Michaël Therrat
Le théâtre et la crise (1)
Le théâtre et la crise (2)
Danse |
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