DECEMBRE 2009

« Le public et les acteurs doivent respirer ensemble, écouter ensemble.
Dire les choses en même temps. Je préfère un théâtre où le public se penche
en avant pour écouter à celui qui se penche en arrière parce que c’est trop fort. »

Lars Norèn

A propos d'Oncle Vania de Tchekhov à la MC93 de Bobigny (article) :
Да здравствует Лев
Oncle Vania monté par Lev Dodine est un petit bijou. Sobriété de la mise en scène qui confirme le talent du metteur en scène de Frères et sœurs avec près de quarante acteurs sur le plateau ainsi que de La Pièce sans nom (Platonov) au bassin rempli d’eau, imposant et caractéristique de ce décor-là, avec les rôles titres accompagnés de nombreux serviteurs, musiciens à l’occasion. (Et où il est notable de constater que les comédiens russes savent tous jouer d’un instrument de musique, quand il ne s’agit pas, aussi, de chanter.)
Dans cet Oncle Vania-là, économie du décor, unité du lieu, pièce commune qui reçoit les confidences en même temps qu’elle permet la cohérence de la communauté isolée dans cette campagne. Le tour de force de Dodine et de ses acteurs, c’est de parvenir à nous faire rire.
La tragédie c’est ce lieu unique, immuable, au-dessus duquel trois ballots de pailles énormes se tiennent, symbolisant le travail, le labeur, la campagne, la terre. Le territoire représenté par sa culture ; l’identité par l’appartenance à la production réalisée en commun. La comédie, ce sont les malentendus, les conflits de génération, l’amour naissant provoqué par les désirs soudain qui s’affirment, se révèlent. On retrouve l’envie de Tchekhov d’imiter
Feydeau, le théâtre de boulevard français, l’aspect cocasse de la surprise, de l’effraction.
Cet univers est sans cesse soumis à l’indiscrétion. Les intimités se nouent à travers les regards de tous, dans les interstices de temps dérobé, la nuit… L’alcool est omniprésent pour dénouer les langues.
La scène où Vania surprend le docteur avec Eléna est très drôle : il se cache derrière son bouquet de fleur, comme un clown. Dans l’affolement, le docteur met sa pipe à l’envers dans sa bouche et Eléna se dissimule sous la carte de la province sur laquelle Astrov comparait l’évolution des parties boisées et celles menacées par l’avancée de la civilisation. Pendant ce temps-là, Eléna, nerveuse, n’écoutait rien, toute à sa réflexion, à son hésitation, se demandant quels étaient les sentiments du médecin pour Sonia, alors qu’elle-même se trouve éprise par lui…
Jamais il ne m’était autant apparu dans Oncle Vania, la présence du régime tsariste de l’époque, que dans cette version. En effet, l’autorité du vieux savant Sérébriakov, malade, m’apparut comme une métaphore de l’empire aveuglé et proche de l’effondrement. Le tyran domestique correspondait à une métonymie des rapports du peuple au pouvoir ; le régime des « despotes », menacé, Alexandre II ne fut-il pas assassiné en 1881 ? et son fils Alexandre III en 1894…
Un théâtre où tout le monde ne rit pas en même temps, où le public semble estimé comme un pluriel d’individus autonomes : un théâtre sensible et intelligent au service de la réception personnelle, de la réflexion individuelle ; une proposition ouverte permettant à chacun d’y projeter son propre vécu. Ce n’est pas rien.
Tchekhov m’est devenu encore plus visionnaire – intuitif – artistique que jamais.
Merci Lev ! Merci aux comédiens, à vos talents.

Michaël Therrat
à venir et à ne pas manquer : Oncle Vania de Tchekhov au Théâtre Garonne (avril-mai 2010)

La compagnie du Footsbarn Theatre passe par Toulouse afin de présenter deux spectacles : Sorry ! etFootsbarn Christmas Cracker au Théâtre Garonne, tenter de la rattraper ! Compagnie de théâtre qui refusa, dans les années 70, les subventions que le gouvernement Tatcher était disposé à lui donner ; c'est ainsi qu'elle se constitua en troupe nomade. Considérée subversive par les "tenants" de l'héritage shakespearien - la Royale Shalespeare Compagnie à Stratford-upon-Avon - le Footsbarn est aujourd'hui invité à fêter noël au Globe, théâtre de Shakespeare, à Londres.

Théâtre du Globe, à Londres

Une occasion de rendre une visite à nos voisins d'outre-Manche. Bonnes fêtes païennes, à toutes et tous !

