Gaston Baty

(1885-1952)

né le 26 mai à Pélussin

mort le 13 octobre 1952

En mai 1908, il a vu Faust de Goethe, mis en scène par Fritz Erler, au Künstlertheater de Munich : c'est la révélation complète pour Baty. Il se nourrit des travaux d'Adolphe Appia dont les recherches sur l'espace, le corps et la lumière le frappent beaucoup et de ceux d'Edward Gordon Craig. Il est impressionné par Max Reinhardt et son utilisation du décor et de l'éclairage, sa virtuosité et la diversité de ses approches.
1919, entrainé par Firmin Gémier pour Oedipe, roi de Thèbes et La Grande Passion, en 1920.
Constitution de sa troupe : Les Compagnons de la Chimère.
6 juillet 1927 : formation du Cartel, avec Jouvet, Dullin et Pitoëff.
Baty devient un maître dans le domaine de l'éclairage, le meilleur en France.

Curiosités et intérêts envers Meyerhold, en juin 1930, au théâtre Montparnasse à Paris.

"Gaston Baty impose avec son adaptation l'évidente supériorité du metteur en scène de théâtre, lorsqu'il est assez fin." Lugné-Poe, L'Avenir, 29 mars 1933.

LE METTEUR EN SCENE
L'homme que connaissait seul le théâtre traditionnel est une machine construite selon les principes de la philosophie cartésienne ; il a sa vie physique, sa vie sentimentale, sa vie intellectuelle : tout cela est clair, bien ordonné ; rien n'en échappe ni à sa propre conscience, ni à notre analyse. Les dramaturges l'étudient sous des angles différents, le changent de situation sociale, de vêtement et de langage, le promènent dans les intrigues les plus diverses et modifient à l'infini son caractère. Il reste toujours l'individu analysable, l'Homme, tel que l'ont inventé les humanistes.
Mais l'homme en vérité dépasse de toutes parts ce schéma de l'homme. Sa vie consciente est toute baignée de vie inconsciente ou consciente seulement à demi. Il n'est pas seulement l'idée claire qu'il a de lui-même, mais ses rêves obscurs, sa mémoire endormie, ses instincts refoulés ; dans l'iombre de son âme habitent ses ancêtres, l'enfant qu'il a été, les autres hommes qu'il aurait pu être. Tout cela n'affleure qu'à peine, par éclairs, dans le champ de sa conscience ; cette vie obscure conditionne cependant son autre vie.
Les groupements humains ont eux aussi une vie propre, différente de celle des individus qui les composent. Aussi bien qu'un caractère personnel, les communautés sont des entités dramatiques : le métier, la cité, la classe, la nation, la race. Non point réunion de plusieurs êtres : chaque fois un être nouveau, polycéphale, existant en soi.
Mais l'univers, ce n'est pas seulement les hommes ou les groupements humains. Il y a autour d'eux tout ce qui vit, tout ce qui végète, tout ce qui est. Et tout ce qui est, est matière dramatique : les animaux, les plantes, les choses. Toute la vie quotidienne et son mystère : le toit, le seuil, le banc, la porte qui s'ouvre et se ferme, la table avec l'odeur du vin, et la lampe et le lit, et ce battement au coeur de l'horloge. Il y a des personnalités inanimées : le navire, la ville, la forêt, la montagne. Il y a les machines construites par l'homme mais qui ensuite "marchent toutes seules". Il y a les grandes forces de la nature, le soleil, la mer, le brouillard, la chameur, le vent, la pluie, plus puissantes que l'homme, et qui l'oppriment, l'accablent, transforment son corps, usent sa volonté, repétrisent son âme.
Nous voici déjà loin de la dramaturgie du "coucheront-ils ?" Mais le royaume que doit conquérir le théâtre s'étend bien au-delà, jusqu'à l'infini. Après l'homme et son mystère intérieur, après les choses et leur mystère, nous touchons à des mystères plus grands. La mort, les présences invisibles, tout ce qui existe par-delà la vie et l'illusion du temps. Fléau des balances, où s'équilibrent le bien et le mal. Ce qu'il faut de douleur pour racheter le péché et sauver la beauté du monde. Tout, jusqu'à Dieu.
Il suffit d'inventorier aussi brièvement toute cette richesse offerte au théâtre pour rendre évident qu'il ne saurait l'aborder avec les seuls procédés trditionnels. Il ne s'agit pas de parler de tout cela, mais de rendre tout cela sensible.
