DECEMBRE 2008

« Théâtre d’art, un théâtre qui "tend vers" »

Notion fondamentale et révélatrice du chemin que le théâtre a pris à la fin du XIXème siècle. Enjeux : dessiner une filiation, déterminer des constantes.

Qu’est-ce que le théâtre d’art ? Une recherche, une éthique, une volonté d’aller plus loin dans la pratique théâtrale. Tout au long de ce siècle, le besoin de se réclamer du théâtre d’art est venu d’un profond désir de réforme de la pratique : la remise en question ne visait pas l’essence même du théâtre mais sa réalité scénique. Ces artistes, avant tout praticiens, ont recherché le changement de l’intérieur par l’exploration la plus profonde des moyens qu’offre le théâtre.

Un mot semble être à l’origine de ce mouvement : la morale. Faire du théâtre un art ne pouvait passer que par la responsabilisation du praticien (qu’il soit metteur en scène, acteur ou machiniste) et du spectateur. Responsabilité en tant qu’homme ou spectateur de théâtre et être humain. En cela il s’éloigne du théâtre de loisir : le public n’est plus considéré comme une masse anonyme payante mais comme un groupe humain qui vient partager une expérience, apprendre et comprendre. Ce n’est plus un échange de services mais un contact véritable qui s’établit, un dialogue entre la scène et la salle mais aussi entre les praticiens de l’Europe entière à travers l’écrit (livres et revues).
Pour ce faire, une transformation profonde du travail théâtral s’imposait : le temps devient un élément premier. Ce n’est pas un hasard si l’émergence de cette notion correspond à l’apparition du metteur en scène qui a pour fonction de souder les acteurs et de les aider, les guider au sein du processus de création. L’approfondissement du travail de la scène demande du temps: « Il faut apprivoiser l’œuvre sans s’en rendre maître » (
Jacques Copeau). Des metteurs en scène comme Stanislavski, Copeau, et plus tard Strehler ou Stein, ont compris que le théâtre d’art est une expérience à long terme et donc qu’il était nécessaire de créer un lieu fixe. « Cette recherche doit s’appuyer sur un lieu, une troupe et un répertoire ». La réunion de ces trois éléments est essentielle dans la continuité de l’exploration des ressources que le théâtre offre aux praticiens.
« Deux attitudes vont être au cœur de cette volonté : l’essai et l’exemplarité ». Il faut pour cela changer la formation des acteurs et celles des machinistes. L’Ecole est la base de la reconstruction de la pratique, allant contre les stéréotypes, le « métier ». C’est une école placée au centre de ce théâtre qui se réclame d’un acteur qui crée et non simple héritier. « L’acteur est alors un artisan car il maîtrise une technique qu’il doit dépasser ». La référence à l’artisanat contre le vedettariat et l’industrialisation est constante durant ce siècle. Strehler se réclame « héritier de l’humble orgueil de bien faire son métier ». La notion d’artisanat implique un souci du collectif, une morale, « une certaine idée forte de l’être » (Strehler), une humanité (il faut être « de nobles ouvriers inspirés par la matière et visités par l’esprit » :  Jacques Copeau) mais aussi l’idée de transmission qui dessine des filiations.
En référence à l'action de
Vitez, n ’est-il pas légitime de croire que le théâtre public pourrait être l’avenir du théâtre d’art, sa continuité ? Ne serait-il pas le lieu propice pour que puisse se réaliser cet avis de mission, dont nous parlaient Anatoli Vassiliev et Yannis Kokkos, d’une pratique artistique exigeante pour un public aussi large que possible, pour que se développent pratiques et formes nouvelles, hors de tout souci de rentabilité ?
Le service public trouverait peut-être sa légitimité et sa fonction en faisant du théâtre d’art son propre passé afin de le dépasser et de suivre le mot de Giorgio Strehler : « streben » qui veut dire « aller vers avec effort », « tendre à ».  Aller plus loin et transmettre, voici la finalité de « ce théâtre au bord du possible ». Et encore Strehler :
« J’aime le théâtre parce qu’il est humain ! Qu’y a-t-il de plus directement humain que le théâtre ? Je fais du théâtre parce que l’on y fait de l’humain, chaque soir. »

