« L'art n'est pas une jouissance, un plaisir ni un amusement, l'art est une grande chose. C'est un organe vital de l'humanité qui transporte dans le domaine du sentiment les conceptions de la raison. Dans notre temps, la conception religieuse des hommes a pour centre la fraternité universelle et le bonheur dans l'union. La science véritable doit donc nous enseigner les diverses applications de cette conception à notre vie ; et l'art doit transporter cette conception dans le domaine de nos sentiments.» Léon Tolstoï,Qu'est-ce que l'art ?, 1898
Bonnes oreilles, année (dé)bouchée !
Etre(s) de langage(s). Nous sommes, nous, êtres humains, des êtres de langages. Langage, ou langages ? Que signifie cette expression « êtres de langages » ? Faut-il entendre le « de » comme indicateur d’une origine, ou bien, d’une destination ?
Nous serions des êtres de langage au sens où nous serions « de », là, du langage, à l’instar d’un territoire, d’une planète, d’un endroit, d’un lieu : le langage serait notre berceau, notre placenta, notre fibre véritable : le langage serait ce système complexe de liens multiples, visibles et invisibles, sensoriels autant que matériels…
Ou alors serions-nous « destinés » au langage ? Le langage serait-il si vorace qu’il nous possèderait tous ? Qu’il désirerait nous avaler, nous réduire, nous anéantir ? Nous ne serions plus que « des êtres de langages », des êtres en perpétuel mouvement de sens, en quête de signes, en appétit d’indices, en soif d’images… Et cette recherche se confondrait avec la vérité elle-même, et la raison-même de cette recherche tordrait la vérité intrinsèque, indépendante de toute subjectivité…
Il n’y a pas qu’ « un » langage : il y en a plusieurs. C’est ce qui rassure la vérité. Et le sens – du mouvement, de la quête – est celui de la justice. La justice est une forme de la vérité. Et le langage – les langages – se soumet aux jeux de nous-mêmes. Aux « je » de soi-même… Antre vérité… Réelle, imaginaire et symbolique.
Au théâtre, ce sont les silences entre - et dans - les mots, qui priment, autrement nous nous réduisons à jouer un immonde bavardage. La première liberté consiste à écouter.
Soyons donc attentifs aux échos du futur, lointains et pressés, telle la tempête à venir, démunie et pourtant sûre, alerte et fantastique !
La deuxième liberté est la capacité à créer du lien, c'est pourquoi la langue déliée peut rendre fou à lier ! Lions nous autant, au temps relié...
A nous, humains, la réinvention du langage, à nous, l'éternelle gratitude des mots, à nous, l'incroyable diversité du vivant...
A l'amitié entre la joie et l'écrit, entre la vie et la voix...
Roumanie, de nos jours. Une équipe de tournage arrive dans un territoire désolé pour un reportage sur les « phénomènes paranormaux » qui ont traversé l’Histoire du pays. À la surprise de tous, seules de vieilles femmes en deuil hantent ces ruines industrielles. Que s’est-il donc passé avant qu’existe cette usine maintenant détruite ? Il faut remonter en 1953 : alors que tout un village s’active à préparer des noces, tombe l’annonce de la mort de Staline. Une semaine de deuil national interdit toute célébration. Comment sauver la fête et se marier quand même ?
« Tirée d’un fait divers, l’intrigue impose l’ingéniosité populaire comme une forme universelle de résistance à toutes les oppressions. C’est tout le sens du spectacle Que la noce commence. Ces villageois roumains récalcitrants à l’ordre nouveau de la Russie soviétique sont par nature des résistants ; ils le sont de manière insouciante et frondeuse comme des gamins toujours prêts au chahut. Leur humour et leur insolence sont des armes face à la brutalité omniprésente et invisible de l’occupant. Mais pour échapper à l’oppression et en contourner la dure réalité, il leur faut encore faire appel à leur imaginaire en créant une fiction qui leur permette d’être fidèles à eux-mêmes.
Que la noce commence, malgré son dénouement tragique, est une comédie ; les personnages nous séduisent par leur truculence, leur drôlerie, leur force d’invention, nous en sommes solidaires. Avec eux, nous rions de l’absurde tentative de domestiquer les forces de la nature en « éduquant » les cancres de l’Histoire, nous admirons leur imagination, nous pleurons leur prévisible défaite.
Au coeur de la comédie politique se cache en outre un sens profond qui m’incite à faire de ce projet le signe de ma démarche artistique depuis le Théâtre de l’Aquarium jusqu’à celui de La Commune d’Aubervilliers : Que la noce commence est aussi un hommage au théâtre. Comme ces acteurs italiens dont on dit qu’ils ont inventé mime et pantomime pour contourner les contraintes d’une censure de plus en plus rigoureuse et continuer à « parler » quand même sur le tréteau des places publiques, les villageois roumains, réduits au silence par l’oppresseur, réinventent un vocabulaire gestuel pour « parler » leur noce ; résistants et poètes, ils sont le théâtre populaire, tour à tour tonitruant, farceur, silencieux et inventif : vainqueur par imagination, vaincu par la bêtise. Comédiens et gens du peuple sont ces « gens de peu », infiniment petits et fragiles, infiniment grands et forts, de cette force inattendue toujours réinventée et imprévisible que craignent tant les puissants parce qu’elle est le germe de la révolte. » Didier Bezace
Un hommage à d’infatigables inventeurs : l’incontournable romancière Françoise Sagan ; les médiatisés Marguerite Duras, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute ; les moins connus bien que reconnus Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Robert Pinget ; les plus discrets Claude Mauriac et Claude Ollier.
Une photo de groupe. Une femme, sept hommes, un peu gênés, car peu habitués à poser devant l’objectif. Ils sont tous romanciers, sauf un : Jerôme Lindon, patron des Éditions de Minuit, qui les a réunis. Ainsi prend forme à Paris, un matin d’automne 1959, l’aventure du Nouveau Roman, cette vraie fausse école littéraire qui remet en cause les conventions de l’écriture romanesque.
C’est à partir de cette photo que Christophe Honoré fait revivre, à sa manière, ces femmes et ces hommes aux destinées diverses. À sa manière, c’est-à-dire au plus près de la vie et de l’œuvre de ces romanciers pour dessiner des portraits, des rencontres, des affrontements.
Le célèbre cinéaste donne voix à ceux qui ont osé, il y a cinquante-trois ans, affirmer haut et fort le désir de « produire quelque chose qui n’existe pas encore ». Il confie l’interprétation de ces écrivains à une majorité de jeunes acteurs dont Anaïs Demoustier et Ludivine Sagnier.
« Il existe dans chaque langue, chaque culture, chaque littérature, une part intraduisible, intransmissible. C’est cette part qui nous intéresse. Est-ce un leurre ? Nous pensons que c’est dans cette part secrète que réside une des réponses au mystère du théâtre. Le théâtre fait partie de la culture de l’Europe, l’expression d’une différence qui nous unit. Ce que nous cherchons dans l’autre, c’est la part la plus belle que nous portons en nous. Au mystère du théâtre s’ajoute le mystère de la langue. L’histoire complète cette culture commune. L’histoire qui montre comment les hommes vivent ensemble. À quoi ils rêvent, quelles paroles leur viennent aux lèvres pour dire leurs espoirs et leurs échecs, leurs mystères et leurs secrets, comment ils résistent à la lente agonie du monde, à quoi leur serve la littérature et le théâtre. Le Standard Idéal est un festival des frontières. »