Comment la vie inconsciente de l'homme pourrait-elle se traduire par des dialogues ? Elle cesserait, par définition, d'être inconsciente. De même nous pouvons faire parler chacun des individus qui composent un groupement ; mais ce groupement même, en tant que tel, comment s'exprimerait-il par les mots seuls, forcément individuels ? Et la vie des choses (non pas de la poésie à propos des choses, mais les choses elles-mêmes), il est clair que leur moyen d'expression ne sera pas verbal.
Le texte est la partie essentielle du drame. Il est au drame ce que le noyau est au fruit, le centre solide autour duquel viennent s'ordonner les autres éléments. Et de même qu'une fois le fruit savouré, le noyau reste pour assurer la croissance d'autres fruits semblables, le tete, lorsque se sont évanouis les prestiges de la représentation, attend dans une bibliothèque de les ressusciter quelque jour.
Le rôle du texte au théâtre, c'est le rôle du mot dans la vie. le mot sert à chacun de nous pour se formuler à soi-même et communiquer aux autres ce qu'enregistre son intelligence. Il exprime directement, pleinement nos idées claires. Il exprime aussi, mais indirectement, nos sentiments et nos sensations, dans la mesure où notre intelligence les analyse ; ne pouvant donner de notre vie sensible une transcription intégrale et simultanée, il la décompose en éléments successifs, en reflets intellectuels, comme le prisme décompose un rayon de soleil.
Le domaine du mot est immense, puisqu'il embrasse toute l'intelligence, tout ce que l'homme peut comprendre et formuler. Mais au-delà, tout ce qui échappe à l'analyse est inexprimable par la parole : "
Très vite, écrit Léon Daudet, dans le Rêve éveillé, nous atteignons le bout des mots... L'individu le plus savant et le plus doué ne traduit (même s'il a à sa disposition tout le dictionnaire de la langue) que la centième partie environ de ce qu'il ressent, de ce qu'il médite. Le plus importan, le plus intéressant fuit netre les mailles du vocabulaire comme l'eau fuit entre les doigts."
De nos sens à notre âme, il est des sentiers secrets que ne croise pas la route de l'intelligence. La jouissance directe, immédiate, que nous donnent un beau ciel, un beua paysage, un beau corps, nous la retrouvons épurée, mais non moins immédiate, non moins directe, devant l'oeuvre peinte ou sculptée qui s'en inspire ; nous n'en retrouverons plus rien dans les commentaires littéraires que pourra susciter cette oeuvre ; le plaisir qu'ils nous donneront sera d'une qualité toute différente.
Ainsi interviennent dans le drame les moyens d'expression plastiques, colorés, lumineux. Puis tous les autres : jeu, mimique, rythmique, bruits, musique, etc.
Grâce à eux nous pourrons échapper aux vieilles servitudes, passer les frontières et traduire dans le drame intégral notre intégrale vision du monde.
On voit dès lors quelle sera la fonction du metteur en scène.
Le poète a rêvé une pièce. Il en met sur le papier ce qui en est réductible aux mots. Mais ils ne peuvent exprimer qu'une partie de son rêve. Le reste n'est pas dans le manuscrit. C'est au metteur en scène qu'il appartiendra de restituer à l'oeuvre du poète ce qui s'en était perdu dans le chemin du rêve au manuscrit.
Pour le tenter, il règlera le jeu, non plus seulement dans les répliques, mais dans leurs prolongements, harmonisera l'ensemble de l'interprétation, rythmera le mouvement de chaque tableau. Par le costume, par le décor, par la lumière et, s'il y a lieu, par la musique et par la danse, il créera autour de l'action le milieu matériel et spirituel qui lui convient, l'ambiance indescriptible qui agira sur les spectateurs pour les mettre en éatt de réceptivité, pour les rapprocher des acteurs, pour les accorder avec le poète. Il s'agit pour lui de réaliser sur la scène le songe d'un univers expressif et cohérent et de provoquer dans la salle une hallucination collective.

1944, in Rideau baissé, Bordas, Paris, 1949, cité dans Le Metteur en scène, par Gaston Baty


Ouvrages
1921 : Le Masque et l'encensoir
1928 : Visage de Shakespeare
1932 : Vie de l'art théâtral des origines à nos jours
1939 : Phèdre et la mise en scène des classiques
1944 : Le Metteur en scène

Mises en scène (liste non exhaustive)
1928 : Hamlet
1929 : Le Malade imaginaire

1929 : Karl et Anna de Leonhard Frank
1930 : L'Opéra de quat'sous de Bertold Brecht

1933 : Crime et Châtiment
1934 : Prosper
1935 : Les Caprices de Marianne de
Musset
1936 : Madame Bovary
1937 : Faust

1938 : Dulcinée
1940 : Phèdre
1949 : Faust

retour