Anatoli Smelianski commence ainsi son intervention : « La menace de mort est à la base du théâtre d’art et de la création ». Cette affirmation péremptoire s’appuie sur l’expérience du Théâtre d’Art de Moscou, que Stanislavski a tout de suite voulu inscrire dans la durée comme condition nécessaire. Mais elle se fonde plus profondément encore sur l’expérience purement humaine de la mort, qui nous incite non pas à produire seulement, mais à créer, à laisser quelque chose d’unique et personnel par l’intermédiaire duquel nous demeurons et ne mourons pas tout à fait. Cependant, avec la disparition de Stanislavski s’éteint le Théâtre d’Art de Moscou, ce qu’il en reste n’étant plus que son fantôme. La notion de théâtre d’art, elle, s’est transmise, la force de vie qui l’animait se déplace en la personne d’un « héritier rebelle », un continuateur qui travaille avec ces constantes élaborées dès Stanislavski, mais les dose à son gré. Ainsi Meyerhold est désigné par Stanislavski lui-même pour lui succéder, Jouvet héritera de Copeau. La force de vie se communique comme dans la filiation biologique, des êtres qui ont toute l’Histoire en commun, l’histoire des générations humaines, jusqu’à ce que les cadets aillent à leur histoire propre.
Ce qui est poursuivi, ce n’est pas un style particulier mais une recherche permanente. La notion de durée s’inscrit à la fois dans le cadre des répétitions et dans celui des institutions théâtrales : la recherche joue au niveau des comédiens et du metteur en scène, qui doivent prendre le temps d’expérimenter, mais aussi au niveau de l’accueil de cette pratique, qu’il s’agisse des horaires, des salaires, de l’architecture, induisant l’idée du rapport au public. Copeau demandait à son public du Vieux-Colombier de ne pas juger un spectacle mais l’ensemble de sa démarche. L’idée de répertoire est encore une façon de se projeter dans le temps, de faire écho au passé comme d’investir l’avenir par des textes fondateurs. Cela permet de maintenir le niveau artistique, les nouveaux auteurs étant confrontés à ceux qui demeurent, et les acteurs gardent avec eux le bagage spirituel que renferment les textes anciens.

Une constante est aussi celle de la continuité de la recherche « hors les murs » : les travaux de Craig, Appia, les manifestes, les revues, les colloques, etc. développent un dialogue permanent entre les praticiens et les chercheurs. La circulation des idées, grâce au livre de Rouché [L’Art théâtral moderne, Edouard Cornély & Cie, 1910.] en particulier dès le début du siècle, permet une internationalisation.
Ces lieux de mémoire et de recherche sont également des lieux de transmission. C’est ainsi que le travail d’Appia a fortement inspiré Yannis Kokkos, que les acteurs de Stanislavski exilés aux Etats-Unis ont propagé sa méthode, jusqu’à l’Actors Studio. Les écoles, ateliers ou laboratoires se développent, chacun ayant ses pratiques, mais toujours dans une visée expérimentale ; ce qui est en jeu est plus une conduite qu’un savoir. La conduite de l’artisan pour qui le « travail bien fait» prime sur la notion de rentabilité. C’est aussi ce que Copeau appelle une « cellule de création », un espace où la création est commune. Peter Stein explique qu’il ne peut expérimenter qu’avec ses acteurs. Un travail artisanal qui se fait en commun requiert des qualités communautaires, afin de créer la véritable « unité chorale » dont parle Copeau.

Enfin, c’est une aspiration spirituelle qui est nécessitée par le théâtre d’art, et chacun au colloque s’est plu à le rappeler. Pour Krejca, c’est le metteur en scène qui est responsable du modèle éthique. Mais Stanislavski demande à ses acteurs d’être eux-­mêmes d’une grande moralité. Il s’agit de venir à l’heure, d’être intérieurement disponible, de ne pas être alcoolique, etc. ; cela demande aux acteurs de sacrifier une vie de plaisirs faciles à une volonté de servir le théâtre. Le théâtre d’art nécessite le don de soi ; un « sacerdoce amoureux ». Stanislavski : « Vous avez senti naître en vous l’amour du théâtre : commencez à lui faire des sacrifices ». Lorsque Vilar a dit que le théâtre ne paie pas mais coûte, ce n’était pas à envisager seulement d’un point de vue financier. Anatoli Vassiliev a compris que sa vie était un « avis de mission » que lui a envoyé le Seigneur, que l’art est lié à la souffrance de l’engagement intérieur, mais que ce chemin a le sens de la vie. Yannis Kokkos partage cet engagement : " Il faut continuer secrètement ce qu’intérieurement ce mandat (dont parle Vassiliev) vous dicte. Ce mandat est très obscur. Il faut être fidèle à ce à quoi on croit devoir arriver ". Giorgio Strehler ne définit pas autrement sa pratique : « Un théâtre d’art est un théâtre qui bouge vers quelque chose de meilleur, plus profond, plus humain, tendu vers le mystère de la vie ». Pour lui aussi il faut accepter la souffrance, la peur et l’échec, car c’est le sens de la vie de nous y jeter sans filet, avec la foi seulement, c’est le sens de l’humain, plus humain. Il faut aller vers soi-même comme vers le public, comme lui­-même vient au théâtre. Il faut vouloir partager une expérience forte, avec assez de confiance pour « apparaître démuni », c’est le souhait de Vitez lorsqu’il sort de sa malle de Faust.
« Un théâtre d’art, c’est assez fragile »(Jacques Lassalle) : il doit trouver sa force dans son rapport au public, dans un plaisir partagé, mais aussi dans une institution publique. Il a besoin d’un soutien permanent, d’être dégagé de toute emprise commerciale pour pénétrer le fond de l’humain. C’est le sens de cette maxime du Théâtre Artistique de Moscou : « L’art doit servir l’union fraternelle des hommes ». Et cela, c’est aussi la mission de l’Etat, c’est pourquoi il doit s’engager dans le développement de la culture. Il ne faut pas confondre culture et divertissement, le divertissement étant l’affaire des théâtres privés, qui fonctionnent à la rentabilité et ont donc nécessité de plaire. Malraux a défini ainsi la culture lors de son discours inaugural à la Maison de la Culture de Bourges : « c’est l’ensemble des réponses mystérieuses que peut se faire un homme lorsqu’il regarde dans une glace ce qui sera son visage de mort ». La culture - le théâtre d’art en l’occurrence - n’exclut pas le plaisir, mais sa préoccupation est davantage de produire, en plus des émotions, des réflexions. Si un tel théâtre est en contrepoint tout au long du siècle - plus qu’à un théâtre de variétés - à ce qu’on appelle « théâtre politique» ou « engagé », c’est parce qu’il s’adresse au spectateur individuel au lieu d’un public pris en masse.