En attendant de les suivre sur les routes, révisez votre géographie avec Feydeau :

Scène 1 (extrait)

Follavoine, son dictionnaire ouvert devant lui sur la table. - Voyons : "Îles Hébrides ?... Îles Hébrides ?... Îles Hébrides ?..." (On frappe à la porte. - Sans relever la tête et avec humeur.) Zut ! entrez ! (A Rose qui paraît.) Quoi ? Qu'est-ce que vous voulez ?
Rose. - C'est madame qui demande monsieur.
Follavoine, se replongeant dans son dictionnaire et avec brusquerie. - Eh ! bien, qu'elle vienne !... Si elle a à me parler, elle sait où je suis.
[...]
Follavoine. [...] - Au fait, dites, donc, vous... !
Rose, redescendant. - Monsieur ?

Follavoine. - Par hasard, les...Hébrides... ?
Rose, qui ne comprend pas. - Comment ?
Follavoine. - Les Hébrides ?... Vous ne savez pas où c'est ?
Rose, ahurie. - Les Hébrides ?
Follavoine. - Oui.
Rose. - Ah ! non !... non !... (Comme pour se justifier.) C'est pas moi qui range ici !... c'est madame.
Follavoine, se redressant en refermant son dictionnaire sur son index de façon à ne pas perdre la page. - Quoi ! Quoi, "qui range" ! les Hébrides !... des îles ! bougre d'ignare !... de la terre entourée d'eau... vous ne savez pas ce que c'est ?
Rose, ouvrant de grands yeux. - De la terre entourée d'eau ?
Follavoine. - Oui ! de la terre entourée d'eau, comment ça s'appelle ?
Rose. - De la boue ?

Follavoine, haussant les épaules. - Mais non, pas de la boue ! C'est de la boue quand il n'y a pas beaucoup de terre et pas beaucoup d'eau ; mais, quand il y a beaucoup de terre et beaucoup d'eau, ça s'appelle des îles !
Rose, abrutie. - Ah !
Follavoine. - Eh ! bien, les Hébrides, c'est ça ! c'est des îles ! par conséquent, c'est pas dans l'appartement.
Rose, voulant avoir compris. - Ah ! oui !... c'est dehors !
Follavoine, haussant les épaules. - Naturellement ! c'est dehors.
Rose. - Ah ! ben, non ! non je les ai pas vues.
Follavoine, quittant son bureau et poussant familièrement Rose vers la porte. - Oui, bon, merci, ça va bien !
Rose, comme pour se justifier. - Y a pas longtemps que je suis à Paris, n'est-ce pas... ?
Follavoine. - Oui !... oui, oui !
Rose. - Et je sors si peu !
Follavoine. - Oui ! ça va bien ! allez !... Allez retrouver madame.
Rose. - Oui, monsieur !
Elle sort.
Follavoine.
- Elle ne sait rien cette fille ! rien ! qu'est-ce qu'on lui a appris à l'école ? (Redescendant jusque devant la table contre laquelle il s'adosse.) "c'est pas elle qui a rangé les Hébrides" ! Je te crois parbleu ! (Se replongeant dans son dictionnaire.) "Z'Hébrides... Z'Hébrides..." (Au public.) c'est extraordinaire ! Je trouve zèbre, zébré, zébrure, zébu !... Mais de Zhébrides, pas plus que dans mon oeil ! Si ça y était, ce serait entre zébré et zébrure. On ne trouve rien dans ce dictionnaire !

Scène 2 (extrait)

