« C'est de l'accumulation des détails que naît la vérité »
Norman Mailer

Entre vérités !

Atelier adultes III / Le Grand Roque - Compagnie théâtre / Programme

dirigé par Michaël Therrat

avec Ghislaine Allory, Sébastien Bayle, Zora Benkreira, Christophe Chatellard, Edouard Boye,
Geneviève Camel, Catherine Clauzel, Lucie Launay, Marc Parriel, Isabelle Soavi & Géraldine Sos.

 
Afin de répondre à des objectifs pédagogiques de développement et d’apports de jeu auprès de mes élèves, j’ai entrepris (dans cet atelier) de comprendre le théâtre comme un acte – une succession de gestes – auquel serait insufflé la conscience que ces gestes pourraient être tout autres… En un mot : que la créativité ne saurait se parfaire dans l’assouvissement et le définitif. Au théâtre - lieu et processus de fiction - la vérité est synonyme de "pouvoir", dans le sens de "commandement", et c'est à nous "faiseurs", "praticiens bidouilleurs" d'obéir ou de désobéir à ce premier (ou dernier commandement...) Ce qui semble important et essentiel n'est pas toujours visible à l'oeil nu ; c'est souvent de la distance, de l'écart, de la brèche, de la fissure, d'entre les êtres, d'entre les choses, que sont offertes les possibilités de nouveaux germes, de promesses de songes. Le titre Entre vérités ! est issu (et tissu) de cette recherche : à la fois impératif et préposition !
 

Re-présentation du jeudi 23 juin 2011 : soirée Racine-Kourouma, début 20h30

Britannicus, Bérénice & Phèdre de Jean Racine / répétition du mercredi 15 juin 2011

Plusieurs étapes dans ce travail. L'action d'abord. Et les questions fondamentales de l'acteur/trice avant d'entrer en scène/sortir de coulisses : d'où vient le personnage ? Où va t-il ? Que cherche-t-il ? Comme le dit Barthes, chez Racine, "l'action c'est la parole". Donc nous avons créé des mouvements affirmés, des directions extrêmes, et puis nous les avons réduites pour intérioriser le conflit du personnage entre ses aspirations et ses obstacles. Aujourd'hui nous n'en sommes qu'à la deuxième étape de l'immersion dans la clôture racinienne. Je n'ai pas voulu que les acteurs/trices jouent, je les ai incités à "vivre", se répondre, à risquer l'imperfection, la présence de scories, mais avec la ferme volonté que les personnages ne se lâchent pas... Peut-être assisterons-nous en direct à la troisième étape, en présence d'un public, troisième sédimentation des textes dans les corps, qui, par verticalisation - spatialisation - se définit en un mot : surprise !

 

Le Diseur de vérité d'Ahmadou Kourouma / répétition du mercredi 15 juin 2011

« Le fétiche est l'incorporation d'un mensonge qui nous permet d'endurer l'insupportable vérité. »
Slavoj Žižeck

Quelques extraits de l’unique pièce de théâtre de l’écrivain d’origine ivoirienne, censurée à Abidjan, en 1972, rendront hommage aux désirs de justice et de liberté universels.
"Au départ, ils étaient tous frères. Ils vivaient sur d’abondantes terres dans la joie et la fête ; cela attira les conquérants qui s’approprièrent les terres et vendirent les hommes comme esclaves.
Débuta alors une interminable damnation : les terres s’asséchèrent et les peuples dépérirent. Tout devint « ségué », ce qui signifie « la peine sans profit ». Et leur pays devint Séguédougou : « la Terre des peines ».
Alors, dans un monde sans horizon, on se met à rêver, ou à se ressouvenir d’une terre de bonheur, de justice, d’abondance et de liberté : Hairaidougou ! Alors s’installe l’espoir et naît l’élan qui redonne vie aux tam-tams, qui pousse à la révolte !
Ils connurent de nombreuses répressions dans le sang. Pourtant, un jour, se leva Diarra. Diarra, le prophète, le visionnaire, le diseur de vérité dont ils avaient besoin pour s’opposer aux maîtres colonisateurs. Accompagné de sa fille Tiedjouma, espoir des opprimés et des vaincus, Diarra rejeta la colonisation et vainquit l’oppression.
Enfin libres et indépendants, tous étaient prêts à quitter la terre aride et inhospitalière de Séguédougou pour rechercher Hairaidougou, mais Diarra refusa. Il s’entoura d’hommes, qu’il couvrit de richesses : un clan prit l’ascendant et les privilégiés s’opposèrent aux démunis.
Autour de Séguédougou, pour asseoir son pouvoir, Diarra fit bâtir une muraille sans portes ni meurtrières et donna l’ordre de tuer tous ceux qui chercheraient à s’enfuir ou à entrer
."
Je ne peux penser le théâtre sans penser sa place dans la société. Je crois que le théâtre est fondamentalement politique, comme toutes les actions que nous faisons. Peut-être le théâtre est-il l'endroit où l'acte apparaît dans toute son ambivalence : insignifiant au sens qu'il ne dit rien, ou bien, au contraire, symbolique au sens qu'il imprime sa participation dans l'ordre des archétypes. Proposer un dispositif bifrontal s'imposait naturellement, sans rechercher une esthétique particulière. Les spectateurs sont ainsi conviés au coeur de l'action, ils deviennent les participants d'un choeur que les démocraties d'aujourd'hui questionnent... Rien n'est donc gratuit. L'éthique de la vérité commande le fracas quand ce n'est pas l'irruption : le réel est toujours brutal. Le texte de Kourouma sollicite toute la présence (concentration-attention) des acteurs. Un plaisir de théâtre en perpective !

 

Présentations-expérimentation du vendredi 24 juin 2011 : soirée Eugène Ionesco, début 20h30
Attention : jauge limitée

« Faire dire aux mots des choses qu'ils n'ont jamais voulu dire. »
Notes et contre-notes

A partir du texte d'Eugène Ionesco Victimes du devoir, deux travaux seront présentés :
Le premier consistera en une composition opérée à partir des propositions des acteurs, d'improvisations, de réflexions, de répétitions... (extrait de La Mouette de Tchekhov, musiques : Grieg, Ravel, Sha'aban Yahya, des chants aussi...). La deuxième en une improvisation en direct face au public, un jeu sans filet, à partir du même texte.
Je n'ai pas voulu saisir Ionesco par le théorique "théâtre de l'absurde", mais davantage insister sur la part tragi-comique de l'entreprise qui consiste à témoigner de la folie indicible des êtres et des situations, que certaines anecdotes, parfois, nous révèlent. Guidés dans notre démarche par cette phrase d'Eugène Ionesco : « La création d’une œuvre théâtrale, c’est une marche dans la forêt, une exploration, une conquête, c’est la conquête de réalités inconnues, inconnues parfois de l’auteur lui-même au moment où il commence son travail » nous avons tenté de nous rapprocher au plus près du processus de création, de cette sensation particulière de faire face à l'inconnu, justement, et d'un point de vue pédagogique, de tendre vers une possibilité d'acteur/auteur-créateur... Renouant avec la poésie - dont le verbe poiein, en grec, signifie "faire, créer" - nous nous (et vous) provoquons à une confrontation artistique où le seul risque consiste à plaire... Plagiant la phrase de Jean-Louis Barrault : "(...) Rhinocéros, c'est Marx Brothers chez Kafka (...)", je conseille aux éventuels spectateurs de créer leur propre correspondances...

Michaël Therrat

vers photos répétitions samedi 11 juin 2011