La culture est bien une mission nationale, comme l’éducation : subventionner les artistes, comme rémunérer les enseignants, c’est ouvrir l’ensemble des individus au monde et leur donner en même temps les clefs de l’introspection, et cette double action permet aux concitoyens de mieux se comprendre et exister ensemble.

Chéreau, par exemple, s’emploie à montrer dans son théâtre « la matière face à son propre néant », la matière désincarnée, sa face morte. N’est-ce pas conduire implicitement le spectateur à réfléchir, à chercher en lui « autre chose » ? Pour Copeau, la scène doit montrer l’union de la chair et de l’esprit ; que la matière soit habitée sur la scène ou dans la foi vacillante de la salle, cela amène en tout cas le spectateur à un questionnement qui le fait accéder à « un ailleurs ». Engager sa vie dans ce théâtre c’est, nous dit Strehler, « laisser des diamants dans la poussière » ; parlant de la pierre la plus pure, traversée par la lumière, il souligne la force de rayonnement de l’inanimé ; puis il nous rappelle, avant de nous quitter - définitivement ­ qu’au théâtre les morts se relèvent.

Hommage. Klaus Michaël Grüber fut élève et assistant de Strehler. Il décéda au mois de juin 2008. Témoignage de Ludmila Mikaël, mère de Marina Hands...

 

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EXPOSITION GUSTAVE KLIMT

La Kunstschau 1908 - une exposition qui est considérée jusqu’à ce jour comme marquant son époque dans le développement du Modernisme viennois - a été réalisée par le groupe d’artistes entourant Gustav Klimt parallèlement aux festivités organisées à l’occasion du 60ème jubilé de la montée sur le trône de l’Empereur François Joseph Ier à Vienne. Sur un terrain au centre ville qui était resté temporairement en friche, Josef Hoffmann, Gustav Klimt, Otto Prutscher, Koloman Moser, entre autres, ont réalisé des constructions en bois avec 54 salles d’exposition, des jardins et des cours intérieures, un café et un théâtre d’été. Les peintures, les sculptures, les graphismes, les éléments d’art décoratif et la décoration de théâtre de 176 artistes - dont Carl Moll, Max Oppenheimer et Franz Kupka - ont été mis en scène en tant qu’œuvre d’art globale sur ce terrain d’exposition couvrant une surface de 6500 m2.

Le Belvédère redonnera un nouveau souffle de vie à la Kunstschau à l’occasion de son 100ème anniversaire : à partir d’octobre, une grande partie des pièces initialement exposées - parmi elles Le Baiser (1908) de Gustav Klimt - seront présentées pour certaines d’entre elles sous forme de reconstructions de ses salles d’exposition; des photographies documentaires, des modèles, des plans d’origine et des films serviront à concrétiser les détails et les dimensions de cet événement hors du commun.

Cette exposition pourra être visitée du 1er octobre 2008 jusqu’au 18 janvier 2009 au Belvédère Inférieur et sera accompagnée par une publication. Musée du Belvédère, à Vienne en Autriche.

Gustav Klimt et la Kunstschau 1908

 

Ce mois-ci Fi Théâtre est partenaire de l'Association Cuerpo
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"L'aventure peut être tout simplement au bout de son orteil" J. Choque

 


Joyeux Noël à toutes & tous !


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