Lulu

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de Franz Wedekind (1864-1918)

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Schwarz : As-tu déjà aimé ? LULU : Je ne sais pas.

Il faut l’admettre, Lulu est la pièce d’un moraliste immoral, et qui revendique cette immoralité même, par une passion pour la sexualité, et par amour des femmes. Et que Lulu passe pour une femme fatale quand beaucoup de ceux qui la défendent la tiennent pour l’innocence même, va dans le sens d’une proposition de Lacan qui tient que l’idée qu’une femme demande à l’homme sa castration est bien un fantasme masculin. Aussi bien ces Messieurs qui tournent autour de Lulu, rêvent de la posséder, et parfois la possèdent enfin, la plupart du temps pour leur malheur, ne devraient-ils pas se plaindre ? Ils attendaient tout d’elle, des jouissances inouïes et perverses, mais elle se dérobe sans cesse à la demande de représenter La Femme au sens où en rêve l’époque de cette bourgeoisie salace où la pièce fut écrite.

Parmi les sources de Lulu, on cite à coup sûr la Nana de Zola, à cette différence que, comme le dit un éditeur de Wedekind cité dans l’excellente notice de Lulu aux Éditions théâtrales : « Nana représente la grande cocotte en tant que “femme fatale”, elle est la figure symbolique de la décadence de l’Empire sous Napolon III. Lulu, au contraire, incarne résolument le type de la “courtisane innocente” et le “destin de l’hétaïre dans l’histoire moderne” »(1). Aussi bien les titres donnés par Wedekind aux deux pièces dont se compose Lulu : L’Esprit de la terre, tiré du Faust de Goethe, et La Boîte de Pandore, inspirée des Travaux et le Jours d’Hésiode (Pandora, la première femme, envoyée par Zeus pour punir la race humaine), ainsi que les nombreuses citations empruntées à Ainsi parlait Zarathoustra dans la première version écrite à Paris entre 1892 et 1894 et sous-titrée : Tragédie-Monstre, nous rappellent-elles qu’« à armes égales », un auteur allemand (Wedekind est né à Hanovre en 1864) dame toujours le pion à un romancier français pour ce qui est de la mythologie ou de la philosophie. Mais il faut corriger cela en remarquant que Wedekind se rapproche plutôt d’un érotisme à la française dans cette œuvre, au point que le grand critique Karl Kraus écrivit en 1905 après la représentation de La Boîte de Pandore : « Il aura fallu attendre Franz Wedekind pour que table rase soit faite de toutes les pleurnicheries dramatiques sur la baisse de la valeur marchande de la femme », déplorant le peu de place laissée à la femme dans le théâtre allemand en général.

Aussi bien le reproche fait plus tard à « la femme » selon Brecht (ou Mère ou Putain !) ainsi qu’à sa vision luthérienne de la sexualité, violente et pécheresse, éloigna-t-il les brechtiens, sinon Brecht lui-même, de la sexualité à la Wedekind, qui semble mettre le désir au poste de commandement, plutôt que la sujétion bourgeoise, l’argent, ou la misère (2). Peut-être est-ce pour cela que plusieurs metteurs en scène français ont toujours préféré Wedekind à Brecht (3). Je n’instruis là aucun procès, mais j’entends seulement relever une différence importante concernant le traitement théâtral des femmes selon les Nations, et l’intérêt que nous devrions porter à cette Lulu, au pays de Racine, de Marivaux et de Claudel, avec les héroïnes de qui elle a pourtant si peu à voir ! Mais enfin, ce qu’il y a d’insaisissable, de mystérieux, de désirable et de terrible chez Lulu, ne devrait pas être sans écho dans ce pays dont les poètes ont si bien su faire parler une Sophonisbe, une Hermione, une Phèdre, une Araminte, une Lâla, une Ysé, chacune avec son mystère.

François Regnault

1 Hartmut Vinçon, cité dans Frank Wedekind, Théâtre complet, tome II, Lulu, éditions THEATRALES, 1997, notice, p.382 note 30. 2 Dans Lulu, « hors de la vérité plate, il y a un monstre fabuleux : le Désir », comme le dit fort bien Pierre Jean Jouve dans la « synthèse » française qu’il fit des deux pièces de Wedekind (L’Âge d’homme, 1969). 3 Pour mémoire, et entre autres, Lulu a été mise en scène par Patrice Chéreau en Italie en 1972 (avec Valentina Cortese, avant qu’il ne crée la version intégrale de l’opéra d’Alban Berg en 1979), par Claude Régy à Paris en 1976 (avec Jeanne Moreau), et récemment par Stéphane Brauschvicg en 2010 (avec Chloé Rejon). Au Festival d’Automne de 1974, Brigtte Jaques- Wajeman avait créé L’Éveil du printemps en français, la seule pièce de Wedekind qui soit sans cesse reprise en France, et Bruno Bayen, La danse macabre.

 

1962

Lulu, Femme fatale, femme enfant, « bête sauvage et superbe », réceptacle des fantasmes masculins, Lulu annonce toutes les ingénues perverses destinées à peupler tant le roman que le cinéma du XXe siècle. Séduction et destruction vont de pair dans le diptyque (L'Esprit de la terre et La Boîte de Pandore) qui a pris le nom de son héroïne. Ici, Jeanne Moreau (Lulu), Hugues Quester (Alwa) et Roland Bertin (Schön) dans la mise en scène de Claude Régy au théâtre de l'Athénée, en 1976.


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