Julie. - Ah ! et puis tu m'embêtes ! Si ça te gêne tant, tu n'avais qu'à te déranger quand je te demandais de venir ; mais monsieur était occupé ! à quoi ? Je te le demande.
Elle a arpenté jusqu'au fond.
Follavoine, sur un ton bougon.
- A des choses, probable !
Julie. - Quelle ?
Follavoine, de même. - Eh ! bien, des choses... Je cherchais "Îles Hébrides" dans le dictionnaire.
Julie. - Îles Hébrides ! T'es pas fou ? Tu as l'intention d'y aller ?
Follavoine, de même. - Non, je n'ai pas l'intention !
Julie, d'un ton dédaigneux, tout en s'asseyant sur le canapé. - Alors, qu'est-ce que ça te fait ? En quoi ça peut-il intéresser un fabricant de porcelaine de savoir où sont les Hébrides ?
Follavoine, toujours sur le ton grognon. - Si tu crois que ça m'intéresse ! Ah ! bien !... je te jure que si c'étit pour moi !... Mais c'est pour Bébé. Il vous a de ces questions ! Les enfants s'imaginent, ma parole ! que les parents savent tout !... (Imitant son fils.) "Papa, où c'est les Hébrides ? (Reprenant sur un ton bougon, pour s'imiter lui-même.) - Quoi ? (Voix de son fils.) Où c'est les Hébrides, papa ?" Oh ! j'avais bien entendu ! j'avais fait répéter à tout hasard... (Maugréant.) "Où c'est, les Hébrides ?" est-ce que je sais, moi ! Tu sais où c'est toi ?
Julie. - Bien oui, c'est... J'ai vu ça quelque part, sur la carte ; je ne me rappelle pas où.
Follavoine, remontant pour aller s'asseoir à sa table sur laquelle il pose son dictionnaire ouvert à la page qu'il compulsait. - Ah ! comme ça, moi aussi ! Mais je ne pouvais pas lui répondre ça, à cet enfant ! Qu'est-ce qu'il aurait pensé ! J'ai essayé de m'en tirer par la tangent : "Chut ! allez ! ça ne te regarde pas ! Les Hébrides, c'est pas pour les enfants !"
Julie. - En voilà une idée ! C'est idiot.
Follavoine. - Oui ! Ah ! c'était pas heureux ; c'était précisément dans les questions de géographie que lui avait laissées mademoiselle.
Julie, haussant les épaules. - Dame, évidemment !
Follavoine. - Eh ! aussi est-ce qu'on devrait encore apprendre la géographie aux enfants à notre époque ?... avec les chemins de fer et les bateaux, qui vous mènent tout droit !... et les indicateurs où l'on trouve tout !
Julie. - Quoi ? Quoi ? quel rapport ?
Follavoine. - Mais absolument ! Est-ce que, quand tu as besoin d'une ville, tu vas la chercher dans la géographie ? Non, tu cherches dans l'indicateur ! Eh, ben, alors !...
Julie. - Mais alors, ce petit ? (Se levant et ramassant son seau au passage.) Tu ne l'as pas aidé ? Tu l'as laissé dans le pétrin ?
Follavoine. - Bédame ! Comment veux-tu ? C'est-à-dire que j'ai pris un air profond, renseigné ; celui du monsieur qui pourrait répondre mais qui ne veut pas parler et je lui ai dit : "Mon enfant, si c'est moi qui te montre, tu n'as pas le mérite de l'effort ; essaye de trouver, et si tu n'y arrive pas, alors je t'indiquerai.
Julie, près de Follavoine, à gauche de la table. - Oui, vas-y voir !
Follavoine. - Je suis sorti de sa chambre avec un air détaché ; et, aussitôt la porte refermée, je me suis précipité sur ce dictionnaire, persuadé que j'allais trouver ! Ah ! bien, oui, je t'en fiche ! Nibe.
Julie, qui ne comprend pas. - Nibe ?
Follavoine. - Enfin, rien !
Julie, incrédule. - Dans le dictionnaire ? (Elle pose son seau par terre à gauche de la table et, écartant son mari pour examiner le dictionnaire à sa place.) Allons, voyons ! voyons !...
Follavoine, descendant de l'extrême droite. - Oh ! tu peux regarder !... non ! Vraiment, tu devrais bien dire à mademoiselle de ne pas farcir la cervelle de ce petit avec des choses que les grandes personnes elles-mêmes ignorent... et qu'on ne trouve seulement pas dans le dictionnaire.
Julie, qui s'est assise et depuis un instant a les yeux fixés sur la page ouverte du dictionnaire. - Ah ça ! mais !... mais !...
Follavoine. - Quoi ?
Julie. - C'est dans les Z que tu as cherché ça ?
Follavoine, un peu interloqué. - Hein ?... mais... oui...
Julie, haussant les épaules avec pitié. - Dans les Z, les Hébrides ? Ah ! bien, je te crois que tu n'as pas pu trouver.
Follavoine. - Quoi ? C'est pas dans les Z ?
Il contourne la table et remonte près de Julie.
Julie, tout en feuilletant rapidement le dictionnaire. - Il demande si ce n'est pas dans les Z !
Follavoine. - C'est dans quoi, alors ?
Julie, s'arrêtant à une page du dictionnaire. - Ah ! porcelainier, va !... Tiens, tu vas voir comme c'est dans les Z. (Parcourant la colonne des mots.) Euh !... "Ebraser, Ebre, Ebrécher..." C'est dans les E, voyons ! "... Ebriété, ébroïcien, ébro..." (Interloquée.) Tiens ! Comment ça se fait ?
Follavoine. - Quoi ?
Julie. - Ça n'y est pas !
Follavoine, dégageant vers la gauche et sur un ton triomphant. - Ah ! ah ! Je ne suis pas fâché !... Toi qui veux toujours en savoir plus que les autres !...
Julie, décontenancée. - Je ne comprends pas : ça devrait être entre "ébrécher" et "ébriété".
Follavoine, sur un ton rageur. - Quand je te dis qu'on ne trouve rien dans ce dictionnaire ! Tu peux chercher les mots par une lettre ou par une autre, c'est le même prix ! On ne trouve que des mots dont on n'a pas besoin !
Julie, les yeux fixés sur le dictionnaire. - C'est curieux !
Follavoine, s'asseyant sur le canapé et sur un ton pincé. - Tout de même, je vois que la "porcelainière" peut aller de pair avec le "porcelainier".
Julie, sèchement. - En tout cas j'ai cherché dans les E ; c'est plus logique que dans les Z.
Follavoine, haussant les épaules. - Ah ! là, là ! "plus logique dans les E" ! pourquoi pas aussi dans les H ?
Julie, vexée. - "Dans les H... dans les H..." ! Qu'est-ce que ça veut dire ça, "dans les H" ? (Changeant insensiblement de ton.) Mais au fait... dans les H... pourquoi pas ?... mais oui : "Hébrides... hébrides", il me semble bien que ?... oui ! (Elle s'est précipitée sur le dictionnaire qu'elle feuillette d'une main fébrile.) H ! ... H... H...
Follavoine, la singeant. - Quoi, "achachache" ?
Julie, parcourt rapidemment la colonne des mots. - "Hèbre, Hébreux, Hébrides" ! (Triomphante.) Mais oui, voilà : "Hébrides", ça y est !
Follavoine, se précipitant vers sa femme. - Tu l'as trouvé ? (Dans son mouvment, il est allé donner du pied contre le seau qu'il n'a pas vu. Avec rage.) Ah ! là, voyons !
Il ramasse le seau et ne sachant où le mettre, le pose sur le coin gauche de la table. Il reste ainsi les deux avant-bra appuyés sur le couvercle du seau.
Julie. - En plein : "Hébrides, îles qui bordent l'Ecosse au nord."

