William Shakespeare

(1564-1616)

Angleterre

 

Richard III

 

Hamlet

 

Macbeth

 

Le Roi Lear

 

Othello

 

Mesure pour mesure

 

La Tempête

Entre histoire et fiction
par Arielle Meyer MacLeod

(…) Oeuvres littéraires, les pièces de Shakespeare ont pourtant acquis une légitimité historique assez paradoxale, au point que des générations entières d’Anglais ont appris leur histoire nationale en les lisant.
Pour comprendre ce paradoxe il faut d’abord prendre conscience de l’importance du théâtre dans la vie quotidienne à l'époque élisabéthaine, importance dont on ne peut clairement se faire une idée aujourd'hui tant la place du théâtre s’est modifiée à travers les siècles. Le théâtre exprimait « par le truchement des personnages créés, la somme de connaissances, de préoccupations, d'émotions et d'idées qui constituaient ce qu'il est convenu d'appeler l'âme anglaise. (1) ». A cette époque, comme jamais, le théâtre « le théâtre projette sur la scène à la fois les événements et l’état de la sensibilité contemporaine. Le théâtre se fait non à la cour ou dans la tour de l’écrivain mais au beau milieu de la ville, de la société, des hommes. Le théâtre est la vraie chronique de ce temps. Jamais on ne l’a vu coller autant à la vie quotidienne, à ses grandeurs et ses misères. (2) » Il faut savoir que 2500 à 3000 spectateurs fréquentaient quotidiennement les théâtres londoniens, ce qui signifie que deux habitants sur quinze se rendaient toutes les semaines au théâtre !
Par ailleurs la conception de l’histoire n’était pas du tout celle que nous avons aujourd’hui. L’histoire avait avant tout un rôle didactique : « la distorsion de la réalité est ainsi une pratique courante chez les historiens de la renaissance pour qui l’exactitudes des faits compte moins que l’enseignement moral que l’on peut tirer de l’analyse des événements. […] Histoire et tragédie apparaissent à la Renaissance comme les deux faces d'une même pratique fictionnelle donnant naissance à la tragédie historique où se combinent travestissement de la vérité et pédagogie par l'exemple. (3) »
En réalité ces pièces, et
Richard III en particulier, ne relèvent pas de la chronique historique et font subir aux faits, pour peu que nous les connaissions, de sévères distorsions dues autant à des raisons d’ordre esthétique qu’historiographique.
Les commentateurs ont tous souligné à l'envie les grandes distorsions que Shakespeare fait subir à son matériau historique. Pour ne prendre que le seul cas de Richard III, il est clair par exemple que la présence sur scène de la reine Margaret avant la mort d'Edouard (qui eut lieu en 1483) ou même après, ne peut relever que d'un travestissement de la vérité historique puisque Margaret fut ramenée en France en 1475, bien avant les épisodes narrés dans la pièce, pour mourir en 1482. Dans Richard III, Margaret est une figure essentielle, non à l'action du drame, car elle n'a prise sur aucun des événements, mais à sa portée symbolique. Les imprécations qu'elle lance et les évocations du passé qu'elle rappelle sans cesse en font l'incarnation d'un temps organisé qui s'oppose aux entreprises de Richard.

De même Shakespeare rapproche la mort d'Henry VI (1471) dont le cortège funèbre conduit par Lady Anne offre à Richard l'occasion d'une première rencontre avec sa future épouse, et celle d'Edouard IV (1483) au début de l'acte II. En contractant ainsi le temps réel au mépris de toute cohérence historique, puisque douze années ont séparé les deux événements, Shakespeare alourdit l’atmosphère macabre qui pèse sur le début de la pièce et fait planer de funestes présages sur le déroulement du règne à venir. (4)
Les inexactitudes relevées ici tiennent essentiellement à la contraction du temps, phénomène inévitable dès lors qu’il s’agit de concentrer quatorze années en quelques heures de spectacle et de le faire par des procédés littéraires ayant avant tout une portée esthétique. Ainsi « Shakespeare substitue l’efficacité dramatique et la portée symbolique à la véracité historique, car c’est bien en homme de théâtre soucieux des effets qu’il peut tirer d’une action concentrée et de personnages ainsi mis en miroir les uns les autres qu’il construit son drame ».
Par ailleurs, la fiction shakespearienne propose un point de vue particulier sur l’histoire d’Angleterre, point de vue redevable en grande partie à la situation politique contemporaine du moment où Shakespeare écrit. Montrer Richard III comme un monstre était la règle pendant le règne de la dynastie des Tudor à laquelle appartenait Elisabeth 1ère, reine d'Angleterre. Rappelons que c’est Henry Tudor qui a défait Richard sur le champ de bataille et fondé cette nouvelle dynastie. Shakespeare a utilisé comme sources des chroniques historiques foncièrement défavorables à Richard, par allégeance à la dynastie régnante. Parfois, notamment chez un des chroniqueurs, Thomas More, la vérité est altérée à des fins littéraires, pour rendre le récit plus poignant et susciter l’indignation du lecteur. Au 17ème siècle, au moment de la mort du dernier Tudor, quelques historiens ont tenté de montrer que cette vision diabolique de Richard obéissait à une nécessité politique et ont souligné les aspects positifs de son règne, notamment son talent d’administrateur et son courage. Certains historiens ont montré le très bon bilan économique et commercial de Richard tandis que d’autres mettent même en doute son implication dans le meurtre de ses neveux. Selon ces historiens, dits révisionnistes, le Richard III de Shakespeare a été avant tout une propagande pour les Tudor, efficace mais dommageable pour la réalité historique.
Aujourd’hui on tente de comprendre le règne de Richard en le replaçant dans le contexte de son époque. Il reste très peu d’archives personnelles sur ce roi qui a été un grand manipulateur, usant de la propagande pour consolider son règne : ce qui explique que Richard reste pour les historiens un personnage énigmatique. Le Richard III de Shakespeare est considéré aujourd’hui pour ce qu’il est : une oeuvre littéraire majeure de l’histoire du théâtre mais n’ayant aucune valeur historique (5).
Si l'histoire est spectacle c’est aussi parce que la vie est mise en scène. Cette conception de l'histoire n'est pas étrangère au celle du theatrum mundi qui considère le monde comme un théâtre et qui domine toute l’époque élisabéthaine. Car si le monde est un théâtre, alors le théâtre est bien le meilleur moyen pour parler du monde et de son histoire. En cela Shakespeare est l'interprète de son temps, fidèle à la fois à la tradition des historiens, qui n'implique pas d'être fidèle à l'exactitude des événements, et à la tradition dramatique. La tragédie historique est ainsi le genre le plus adapté aux principes philosophiques et moraux de l'époque shakespearienne.

(1) Henri Fluchère, Shakespeare, dramaturge élisabéthain, Gallimard, 1966
(2) Bernard Liègme, Répertoire no 4, TPR, Editions de L’arche et de La cité, 1962
(3) Jean-Jacques Chardin, op. cit., p14

(4) Jean-Jacques Chardin, op. cit., pp. 14 et 20.
(5) Voir Tri Tran, « A la recherche de Richard, le vrai », in Lecture d’une oeuvre, Richard III, ouvrage coll coordonné par Maurice Abitboul. Editions du Temps, 1999.

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