Extraits des scènes 1 & 2 de On purge bébé ! de Georges Feydeau. Un auteur que ne laissait pas d'admirer Anton Tchekhov.
   
Peinture
Musée d'Orsay "Ensor" cliquer ici et consort... du 20 octobre 2009 - 4 février 2010

Lettre à André Malraux

MOUVEMENT ARTISTIQUE

Pour terminer l'année nous vous proposons en page d'accueil du site, une présentation succincte des différents mouvements artistiques qui ont mû l'histoire des arts en Occident, au cours du XIXème siècle : le Romantisme, le Naturalisme et le Symbolisme.

LE SYMBOLISME

Le symbolisme initialement développé comme un mouvement littéraire français au cours des années 1880, a gagné la croyance populaire avec la publication en 1886 du manifeste de Jean Moréas dans Le Figaro. En réagissant contre le rationalisme et le matérialisme qui était venu pour dominer la culture européenne de L'Ouest, Moréas a proclamé la validité de subjectivité pure et l'expression d'une idée sur une description réaliste du monde naturel. Cette philosophie — qui incorporait la conviction du poète Stéphane Mallarmé dont la réalité a été le mieux exprimée par la poésie car il a égalé la nature plutôt que de la copier — est devenue une doctrine centrale du mouvement. Dans les mots de Mallarmé, "nommer un objet, c'est supprimer trois quarts du plaisir à être trouvé dans le poème... le rêve, c'est de suggérer." Quoi qu'il ait commencé comme concept littéraire, le Symbolisme était déjà identifié dans le travail d'une génération plus jeune de peintres, qui rejetait de la même façon les conventions du Naturalisme. Les peintres du symbolisme croyaient que l'art devait refléter une émotion ou une idée plutôt que de représenter le monde naturel d'une manière objective, quasi-scientifique, personnifiée par le Réalisme et l'Impressionnisme. En revenant à l'expression personnelle défendue plus tôt par les Romantiques, au dix-neuvième siècle, ils estimèrent que la valeur symbolique ou le sens d'une oeuvre d'art, provenait des expériences émotionnelles vécues par le spectateur avec la couleur, la ligne et la composition. En peinture, le Symbolisme représente une synthèse de forme et de sentiment, de réalité et de subjectivité intérieure à l'artiste. Dans un article sur Paul Gauguin publié en 1891, Albert Aurier donnait la première définition du Symbolisme comme une esthétique, la décrivant comme la vision subjective d'un artiste exprimée dans un style simple et non-naturaliste et proclamant Gauguin comme son chef. Cependant, le fondement du Symbolisme pictural a été posé dès les années 1870 par une génération plus âgée, avec des artistes tels que Gustave Moreau (1826-1898), Puvis de Chavannes (1824-1898), Odilon Redon (1840-1916) (60.19.1), Eugène Carrière (1849-1906) (63.138.5), Arnold Böcklin (1827-1901) (26.90) et Edward Burne-Jones (1833-1898). Tous auront une profonde influence sur Gauguin et ses contemporains au dix-neuvième siècle.

En voulant imprégner leurs travaux de la valeur spirituelle, ces géniteurs du symbolisme ont produit des mondes imaginaires peuplés avec les figures mystérieuses des histoires bibliques et de la mythologie grecque aussi bien que fantastiques, souvent des monstres, des créatures. Leur imagerie suggestive a établi ce qui deviendrait les thèmes les plus prégants de l'art symboliste : l'amour, la peur, l'angoisse, la mort, le réveil sexuel et le désir sans retour. La femme devient le symbole privilégié de l'expression de ces émotions universelles, en apparaissant alternativement comme des vierges mélancoliques et comme des femmes fatales menaçantes. Dans cette dernière catégorie, Gustave Moreau popularisa les motifs de Salomé brandissant la tête de John le Baptiste et du Sphinx mangeur-d'homme, à travers des peintures telles qu'Oedipus et le Sphinx dans les Salons du milieu les années 1860 et les années 1870. Ces deux types de femelles mythiques — la vierge et la femme fatale — deviennent des motifs de l'imagerie symboliste, apparaissant à la fois dans les sources visuelles et littéraires des années 1880 jusqu'à la première décade du vingtième siècle. À la différence des Impressionnistes, les Symbolistes qui apparurent au cours des années 1880, étaient un groupe divers d'artistes qui travaillaient souvent de façon indépendante et avec des buts esthétiques variés. Plutôt que de partager un seul style artistique, ils s'unirent par un pessimisme et une lassitude de la décadence qu'ils percevaient de la société moderne. Les symbolistes pensaient s'échapper de la réalité, exprimant leurs rêves personnels et leurs visions par le biais de la couleur, de la forme et de la composition. Leur préférence presqu'universelle pour de larges traits de couleur non modulée, des formes souvent abstraites ont été inspirées par Puvis de Chavannes, qui créa des formes très simplifiées afin d'exprimer clairement les idées abstraites. Sa palette tempérée et son traitement décoratif des formes firent un impact considérable sur une nouvelle génération d'artistes, notamment Gauguin (1848-1903) et le jeune Pablo Picasso (1881-1973). Le Symbolisme de Gauguin était unique en cela qu'il pensait s'échapper de la civilisation dans les cultures primitives moins industrialisées, soi-disant, plutôt que dans le monde imaginaire de ses prédécesseurs. La vision du Sermon (1888, Galeries Nationales d'Ecosse, Édimbourg) marque son premier dessin intentionnellement symboliste peint dans le style synthétique développé avec Émile Bernard (1868-1941) en Bretagne en 1888, qui visait à synthétiser la forme abstraite avec l'expérience émotionnelle ou spirituelle. Ici, Gauguin combina des formes lourdement décrites, simplifiées avec les pièces solide de couleur vive pour symboliquement exprimer la piété ardente des simples bretonnes. Cette peinture exerça une influence immense sur le groupe d'artistes connus des Nabis, qui adopta avec enthousiasme son esthétique à la fin des années 1880 et des années 1890.

La recherche de Gauguin d'un Paradis perdu le mena finalement dans les Mers du Sud, où il remplit ses toiles, ses croquis et ses sculptures d'une imagerie extrêmement personnelle et ésotérique qui échappe délibérément à une interprétation claire ou finie. En décrivant son plus grand chef-d'œuvre de symboliste, le monumental D'où venons-Nous ? Qui sommes-Nous ? Où Allons-Nous ? (1897–98, Musée de Beaux-arts, Boston), Gauguin fit écho à Mallarmé en proclamant qui "l'explication des attributs — symboles connus — congèlerait la toile à l'intérieur d'une réalité mélancolique et le problème indiqué ne serait plus un poème." Bien qu'il ait commencé en France, le Symbolisme fut un mouvement d'avant-garde international qui s'étendit à travers l'Europe et l'Amérique du Nord pendant les deux dernières décades du dix-neuvième siècle. Le norvégien, Edvard Munch (1863-1944) fut associé de près aux cercles des symbolistes, séjournant à Paris avant de s'installer en Allemagne au début des années 1890.

Le style extrêmement personnel de Munch est souvent considéré comme un Naturalisme symbolique étant donné que ses sujets ne sont pas exotiques ou fantastiques, mais fondés sur les inquiétudes réelles de l'existence moderne. Pratiquement toutes les toiles qu'il a produites entre 1893 et 1902 appartiennent à une série appelée la Frise de Vie. Ces peintures explorent les thèmes de la maladie, la solitude, le désespoir et la souffrance mentale associée à l'amour ; conditions que Munch a jugées emblématiques "de la vie psychique moderne". Le Cri de 1893 (Munch-Museet, Oslo) illustre le mieux les sentiments fin-de-siècle d'isolement, de désenchantement et d'angoisse psychologique à travers des formes dénaturées, des couleurs expressives et des esquisses fluides.

En 1892, l'excentrique "Sâr" Péladan fonda le Salon de la Rose-Croix, accueillant les artistes aux fortes tendances symbolistes à exposer leur oeuvre d'art. Ferdinand Hodler (Suisse, 1853–1918), Jan Toorop (Néerlandais, 1858–1928) et un certain nombre de Belges, incluant Fernand Khnopff (1858-1921), furent parmi les participants internationaux. Travaillant aussi en Belgique quoi qu'exposant rarement son travail James Ensor (1860-1949), développa un style symboliste unique, basé sur des figures carnavalesques et grotesques. Picasso, ardent admirateur de Gauguin, dont il rencontra pour la première fois les travaux en visitant Paris en 1901, embrassa avec enthousiasme le Symbolisme pendant ses années de formation à Barcelone. Ses travaux de la Période Bleue, tels que le Repas de l'Aveugle (1903), dépeignent mentalement et physiquement des personnages opprimés dans un style très simplifiée caractéristique du Symbolisme pictural. En Europe Centrale, le Symbolisme fut témoin d'un dernier épanouissement grâce aux travaux de la Sécession Viennoise et de Gustav Klimt (1862-1918) en particulier, dont les toiles présentent une fascination profonde pour les forces créatrices autant que destructrices de la sexualité féminine (Salome, 1909, Museo Ca' Pesaro, Venise). Le style extrêmement ornemental de Klimt révèle la connexion étroite entre le Symbolisme et des mouvements parallèles dans les arts décoratifs tels que l'Art Nouveau.

Le rejet du Naturalisme et du récit par les symbolistes, en faveur de la représentation subjective d'une idée ou d'une émotion aurait un effet significatif sur l'art du vingtième siècle, particulièrement la formulation de l'Expressionnisme allemand et de l'Abstraction.

Nicole Myers, Département du Dix-neuvième siècle — Art Moderne et Contemporain, le Musée Métropolitain d'Art

Un monde d'enfants

Tu es une merveille. Chaque seconde que nous vivons est une parcelle nouvelle et unique de l'univers, un moment qui ne sera jamais plus... Et qu'enseignons-nous à nos enfants ? Nous leur apprenons que deux et deux font quatre, et que Paris est la capitale de la France.

Mais quand leur apprendrons-nous aussi ce qu'ils sont, eux ? Nous devrions leur dire : Tu sais ce que tu es ? Tu es une merveille. Tu es unique. Tout au long des siècles qui nous ont précédés, il n'y a jamais eu un enfant comme toi. Tes jambes, tes bras, tes petits doigts, la façon dont tu bouges. Tu seras peut-être un nouveau Shakespeare, un nouveau Michel-Ange, un nouveau Beethoven. Tu peux tout faire. Oui, tu es une merveille.

Et, quand tu grandiras, pourras-tu faire du mal à un autre qui est, tout comme toi, une merveille ? Tu dois oeuvrer — nous devons oeuvrer — pour que ce monde soit digne de ses enfants.

Pablo Casals



A propos d'Albert Camus...


Jacques Rancière, Un Théâtre émancipé - Entretien

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